Les îles Comores connaissent aujourd’hui une crise alimentaire sans.La re-paysannisation, une solution pour un système alimentaire durable aux Comores
La re-paysannisation, une solution pour un système alimentaire durable aux Comores
« Un pays souverain tient sa souveraineté par sa capacité de produire sa propre nourriture ou au moins une grande partie de celle-ci ».
Les îles Comores connaissent aujourd’hui une crise alimentaire sans précédent. Cette crise se traduit par la rareté du riz importé ; ce qui entraine une flambée des prix jamais enregistrée. Or le riz constitue la base de l’alimentation des comoriens. Mais faute de production, les Comores sont bien obligées d’en importer. L’Office National d'Importation et de Commercialisation du Riz (ONICOR) ayant la responsabilité de ces importations, il est aisé de comprendre que la plus grande partie de l’opinion lui impute la responsabilité, également, de cette crise alimentaire. Même si par ailleurs certains habitants pensent que l’unique responsable c’est l’Etat car il s’agit, en fin de compte de tout le système alimentaire.
Cette crise se manifeste chaque jour depuis plus d’une décennie par la dégradation de la santé des populations avec l’apparition de pathologies telles que : le diabète, l’hypertension artérielle et d’autres maladies métaboliques. Le comorien fait face à un double problème de sécurité et de sureté alimentaire.
Les raisons sont à la fois culturelles et économiques.
Sur le plan culturel, ce peuple jadis en parfaite harmonie avec sa nature a rompu ce lien avec la nature. On se rappelle encore le fameux « Tchayi yamkonko » du petit matin : un cocktail d’infusion de feuilles de cannelle (mdarassine), d’eucalyptus (mkinini), de citronnelle (sandzé) de kalanchoé (gnabomwe), de Change-écorce (mfandrabo) et d’autres plantes dont les propriétés médicinales contre les pathologies liées au métabolisme sont aujourd'hui connu de tous. Tout ce bien gratuit de la nature a été remplacé par du lait en poudre et du Nescafé importés.
Le mépris de la nature leur a fait abandonner leur diversité de fruits sauvages ou spontanés qui leur servaient de dessert ou pour faire leurs confitures et leurs jus en lieu et place des sodas et des cocktails importés.
Cette rupture avec la nature et ses biens coûte aujourd’hui tous les maux et pas seulement le manque de riz qui intervenait jadis que très peu dans leurs habitudes alimentaires
En effet, dans un passé récent, moins de trente ans en arrière, la consommation du riz surtout au déjeuner, en milieu rural était un signe de pauvreté.
En ces temps, le comorien cultivait sa terre, produisait ce qu’il mangeait et mangeait ce qu’il produisait. Il y avait aussi et partout un dispositif d’économie circulaire solidaire dans les villages, entre les régions et les communes pour échanger les produits des cultures vivrières et s’assurer un équilibre alimentaire et surtout une disponibilité des aliments toute l’année.
Par ailleurs, la majorité des ruraux et mêmes des citadins n’ayant pas d’électricité et donc pas de frigo pour conserver les aliments, ils consommaient du poisson et de la viande quotidiennement apportés par les pêcheurs traditionnels et les paysans éleveurs.
Aussi le comorien consommait-il des fruits produits localement et buvait des jus de tamarin, d’orange, de mangue et de citrons tirés de leur champ de case ou de leur parcours villageois.
Si les habitudes culturelles et précisément celles alimentaires ont changé la nature elle reste clémente. En effet, ce sont les mêmes forêts, les mêmes champs, le même paysage et les mêmes comoriens qui cohabitent.
Après le constat de cette situation de rupture entre le comorien et son milieu, il est nécessaire de chercher les causes.
De prime abord, on est tenté d’imputer cet échec aux changements économiques. L’économie semble dessiner un ordre culturel et social nouveau.
On a tous assisté passivement et progressivement à un « divorce » entre le comorien, sa nature et ses ressources. Les terres sont abandonnées, les mers aussi. Le métier d’agriculteur est dévalorisé et n’est vu que sous l’angle du pauvre homme en “sarvici” (haillons), inculte et qui ne représente rien dans la société par rapport au fonctionnaire, qui d’ailleurs ne gagne pratiquement pas de quoi nourrir sa famille et doit compter sur le paysan.
Le “Je viens” se positionne en sauveur pour assurer nourriture, habillement, soins médicaux et scolarisation de toute la famille pendant que tout le monde se pavane dans les rues des villes et villages à ne rien faire ou à travailler pour des miettes et dans l’espoir quotidien de rejoindre la métropole et des fois au péril de la vie. Ce même expatrié assure le financement des grands mariages et des grandioses cérémonies funéraires qui font désormais le bonheur et l’honneur du comorien, de Ngazidja en particulier. Son argent ne sert pas ou très peu à financer l’agriculture, la pêche, ni même l’adduction d’eau potable, un besoin vital élémentaire pour la grande majorité des comoriens.
Les Etats qui se sont succédés, des fois en spectateurs, n’ont jamais réussi à réchauffer cette relation entre l’homme /la terre et la mer qui l’entourent et à créer les conditions d’une re-paysannisation, seule garant d’un système alimentaire durable et d’un développement socio-économique harmonieux.
Ces régimes insoucieux du bien-être des populations se sont chevauchés avec chacun son slogan sonnant creux sans jamais apporter de propositions sérieuses pour la sécurité alimentaire et le développement durable du pays.
A part la politique et les réformes agraires proposées et impulsées par feu le président Marxiste-Communiste-Musulman, il n’y a eu plus rien à part de la comédie et de la bêtise humaine.
On a connu “Rehemani” avec le premier ingénieur agroéconomiste du pays, devenu président après des longues années de lutte pour finalement ne rien faire. Ensuite l’imam est venu, jurant sur le saint coran avec son “projet habitat” qui transformerait la vie et les habitations en paradis terrestre pour finalement finir en vendeur d’illusions.
Ensuite Dieu a envoyé un phénomène supranaturel avec son projet chimérique « d’émergence du pays d’ici 2030 ». Il se baserait tantôt sur le model rwandais, tantôt sur le japonais pour faire émerger son pays en moins de dix ans. Il imiterait aussi l’ichtyologie du cœlacanthe, poisson emblématique du pays qui, selon sa science « vivrait et mangerait à la fois sur terre et dans la mer ». En réalité il compte tout bêtement sur les fonds tirés de l’exploitation des produits pétroliers pour son projet. Mais ce qu’il oublie c’est qu’on ne mange pas des devises. Si on ne produit rien, on aura toujours les mêmes soucis pour l’alimentation.
Ce qui est malheureux et intrigant dans cette situation de crise sans précédente, c’est de voir des jeunes, des moins jeunes et mêmes certains hommes d’État, manifester leur nostalgie à l’ancien président Communiste-Marxiste- Musulman qui s’est fait tuer par son peuple en moins de trois années de règne pour sa soi-disant brutalité et ses principes contraires aux valeurs islamiques et traditionnelles de son pays. On lui reconnait, lui au moins, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, avoir réussi à faire aimer la terre par ceux qui la peuplaient et en faire tirer de ses biens pour le bien de son peuple.
Ingénieur agronome de formation, il avait lu et glané des informations sur les révolutions vertes et sur la valorisation des masses paysannes et avait proposé un projet agricole cohérente et soutenable. Il avait réussi surtout à faire cultiver la terre par le comorien lui-même. Aucune main d’œuvre n’est venue de l’étranger au moment où le pays avait atteint un certain niveau d’autosuffisance alimentaire et aurait même exporté de la nourriture vers les pays voisins. Mais il ne peut plus revenir, il n’est pas non plus le seul détenteur de solutions pour les maux de ce pays.
De nos jours on regorge de plusieurs ingénieurs et techniciens en agronomie et en production végétale et animale, on dispose d’une faculté des sciences et le monde est devenu tellement petit que le transfert de technologie se fait en un temps record. En dehors de ce potentiel en termes de ressources humaines, agricole et halieutiques, il faut rajouter un climat stable, des sols fertiles et une pluviométrie suffisante.
Malgré tout ça on n’est pas en mesure de nourrir moins d’un million de personnes avec une terre de 20236 km2 dont 27% est constitué de terres agricoles, 35,5% de terres arables et 70, 4% de terres forestières.
Le peuple est en train crier famine quand il manque du riz et des mabawa (ailes de poulets), deux aliments importés à presque cent pour cent mais constituent paradoxalement le plat quotidien de beaucoup de comoriens. Une honte pour un peuple souverain et aspirant bientôt à l’émergence.
Il est donc urgent que l’on s’arrête un moment pour penser à une politique agricole et un système alimentaire durables.
Il s’agirait tout d’abord d’organiser les paysans, sensibiliser la jeunesse pour un retour vers l’agriculture et la pêche. Il faut noter que deux tiers de la population comorienne vit en milieu rural et que 56 % est constitué de jeune de moins de 20 ans. Un potentiel énorme pour un développement agricole soutenable et durable. Ensuite :
- Faire une situation de référence sur les potentialités des régions en termes de filière agricoles, de type de sol et de ressources autres que terrestres (production animale terrestre et halieutiques)
- Créer des lycées agricoles pour former les jeunes très tôt aux métiers de l’agriculture et de l’entreprenariat agricole.
- Enrichir la faculté des sciences par des curricula de formation en relation avec l’agriculture, les sciences agronomiques, la pêche et l’aquaculture et l’entreprenariat.
- Redynamiser les écoles professionnelles de pêche et aquaculture abandonnées et créer d’autres dans tout le pays.
- Créer des coopératives paysannes et mettre en place des Domaines Agricoles Régionaux (DAR) où l’on concerterait les cultures en fonctions des spécificités et potentialités des régions. Je reviendrai en profondeur sur ces DARx
- Réorganiser les sociétés par la création d’une économie circulaire sociale et solidaire avec des marchés d’échanges communautaires adjoints aux DARx où l’on vendrait et échangerait les produits des récoltes des différents terroirs à des prix consensuels.
- Financer la mise en place des forages et de bassins de rétention des eaux pluviales pour assurer la disponibilité de l’eau et assurer une agriculture toute l’année.
- En fin, accepter et se résigner du fait que le pays est dirigé par des gens qui n’ont aucune vision sur les politiques agricoles, et apparemment aucune envie de s’y investir durablement mais qui, heureusement ont très peu d’emprise sur les terres et les côtes marines. Ce qui laisse la possibilité aux communautés de se prendre en charge en s’organisant à l’échelle des communes et des régions.
Pour financer ce plan d’autosuffisance alimentaire et de recouvrement de la dignité du peuple, les maires, à travers leurs compétences et pouvoirs délocalisés, les chefs de villages et les organisations paysannes peuvent trouver facilement des fonds à travers un partenariat public-privé et à travers l’appui des structures étrangères qui n’attendent que la mise en place d’une telle organisation et avec des objectifs clairs et un schéma d’exécution bien réfléchi.
La transformation des fonds du « grand mariage » en Grande-Comore, par exemple en “social business » serait aussi une source de financement non négligeable. Par exemple, serait notable, celle ou celui qui aurait apporté un tracteur au village ou qui aurait co-financé la construction d’un forage ou d’une école. Toutes ces actions sont plus nobles et moins coûteuses que les festivités et futilités des quelques jours du grand mariage.
Les terres n’ont pas changé, elles sont là, elles n’ont pas émigré non plus, elles sont là patientes à attendre les hommes revenir vers eux pour leur propre bien et celui des générations futures.
Un pays souverain commence sa souveraineté par sa capacité de produire sa propre nourriture ou au moins une grande partie de celle-ci. On peut le faire comme disait l’autre : “yes we can”
Professeur CHARAHABIL Mohamed Mahamoud
Écologue – botaniste
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