« C’est notre culture, on doit la préserver, la conserver, pour garder notre identité ». Lorsqu’elle parle du grand-mariage..Un mariage lourd à porter
UN MARIAGE LOURD À PORTER
« C’est notre culture, on doit la préserver, la conserver, pour garder notre identité ». Lorsqu’elle parle du grand-mariage, Chipinda est sincère. Passionnée, même. Car pour elle, il s’agit d’une richesse plus que d’un fléau. C’est pour ça qu’elle aussi, un jour, fera le grand-mariage. « C’est inscrit en moi », dit-elle pour se justifier. Armia aussi le fera. Aturia, elle, n’est pas sûre. Très critique la semaine dernière vis-à-vis des lourdeurs économiques de cette coutume, elle avoue à demi-mot que oui, elle le fera, « si ma mère veut bien me le payer ! »
Critiqué, le grand-mariage l’est sans cesse. Surtout par les jeunes. Mais respecté, effectué, le grand-mariage l’est aussi, toujours, de tous temps. La preuve avec Aturia, qui semble ne trouver aucun avantage au grand-mariage… mais qui ne refusera pas de le réaliser. Comme le dit joliment Damir Ben Ali, « les jeunes critiquent la tradition, c’est leur façon d’exister, mais quand ils sont vieux, ils se marient, c’est leur façon d’exister »… C’est que le grand-mariage revêt, dans la société comorienne, une importance de premier ordre. Selon Damir Ben Ali, il représente « l’étape cruciale du cursus du anda » (il faut entendre par cette dernière notion l’accomplissement de l’homme dans le cycle vital). Ainsi, il « met en action toutes les structures des groupes familiaux et de la communauté sociale durant plusieurs semaines » (Tarehi n°1).
Donc, ces trois demoiselles se plieront à la tradition. Sans amertume. « C’est une richesse de notre société, il faut la conserver à tout prix », continue Chipinda. Le poids social de cette coutume ne la dérange pas. Pour elle, c’est normal que les personnes qui ont fait le grand-mariage aient un rôle à jouer dans la société. Elle y trouve même certains avantages : « Sortez dans la rue, allez dans les villages, vous verrez que les jeunes respectent les anciens. Ça, c’est grâce au grand-mariage. Il y a un vrai respect dans notre société, parce qu’il y a ces statuts, justement. Moi, si un notable me dit de faire quelque chose, je le ferais ».
Antuf, jeune homme qui assure qu’il ne fera jamais « ce truc », est à des années-lumières de cette vision. Pour lui, « le respect des anciens se gagne grâce à l’éducation, pas au grand-mariage ». Ce qui le dérange ? « La base même du grand-mariage. Pourquoi quelqu’un qui se marie avec une femme, en lui offrant de l’or, serait meilleur qu’un autre pour prendre des décisions, pour imposer son point de vue ? Diriger un village, cela doit se mériter par l’intelligence, l’action, la réflexion, pas par l’argent ». Selon lui, « c’est un héritage féodal qu’il faut éliminer.
Tant qu’on aura ces vieux à la tête de nos villages, on n’avancera pas, parce qu’un vieux ne prône pas le changement, surtout quand il est riche ». Aturia va plus loin : « Si un ministre va dans un village pour faire un discours et qu’il n’a pas fait le grand-mariage, personne ne l’écoutera ! Cela ne devrait pas être au grand-mariage de décider qui peut avoir du pouvoir. Pour avoir une place dans la société, il faut avoir fait quelque chose dans ta vie. »
Pour Antuf, ce système d’organisation sociale « est forcément voué à l’échec… La preuve : est-ce que la société comorienne va bien ? » La solution : « Arrêter cette pratique ». Pourtant, le grand-mariage est à l’origine « un système relativement égalitaire de promotion sociale », comme l’indiquait en 2002 Damir Ben Ali dans Tarehi n°6. Egalitaire, le grand-mariage ? Peut-être moins aujourd’hui qu’hier. « C’est vrai que c’est devenu individualiste », se désole Chipinda. « Mais cela va changer. Seulement ça se fera pas en un clin d’œil ».
Et Aturia de revenir à la charge : un autre problème est lié au grand-mariage. Si poids social trop lourd il y a, il se trouve, selon elle, dans la situation des femmes. « Cette coutume, c’est le déclin de l’évolution de la femme comorienne », lance-t-elle. « L’aînée de la famille n’a aucune liberté, elle ne peut pas aller à l’école, ne peut pas voir des garçons, parce qu’elle est réservée pour le grand-mariage ? Ça va à l’encontre de l’égalité hommes/femmes. » Chipinda de répondre : « Mais selon notre religion, la femme doit être sous les ordres de son mari. »
Immanquablement, le débat dévie sur les problèmes de société en général. La preuve que le rejet par de nombreux jeunes du grand-mariage n’est pas forcément lié à l’acte lui-même, mais à ce qu’il représente, à savoir la société coutumière comorienne. S’opposer au grand-mariage, c’est, en quelque sorte, s’opposer à la société et ses défauts, avoue lucidement Antuf. Voire, s’opposer à ce destin qui semble avoir été tracé sans leur avis. Comme le dit Chipinda : « Le grand-mariage, ça fait partie de ma lignée de vie ».
Nous avons évoqué la semaine dernière l’évolution économique du grand-mariage. Qu’en est-il de son poids social ?
A l’origine, le grand-mariage entrait dans un ensemble de manifestations qui marquaient les étapes du cycle de vie de chaque individu(le anda na nila, ndlr). Le mariage était une étape importante. Car il permettait à l’individu de changer de statut. Avant, il était socialement un individu « mineur » – on les appelait les « enfants du village », ou les...Lire la suite sur MuzdalifaHouse
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