Un arrêté signé ce 28 mai 2022 par les ministres en charge respectivement des Hydrocarbures, de l'Eco..Quelle politique énergétique pour les Comores ?
Quelle politique énergétique pour les Comores ?
Un arrêté signé ce 28 mai 2022 par les ministres en charge respectivement des
Hydrocarbures, de l'Economie et des Finances fait flamber les prix des
produits pétroliers. Les prix au litre du gas-oil, du pétrole lampant et de
l'essence passent respectivement de 450 à 650 francs (44,44%), de 250 à 350
francs (40%) et de 600 à 700 francs (25%).
Au-delà du désarroi et de notre colère légitime, il est de notre devoir
d'examiner la politique énergétique suivie par notre pays depuis des décennies
et la gestion des entreprises publiques de ce secteur vital pour comprendre
les ressorts de cette augmentation sans commune mesure du prix des produits
pétroliers. La conjoncture internationale a bon dos.
Les tensions sur le marché des hydrocarbures sur fond de guerre entre la
Russie et l'Ukraine ne font qu'aggraver les conséquences de choix
gouvernementaux désastreux et d'une mauvaise gestion de la Société Comorienne
des Hydrocarbures (SCH) et de la Société Nationale de l'Electricité (SONELEC).
A titre de rappel, la SCH collecte au profit de l'Etat la TIPP (taxe
intérieure pour les produits pétroliers) à raison de 230 francs par litre
d'essence et 115 francs par litre de gasoil. Cette taxe génère au profit de
l'Etat une manne de plus de 11 milliards de francs par an. L'Etat consomme de
très grandes quantités de carburant qu'il ne règle jamais à la SCH. Sa facture
de carburant et le produit de la TIPP font l'objet de croisement de dettes à
l'issue duquel il reste toujours redevable de grosses sommes vis à vis de la
SCH.
Le Trésor public ne dispose pas parfois de ressources suffisantes pour
supporter la gabegie de l'Etat. Le ministre des Finances demande alors à la
SCH de régler les dépenses de l'Etat en lieu et place du Trésor public. Ces
dépenses étrangères au fonctionnement de la SCH s' ajoutent aux créances
irrécouvrables relatives à la consommation de carburant de l'Etat et mettent à
mal sa trésorerie.
Ceux qui invoquent outre mesure la conjoncture internationale pour justifier
cette hausse brutale du prix des produits pétroliers prise sans mesures
d'accompagnement semblent ignorer que d'autres choix existent aussi bien en
matière de fixation des prix réglementés qu'au sujet de la politique
énergétique ou de la gestion des finances publiques.
C’est l’Etat comorien qui tue sa vache à lait avec ses grosses factures de
carburant impayées et les dépenses somptuaires qu’il lui impose et non la
guerre russo-ukrainienne. L'Etat peut modérer la hausse des tarifs des
produits pétroliers sans compromettre la santé financière de la SCH en
s’abstenant de faire supporter par la SCH des dépenses qui ne sont pas utiles
à son activité, en bannissant la pratique peu orthodoxe du croisement des
dettes, en réglant rubis sur ongle sa consommation de carburant et en
réduisant son train de vie. Mieux gérée et délestée des créances
irrécouvrables vis-à-vis de l’Etat et des dépenses somptuaires que celui-ci
lui impose, la SCH peut vendre ses produits aux particuliers à des tarifs
abordables sans compromettre son équilibre financier.
Des pays nettement plus riches, des pays qui "ont émergé" depuis longtemps,
pour reprendre une chanson très en vogue en ce moment aux Comores, font preuve
de sobriété. Comment alors un pays comme le nôtre qui croupit dans les
bas-fonds de la pauvreté peut se permettre un gaspillage pharaonique de ses
maigres ressources ?
L’Etat doit diminuer drastiquement sa consommation de carburant. Le quota de
carburant alloué aux responsables politiques et aux hauts fonctionnaires doit
être réduit. Par ailleurs, il doit être mis fin à l’usage des tickets de
carburant car il donne lieu à des abus. Les véhicules de fonction et de
service doivent s’approvisionner à des points de livraison bien spécifiés au
moyen de carnets dédiés à leurs consommations. Une fois le quota atteint, le
bénéficiaire de la voiture de fonction ou de service doit régler sa
consommation avec ses propres deniers.
Il est tout aussi urgent de sauver le soldat SONELEC victime également de
mauvaise gestion, qui croule sous le poids des factures impayées relatives à
la consommation d’électricité « prise en charge » par l’Etat et qui passe
toujours pour le dindon de la farce du croisement des dettes. En effet, la
SONELEC est exonérée de la TIPP pour ses achats de gas-oil à hauteur de 80
francs le litre. L’Etat est censé prendre en charge les consommations
d’électricité pour ses bureaux mais aussi pour les domiciles d’un certain
nombre de responsables politiques et administratifs. La réalité est que l’on
trouve parmi les logements pris en charge des domiciles de personnes dont le
statut professionnel ou politique ne devrait pas leur permettre de bénéficier
de cet avantage en nature. Et que le croisement entre les dettes de l’Etat
relatives à sa consommation de courant et les dettes fiscales de la SONELEC se
fait toujours au détriment de cette dernière.
Il est urgent de mettre fin aux abus observés dans les consommations
d’électricité « prises en charge » par l’Etat. Ce dernier doit prendre en
charge uniquement les consommations des bureaux. Cette mesure permettra
d’améliorer le taux de recouvrement et sera salutaire pour la trésorerie de la
SONELEC.
Les politiques et les fonctionnaires qui paieront eux-mêmes leurs factures
d’électricité feront un usage raisonnable des climatiseurs. Cette économie
d’énergie induira une baisse de la consommation nationale d’électricité qui
lorsqu’elle se conjugue avec une baisse drastique de la consommation de
carburant de l’Etat permettra de mieux maîtriser la facture énergétique du
pays.
Les dirigeants avisés mettent à profit les crises subies par leurs pays pour
interroger leurs modèles économiques et pour engager des réformes. Beaucoup de
pays font de la maîtrise de l’énergie un objectif stratégique. Que
faisons-nous dans ce domaine aux Comores à part les sempiternels séminaires au
Golden Tulip à Moroni et nos innombrables voyages aux quatre coins du globe
sous couvert de participation à des réunions internationales ?
Pourquoi l’Etat n’interdit pas l’importation des ampoules à incandescence trop
gourmandes en énergie au profit d’ampoules économiques(exemple les LED) ? Ce
serait une opération gagnant-gagnant pour le consommateur qui diminuerait le
montant de sa facture (en France, on peut économiser jusqu’à 60 euros par an
soit 29527 francs comoriens en utilisant des ampoules LED au lieu des ampoules
à incandescence) et pour la SONELEC dont les clients, à usage constant,
solliciteraient moins de puissance aux groupes électrogènes, étant entendu que
90% de la puissance des ampoules classiques ne sert pas à l’éclairage
proprement dit mais est dissipée sous forme de chaleur.
Pour terminer, il convient de préciser que le coût exorbitant du gazole
contribue à la fragilité de la SONELEC d’autant plus que les groupes
électrogènes qu’elle utilise actuellement sont inadaptés à une utilisation
permanente pour la fourniture d’électricité car ils sont très rapides (1500
tours /minute) et donc très gourmands en gazole. Ils nécessitent par ailleurs
beaucoup d’entretien. Ce sont en fait des groupes de secours utilisés dans les
chantiers. Le fioul lourd est de loin plus rentable que cette source
d’énergie.
Par ailleurs, à l’instar du gazole et contrairement aux énergies
renouvelables, le fioul lourd offre une grande flexibilité d’utilisation qui
permet de répondre rapidement et précisément à la demande. Il faudrait ajouter
que la production d’électricité ne dépend pas de conditions extérieures autres
que l’approvisionnement en combustible (l’énergie solaire, par exemple, ne
fonctionne pas s’il n’y a pas de soleil). Pour toutes ces raisons, il est
urgent de faire du fioul lourd l’énergie de base des Comores, de mener à son
terme la projet de construction de centrale au fioul lourd dont la puissance
installée envisagée est de 20 mégawatts et de veiller à utiliser un fioul
lourd à très basse teneur en soufre (TTBTS : inférieur à 0,5%) pour réduire
drastiquement les risques de pollution.
Le gazole et les énergies renouvelables doivent être considérés comme des
énergies d’appoint. Le recours aux énergies renouvelables permettra non
seulement de maîtriser le coût de revient de l’électricité mais aussi de
réduire la facture énergétique du pays et de préserver l’environnement. Il
faut mener à leur terme les projets de réhabilitation des centrales
hydro-électriques à Ndzouani et à Moili. A cet effet, le gouvernement doit
lancer un ambitieux programme de reboisement des bassins des cours d’eau afin
de remédier à leur assèchement.
Abdourahamane Cheikh Ali
COMMENTAIRES