Ce qu’on sait sur la tentative supposée de putsch à Madagascar Sept suspects, dont deux de nationalité française, ont été placés en détentio...
Sept suspects, dont deux de nationalité française, ont été placés en détention, alors que des perquisitions ont permis de saisir diverses « preuves matérielles ».
Le président malgache, Andry Rajoelina, a-t-il échappé à un coup d’Etat ? Un peu plus de deux semaines après l’arrestation des auteurs présumés, le mystère reste entier sur la réalité et les motivations de ce projet de déstabilisation.
La procureure de la République près la cour d’appel d’Antananarivo, Berthine Razafiarivony, a justifié ces interpellations par l’existence de « preuves matérielles en [sa] possession ». Les perquisitions ont permis à la justice de saisir des « correspondances électroniques, 900 millions d’ariary [environ 194 000 euros], un fusil à pompe calibre 12, du matériel informatique et deux véhicules Nissan ». D’après les documents retrouvés, le projet aurait été baptisé « Apollo 21 » parce qu’il devait se tenir le 21 juillet. Plusieurs personnalités auraient été visées en plus du chef de l’Etat.
Présentés comme les « cerveaux » de l’affaire, le Franco-Malgache Paul Rafanoharana et le Français Philippe François ont été placés en détention provisoire avec cinq autres suspects, mercredi 4 août, après leur audition par une juge. Les chefs d’inculpation n’ont pas été rendus publics. Ils relèveraient de l’atteinte à la sûreté de l’Etat, du complot pour élimination physique du président de la République et de l’association de malfaiteurs. Au total, 21 personnes ont jusqu’à présent été entendues dans le cadre de l’enquête, dont plusieurs généraux en activité.
Un projet ourdi par deux militaires à la retraite ?
Paul Maillot Rafanoharana, 57 ans, est une personnalité bien connue des cercles du pouvoir et des milieux d’affaires. Ce Franco-Malgache, qui a fait sa carrière dans la gendarmerie française, se présente sur sa page LinkedIn comme conseiller, depuis 2013, de l’archevêque d’Antananarivo, Odon Razanakolona, et coach pour un « accompagnement individuel ou collectif des chefs d’entreprise et des décideurs publics ».
Dandy longiligne d’une grande culture et orateur habile, son nom avait été évoqué au début de l’année pour remplacer le premier ministre, Christian Ntsay, dont les relations avec le chef de l’Etat se sont, de façon notoire, dégradées. L’option avait semble-t-il les faveurs de l’Eglise. Elle était d’autant plus plausible qu’Andry Rajoelina et l’ancien élève de Saint-Cyr se connaissent bien. Ce dernier avait rejoint en 2010 l’homme fort de la Haute Autorité de la transition en tant que conseiller diplomatique, avant de prendre ses distances un an plus tard en dénonçant, dans une interview donnée au quotidien L’Express de Madagascar, « les luttes d’influence qui se jouent dans son entourage ».
En décembre 2020, Paul Rafanoharana avait lancé le fonds d’investissement Tsara First, dont Philippe François – le deuxième principal suspect de l’affaire – était le directeur général jusqu’en juin. Agé de 54 ans, ce colonel à la retraite ayant notamment opéré au Tchad vivait depuis un an et demi à Madagascar. Il a été arrêté dans la salle d’embarquement de l’aéroport d’Ivato alors qu’il s’apprêtait à quitter définitivement le pays. Il se trouve depuis jeudi, lui aussi, à la prison de haute sécurité de Tsiafahy.
Une entreprise pétrolière mise à contribution ?
C’est certainement l’élément le plus troublant, sinon le plus extravagant, du récit qui filtre au compte-goutte depuis le 20 juillet.
Russell Kelly, le directeur général de Madagascar Oil, a assuré, après avoir été auditionné par la justice, que le singapourien Benchmark Group, actionnaire majoritaire de sa société, avait reçu un mail signé de Paul Rafanoharana lui demandant la somme de 10 millions d’euros pour renverser le régime jugé « autocratique ». Une opération qui permettrait à Madagascar Oil de sauver les 500 millions de dollars (environ 422 millions d’euros) investis dans l’exploitation du plus grand gisement de pétrole lourd de la Grande Ile, ajoutait le message. Créée en 2004, la société détient en effet les gisements ofshore de Tsimiroro.
Russell Kelly a assuré que l’entreprise n’avait pas répondu à cette demande. L’un de ses proches conseillers a cependant été placé en détention : il s’agit de Victor Ramahatra, 76 ans, ancien général à la retraite et ancien premier ministre de Didier Ratsiraka. Il a été inculpé d’atteinte à la sûreté de l’Etat, complot pour élimination physique du chef de l’Etat et association de malfaiteurs, d’après une source proche du dossier. Le mail, dont des éléments partiels ont circulé dans la presse malgache, n’a jusqu’à présent pas été authentifié.
Le rôle de l’Eglise catholique questionné
Bien qu’il ait rapidement démenti tout lien avec Paul Rafanoharana, l’archevêque Odon Razanakolona a été entendu par les enquêteurs le 29 juillet. Le même jour, le président de la République a reçu les hauts dignitaires de l’Eglise catholique au palais d’Iavoloha pour « discuter des affaires nationales ». Le cardinal Désiré Tsarahazana a réaffirmé à cette occasion que l’Eglise condamnait toute forme de déstabilisation politique et « ne soutenait aucun candidat à la primature ».
Mais « l’Eglise a toujours eu un rôle politique à Madagascar », rappelle Juvence Ramasy, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Toamasina. En 2009, l’archevêque, en tant que président de l’influent Conseil des églises chrétiennes de Madagascar (FFKM), avait pris part à la médiation entre Andry Rajoelina et son prédécesseur, Marc Ravalomanana, pour trouver une issue à la crise. Récemment, il s’est montré très critique envers la politique d’Andry Rajoelina, exhortant le pouvoir à faire davantage pour lutter contre la pauvreté et la famine qui sévit dans le sud du pays.
Le président Andry Rajoelina fragilisé
Cette tentative supposée de putsch intervient dans un contexte délétère marqué par la crise économique et la gestion très contestée de la pandémie de Covid-19 par le chef de l’Etat. Les frontières sont maintenues fermées depuis bientôt deux ans et l’économie locale est exsangue. Une famine d’une gravité inédite s’est installée dans le sud de Madagascar et aucune réponse à la hauteur du drame n’a jusqu’à présent été apportée. Les autorités ont en revanche durci leur attitude contre toutes les voix critiques, n’hésitant pas à faire pression sur les journalistes ou les scientifiques.
A deux ans de la fin de son mandat, le plan Emergence sur lequel Andry Rajoelina avait fait campagne en 2018 reste à l’état d’ébauche. Les barrages de Volobe et Sahofika ou le terminal de Ravinala Airports sont autant de grands investissements à l’arrêt depuis des mois. Le 25 août, Andry Rajoelina est néanmoins attendu à l’université d’été du Medef, à Paris, où il doit faire un des discours d’ouverture devant le patronat français.
Le président Andry Rajoelina passe en revue les troupes malgaches à Antananarivo lors de la célébration de l’indépendance du pays, le 26 juin 2021. RIJASOLO / AFP
Laure Verneau (Antananarivo, correspondance du journal LeMonde)
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