Le Prince Saïd Ibrahim était-il vraiment opposé à l’Indépendance ?

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Le Prince Saïd Ibrahim était-il vraiment opposé à l’Indépendance ?   Avant-propos  :    S’il est vrai  que  je suis le petit-fils du Prince ...


Le Prince Saïd Ibrahim était-il vraiment opposé à l’Indépendance ?

 

Avant-propos 

 

S’il est vrai que je suis le petit-fils du Prince Saïd Ibrahim du côté paternel, je tiens à rappeler que je suis aussi le petit-fils de Saïd Ali Dahalane du côté maternel, ancien gouverneur de Ngazidja et un des plus proches soutiens et collaborateurs du Docteur Saïd Mohamed Cheikh qui est aussi mon grand-oncle. Leur proximité était telle qu’il est dit que ce dernier ne pouvait constituer son gouvernement sans avoir au préalable consulté le premier pour obtenir son aval. 

 

A cause de ces liens familiaux, j’ai longuement hésité à m’exprimer sur le sujet traité dans cet article. Des amis ont réussi à vaincre mes réticences, estimant que ces liens ne devraient pas constituer un obstacle. Au contraire, pour eux les faits présentés ci-après ne peuvent être tus car ils sont susceptibles de contribuer à une meilleure compréhension de notre histoire, de notre présent et éventuellement aider à une meilleure appréhension de l’avenir de notre chère patrie.

 

Malgré tout mon effort d’objectivité, cela n’empêchera pas ceux qui sont de mauvaise foi de me faire des procès d’intention.

 

C’est pourquoi j’invite le lecteur de cet article à juger les faits présentés ci-après et rien que les faits, à les vérifier, avant de juger son auteur. 

 

--- x ---

 

Un adage universel dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Napoléon Bonaparte le complétait en affirmant que « l’histoire est un tissu de mensonges sur lesquels on se met d’accord ». Nous allons examiner à travers cet article à quel point ces deux assertions se confirment dans le cas de notre pays. 

 

En effet, mis à part les quelques courts intermèdes progressistes (deux ans avec le prince Saïd Ibrahim, quelques mois pour M. Saïd Mohamed Djaffar et deux ans pour M. Ali Soilih), c’est un système féodal qui règne sans partage depuis plus de 70 ans, sous différentes étiquettes mais toujours avec l'esprit et les pratiques du parti "vert".

 

On comprend donc assez aisément pourquoi notre histoire, même la plus récente, a subi autant de travestissements.

 

Ceux-ci ont pour but de dissimuler l’incurie et les multiples forfaitures des autorités successives et de les décharger ainsi de leur responsabilité sur les échecs cuisants que ne cesse de subir notre chère patrie. De charybde en Scylla, notre pays a atteint ainsi le fond de sa déchéance avec l’actuel président Assoumani Azali Boinahéri. Nous venons de célébrer notre 46ème anniversaire d’indépendance sous une dictature sanglante, le règne de l’arbitraire, une corruption inégalée, un pays fracturé, des pénuries alimentaires à répétition, une inflation galopante, etc.

 

Des contre-vérités sont assénées et transmises de génération en génération, au point qu'elles sont devenues des "vérités" évidentes et incontestables aux yeux des plus jeunes, faute de versions alternatives.

 

C'est ainsi qu'on a fait accroire à des générations entières que le prince Saïd Ibrahim était opposé à l'indépendance. Qu’en est-il vraiment ?

 

Certains sites et blogs citent régulièrement des personnalités qui se sont exprimées pour l’indépendance à partir du milieu desannées 1960 en les présentant comme des pionniers. Or, la première personnalité politique à évoquer l'indépendance fut le prince Saïd Ibrahim en 1958, lors du référendum d'auto-déterminationCe n’était pas une opinion exprimée en privé mais une prise de position officielle. 

 

En effet, constatant l'absence de réalisations majeures de la France aux Comores durant sa relative longue présence, le Prince Saïd Ibrahim a fait campagne pour l'indépendance. Il était si populaire à Mayotte que le vote en faveur de l'indépendance y a été majoritaire. Quant au Dr Saïd Mohamed Cheikh, il opta pour le statu quo. Ainsi, lors d'un discours à la place Badjanani, mon grand-oncle maternel Mohamed Dahalane, soutien du DrSMC, reprochera le Prince SI de vouloir « habiller un bébé d'un dragila avec tout l'apparat qui va avec (gros turban, épée, poignard, médailles, etc.) ». Selon Mohamed Dahalane, « ce bébé est condamné à tomber. » Autrement dit, pour le Dr SMC et ses partisans, le pays n’était pas prêt pour l’indépendance.

 

Fin 1961, la France octroya aux Comores le statut d'autonomie interne (TOM). Le Prince SI a eu l'intelligence et l'humilité de se raviser et de se joindre à la position plus réaliste du Dr SMC. Malgré leurs divergences de vue, ces deux grands hommes d'État avaient en commun un amour sans bornes pour la patrie et un désintérêt pour l'enrichissement personnel (contrairement à tous leurs successeurs, à l'exception dM. Saïd Mohamed Djaffar et de M. Ali Soilih). C'est pourquoi il leur a été facile de mettre de côté leurs égos pour former une union sacrée afin de préparer l'accession de notre pays à l'indépendance en le dotant du minimum nécessaire en infrastructures et en ressources humaines.

 

En effet, c’est à partir de ce moment, où notre pays a commencé à parler d’une seule voix, que la France a daigné nous accorder quelques infrastructures, principalement à Ngazidja (le collège régional de Moroni devenu plus tard Lycée Saïd Mohamed Cheikh, l’aérodrome Moroni-Iconi, des réseaux électriquesdes routes bitumées, etc.). 

 

A la mort du Dr SMC en mars 1970, le Prince SI, en tant que président de la chambre des députés assura pour un tempsl’intérim. Ensuite, il fut élu à l’unanimité président du Conseil de gouvernement en avril 1970. Malgré sa brièveté, la présidence du Prince SI fut marquée par la paix sociale et la rapidité dela mise en place de plusieurs infrastructures sur l’ensemble de l’archipel, notamment à Mayotte et à Mohéli, deux îlesparticulièrement marginalisées et délaissées sous le règne de son prédécesseur : en plus de la création de notre premier aéroport international (l’actuel AIMPSI), la mise en place de la première barge  assurant la liaison entre Grande-Terre et Petite-Terre à Mayotte, les premiers forages pour la prospection et l’exploitation des nappes phréatiques pour pallier au manque de cours d’eau à Ngazidja, l’extension des réseaux routiers et électriques, le lycée de Mutsamudu, les collèges de Mamoudzou, de Fomboni, de Mitsamiouli, de Foumbouni, etc. 

 

En effet, la façon d’être du Prince SI séduisait et inspirait spontanément confiance à ses interlocuteurs. C’est donc grâce à sa personnalité, à l’estime et à la confiance dont il jouissait auprès du Président Pompidou qui savait mieux que quiconque les liens d’amitié qui existaient entre le Prince SI et le Général de Gauleet aussi et surtout à sa bonne gouvernance qu’il a pu obtenir assez aisément des fonds pour lancer en si peu de temps autant de chantiers. A titre d’exemple, le Fonds Européen de Développement (FED) n’a pas hésité à lui accorder une enveloppe de neuf milliards de FCFA. C’était la première fois que ce Fonds octroyait aux Comores une somme aussi importante. 

 

Au moment où pour éviter de finir leurs derniers jours dans une longue agonie à l’hôpital El-Maarouf, devenu un véritable mouroir, des familles entières se ruinent pour se faire soigner à l’étranger, n’est-il pas utile que les Comoriens sachent que ces drames auraient pu être évités ? En effet, malgré la jalousie etl’hostilité vivaces du lobby réunionnais avec à sa tête M. Michel Debré (député de l’île de La Réunion), le Prince SI avait réussi à convaincre le Président Pompidou de créer un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) aux Comores. Le site avait été choisi (la ville de Bahani dans l’Itsandra pour sa fraîcheur) et les fonds débloqués. Il devait constituer le plus grand hôpital de référence pour toute la région de l’Océan indien, en remplacement del’Hôpital Girard et Robic de TananariveIl était prévu qu’il soit dirigé au début par des Français métropolitains en attendant la formation sur place du personnel soignant, des cadres et des techniciens chargés de sa gestion, de sa logistique et de son entretien, etc. C’est une majorité de nos propres députés qui s’y est opposée. A leurs yeux, il était inadmissible qu’un tel centre hospitalier ne soit pas dirigé par des Comoriens. Ironie du sort,après notre indépendance à la moindre maladie certains de ces politiciens allaient se faire soigner en France ou à défaut à La Réunion, et maintenant à l’île de Mayotte. 

 

Notre premier aéroport international a failli subir le même sort. Le projet initial était ambitieux. Profitant de notre position géographique, il consistait à construire un grand aéroport qui aurait servi de plateforme (hub) pour les vols régionaux et internationaux. Avec ce flux important de passagers, il était prévu de créer des zones de « duty free ». Cette idée sera reprise plus tard par l’émirat de Dubaï et fera sa fortune. A cause de l'opposition de notre classe politique de l'époquele Prince SI a dû batailler ferme pour arracher difficilement le projet a minimaactuel. 

 

La présidence du Prince SI fut aussi et surtout marquée par sa volonté de guérir les vexations et les rancœurs accumuléesdu passé en associant à la gestion de l’État les meilleurs des enfants des quatre îles en se gardant d’en exclure aucune afin de consolider le sentiment national déjà mis à mal dès cette époque. C’est ainsi qu’il gagna l’adhésion des responsables politiques de Mayotte à sa politique. Son gouvernement compta notamment deux Mahorais en son sein. Ce retour des Mahorais dans l’ensemble comorien n’était pas du tout apprécié par le Haut-commissaire français, M. Mouradian, alors en place. Dès lors, cet homme (le Prince SI) en passe de refaire l’unité des Comores et qui obtenait des crédits aussi facilement de la France devenait sa cible.

 

Le Prince SI était conscient que durant les neuf années précédentes d’autonomie interne, les Comores avaient pratiquement été négligées par la France. Mais, il était conscient également de l’état précaire du pays et de son inaptitude à l’indépendance immédiate. C’est pourquoi il demanda au peuple un délai maximum de cinq ans pour préparer les cadres susceptibles de gérer cette indépendance pour laquelle il s’engageait sur l’honneur à respecter le délai. Dans un discours tenu en 1972 à Iconi et resté célèbre, il déclara cette phrase qui lui a été fatale« accordez-moi 3 à 5 ans pour recouvrer notre souveraineté car il ne peut y avoir d'indépendance politique sans indépendance économique ! » Bien entendu, certains partis dont le Molinaco (basé à Dar-Es-Salam) et le Pasoco (Parti Socialiste Comorien) qui étaient pour l’indépendance immédiate trouvèrent long ce délai et accusèrent le Prince SI d’avoir partie liée avec la France. 

 

Les réseaux Messmer, Debré etc., proches des militaires, ont compris que l'indépendance des Comores était devenue inéluctable. Leur priorité était de garder l'île de Mayotte et son lagon pour des raisons géostratégiques évidentes. Compte tenu de l'affaiblissement politique du Président malgache, déjà malade, Philibert Tsiranana, et donc des risques croissants d'un avènement imminent au pouvoir de ses adversaires, résolus à nationaliser la base navale de Diego-Suarez, l’installation d’une base navale à Mayotte devenait cruciale pour le contrôle du canal de Mozambique. Cette volonté de nationalisation de la basenavale de Diego-Suarez avait été clairement exprimée dès 1967 par M. André Resampa lors du 11ème congrès du parti PSD, ceci dans le cadre d'une révision prévue des accords franco-malgaches. 

 

Le vote massif de 1958 des Mahorais en faveur de l'indépendance ne s'était pas encore effacé de la mémoire collectiveLa popularité du Prince Saïd Ibrahim dans cette belle île constituait un obstacle à leurs objectifsLeur homme lige, M. Mouradian, saisit cette occasion pour détourner un certain nombre de jeunes députés qui avaient pour chef de file M. Mouzaoir Abdallah, eux-mêmes alliés des anciens partisans du Dr SMC (dont M. Ahmed Abdallah alors à la fois député local et sénateur). 

 

L’artifice utilisé par M. Mouradian était de faire accuser le Prince SI sur le plan interne d’être un « valet de la France », pendant que parallèlement il envoyait à Paris des rapports incendiaires l’accusant d’être un dangereux nationaliste.

 

Il savait aussi que les Mahorais vouaient une haine à M. Ahmed Abdallah (car ancien bras droit du Dr SMC). Pour preuve, durant sa présidence, le Dr SMC a voulu une fois se rendre à Mayotte, son avion a dû rebrousser chemin suite à une manifestation sur le tarmac et de jets de pierres. La stratégie du Haut-commissaire était donc d’amener M. Ahmed Abdallah à la présidence du Conseil de gouvernement, certain que dans cette éventualité les Mahorais allaient se rétracter, ou tout au moins ne pas accepter une indépendance avec M. Ahmed Abdallah comme Président de la République.

 

Ainsi, en juin 1972 le Prince SI était censuré à la majorité des 2/3 des députés. Après une courte période transitoire, M. Ahmed Abdallah est élu président du Conseil de Gouvernement par cette même assemblée.

 

Immédiatement, un grand nombre de jeunes cadres, révoltés par ce qu’ils considéraient comme une injustice, se rassemblèrent autour du Prince SI et formèrent un parti politique appelé l’UMMA dont le but essentiel était de défendre ses idées.

 

Dans le bureau politique de ce parti, outre une dizaine de jeunes cadres assez brillants (dont un Mahorais : M. Adrien Giraud), il y avait M. Ali Soilih et mon propre père, Si Mohammed Naçr-Ed-Dine.

 

L’action du parti UMMA fut d’un dynamisme fulgurant. En 1974, ce parti devient largement majoritaire. Après la signature des « accords de Paris » en 1973pratiquement tous les partis militaient pour l’indépendance. Néanmoins, constatant la corruption endémique et les dérives dictatoriales déjà présentes sous ce premier mandat de M. Ahmed Abdallah, se forma presque aussitôt le Front National Uni (FNU), engagé dans une opposition résolue contre ce dernierCette alliance regroupera en plus du UMMA, d’autres partis progressistes, notamment le MPM avec Adrien Giraud, l’Ujamaa avec Mohamed Hassanaly, RDPC avec Saïd Mohamed Djaffar et Saïd Bacar Saïd Tourqui, le PASOCO avec Saïd Ahmed Saïd Ali (Charif) et Ali Bourhane, PEC-MOLINACO avec Taki Mohamed Omar, Objectif Socialiste avec Abdoulmadjid Youssouf, etc. 

 

Des pourparlers sont entamés pour notre accession à notre indépendance avec le parlement français qui n’y est pas opposé mais pose un préalable. 

 

Ce préalable, c’est l’élection d’une assemblée constituante à la proportionnelle, cela afin de clarifier l’échiquier politique comorien, largement bouleversé depuis les dernières législatives qui remontaient à 1971.

 

M. Ahmed Abdallah qui, en mars avait voulu procéder à des élections communales qui se sont soldées par un échec cuisant (moins de 20% des voix) ne voyait guère d’un bon œil la perspective d’élections à la proportionnelle. 

 

C’est pourquoi, poussé (ou manipulé ?) par ce lobby français cité plus haut (lobby proche des militaires qui souhaitait accaparer l’île de Mayotte), il convoque la chambre des députés le 06 juillet 1975. Malgré l’absence des députés de Mayotte, il fait proclamer par la totalité des députés présents l’indépendance des Comores.

 

Il y a un fait curieux qui n’a jamais suscité le moindre intérêt de la part de nos historiens : quelques jours avant la proclamation unilatérale de l’indépendance, M. Ahmed Abdallah a acheté des dizaines d’hectares de terrain à Mayotte. Était-ce une simple coïncidence ou une forme de spéculation foncière ? 

 

Quelles que soient les circonstances discutables dans lesquelles se sont déroulés ces événements majeurs pour l’histoire de notre pays, quelles que soient les motivations des uns et des autres, nous ne pouvons regretter d’avoir recouvré notre souveraineté, même si elle reste inachevée. Cela, d’autant plus que nous ne pouvons pas refaire l’histoire.

 

Néanmoins, il me semple que ce pan de notre histoire mérite d’être mieux étudié et mieux connu du plus grand nombre afin de mieux cerner les enjeux actuels. Il est en effet plus facile de critiquer nos frères et sœurs mahorais, de les vilipender, de leur donner des leçons de morale, etc. que de s'interroger sur les raisons de la colère qui les a poussés à faire le choix (contestable au regard du droit international) de rester dans le giron français, après avoir été en 1958 en faveur de l'indépendance, contrairement aux trois autres îles.

 

Des erreurs ont été commisesMalheureusement, elles n'ont pas été suffisamment analysées pour en tirer des leçons. Nous préférons nous réfugier dans des discours dogmatiques et démagogiques, éloignés de toute forme de pragmatisme.

 

La vérité est souvent amère. Un travail d'introspection est toujours douloureux car il nécessite une grande humilité, une capacité à admettre ses erreurs et donc à se remettre en question.

 

Ce travail n'a (hélas!) jamais été fait. 

 

Le résultat a été l'émergence de forces centrifuges dès le début des années 1990 avec la tentative séparatiste des Mohéliens en 1992 suivie aussitôt par celle des Anjouanais. Cette dernière a pris une tournure dramatique à partir de 1997 à cause de son instrumentalisation politicienne par les leaders du FORUM, avec le soutien de réseaux occultes de l'extrême-droite française, dans le seul but de déstabiliser le Président Mohamed Taki.

 

Nous en subissons encore les conséquences aujourd'hui. 

 

Notre chère Nation est en lambeaux, l'État ruiné, les institutions en faillite totale, etc.

 

La faute ne revient ni aux Mahorais, ni aux Mohéliens, ni aux Anjouanais, ni aux Grand-Comoriens, mais aux mauvaises politiques de nos dirigeants.

 

Il est donc temps que les hommes et les femmes de bonne volonté apprennent à transcender les origines insulaires ou villageoises, les différences sociales, les divergences de vue etc. et à raisonner en tant que Comoriens fiers de l'être et soucieux de notre destin commun..car « Errare humanum est, perseverare diabolicum. »

 

M. Barakat Naçr-Ed-Dine

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