C’est une « situation sanitaire qui dépasse l’entendement ». Pour les spécialistes du paludisme à Madagascar, la recrudescence à l’échelle n...
C’est une « situation sanitaire qui dépasse l’entendement ». Pour les spécialistes du paludisme à Madagascar, la recrudescence à l’échelle nationale des cas de cette maladie parasitaire mortelle, jusque dans des zones habituellement dites à faible transmission comme sur les Hauts-Plateaux, inquiète énormément. Plusieurs zones subissent en ce moment des épidémies confirmées.
Entre 2019 et 2020, certains districts de l’île, du Grand Sud notamment, ont enregistré des taux d’augmentation de contamination de plus de 400%. La malaria, une tueuse silencieuse qui a causé en 2020 plus de décès que le Covid-19 et qui gagne du terrain depuis une décennie – preuve, pour certains, de l’échec de la lutte contre le paludisme.
« Le 3 janvier, mon cousin est décédé du paludisme. Il avait 31 ans, il était ingénieur agronome, il travaillait pour une instance internationale, à Farafangana. » Cette petite ville côtière du sud-est de Madagascar et foyer habituel de la maladie enregistre depuis un an une recrudescence des cas de contaminations.
« Il connaissait tout du palu, il dormait sous moustiquaire. Fin décembre, il a eu mal à la tête, il est monté à Tana pour des examens, raconte Dina. Il s’est fait hospitaliser le 2 janvier et il est décédé le lendemain. Dans les analyses, les médecins ont trouvé une charge paritaire très, très élevée, signe d’un paludisme très grave. En deux jours, mon cousin est mort. Ça nous rappelle à quel point le palu est une maladie qui ne blague pas et qui sévit toujours ici à Madagascar. »
Partout sur l’île, les retours du personnel soignant témoignent d’une situation alarmante comme celui de cette médecin en poste dans le Grand Sud, à cheval entre la ville de Tuléar et la brousse. « La situation est très préoccupante parce que ça tue les gens, dit-elle. C’est surtout le paludisme grave qui cause des décès. Cette explosion des cas est plus grave que l’année précédente, parce qu’on a beaucoup plus de cas de palu graves. Et des cas de palu simples également. »
Rupture de stock d’antipaludiques injectables – l'artésunate – et manque cruel de moustiquaires imprégnées. Le personnel de santé des zones enclavées pointe du doigt un manque de moyens malgré les engagements du Programme national de lutte contre le paludisme.
Au ministère de la Santé, on ne nie pas le facteur aggravant du Covid-19 sur une situation déjà difficile. « L’année dernière, la présence de la pandémie a eu un impact majeur au niveau de la lutte contre le palu parce qu’on a eu du mal à exécuter notre stratégie de lutte », affirme Dr Raphaël Hotahiene, directeur de lutte contre les maladies transmissibles.
« Nous avons eu des problèmes par rapport à l’approvisionnement de notre fournisseur de Chine jusqu'à Madagascar parce que quand la pandémie a été déclarée, toutes les activités de transport ont eu des restrictions. Si bien qu’au début du mois d’octobre, on était déjà en période de haute transmission, et les intrants continuaient d’arriver en retard sur l’île.
Après, ce n’est pas parce qu’il y a eu le Covid-19 qu’on a laissé les gens mourir du palu, c’est pas ça. Mais il y a eu une défaillance par rapport à la communication et à la sensibilisation de la part des autorités sanitaires. Et c’est pour cela que ça fait partie de notre stratégie en 2021 de renforcer ces deux aspects-là », indique le Dr Raphaël Hotahiene.
Pour les épidémiologistes de l’île, la mauvaise gestion et le détournement des fonds destinés à la lutte contre la maladie ainsi que le trafic d’intrants – censés être gratuits pour les malades –, seraient les causes du manque de résultats sur terrain depuis près de 10 ans. Conscient de ce problème majeur, le ministère de la Santé vient de lancer un audit pour trouver l’origine des malversations.
Le ministère reconnait par ailleurs une sous-estimation des décès dus au paludisme, la plupart d’entre eux ayant lieu au sein des communautés, dans des zones très enclavées, dans lesquelles les malades ne se sont jamais déplacés vers un centre de soin pour obtenir un traitement.
Par Sarah Tétaud, correspondante de RFI à Antananarivo
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