Yasser est né à Mayotte. Il est donc français. Pourtant la police l’a expulsé vers Anjouan. Pour se justifier la préfecture assure que l’ado...
Yasser est né à Mayotte. Il est donc français. Pourtant la police l’a expulsé vers Anjouan. Pour se justifier la préfecture assure que l’ado aurait menti sur son âge, son lieu de naissance et se serait volontairement fait expulser.
Yasser (1) paraît encore abasourdi par ce qui lui arrive. L’adolescent de 17 ans, scolarisé au lycée de Dzoumogné à Mayotte, est français. Pourtant, le 26 mars dernier, il a été expulsé vers Anjouan, par la police aux frontières (PAF). « En voyant le bateau [qui l’a transporté vers Anjouan], j’ai eu un choc », raconte-t-il au téléphone. « Je cherchais un stage à Mamoudzou, quand j’ai été arrêté pour un contrôle d’identité » explique l’élève en lycée professionnel. Je n’avais pas mes papiers, juste ma carte de bus et une lettre du lycée. J’ai dit aux policiers que j’étais français et mineur, ils ne m’ont pas cru. »
Au centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte, la police lui fait signer un papier, lui notifiant ses droits en rétention. Sur ce document que StreetPress a pu consulter, le lieu et l’année de naissance inscrits ne sont pas les bons. Le jeune est vieilli de deux ans et devient alors majeur. Il n’est plus né à Mamoudzou comme l’affirme son extrait de naissance mais à Dindri, une petite commune d’Anjouan.
De son côté, la préfecture de Mayotte assure que tout est de la faute du jeune homme. Nathalie Gimonet, la sous-préfète qui coordonne la politique de lutte contre l’immigration clandestine, est formelle :
« Cette personne n’a pas indiqué qu’elle était française, ni indiqué qu’elle était mineure. Il a déclaré une date de naissance qui a fait penser qu’il était majeur. Il a déclaré un lieu de naissance dans les autres iles des Comores sans indiquer qu’il était français. »
Selon les éléments transmis à la sous-préfète par la PAF, il se serait même « présenté de lui-même au CRA dans le cadre d’un départ volontaire ». À savoir, une personne qui se rend volontairement devant le CRA, généralement avec ses valises, pour se faire notifier une obligation de quitter le territoire et être embarquée dans un bateau vers les Anjouan.
La préfecture refuse d’organiser son retour
À la question de savoir si le cas de Yasser aurait pu échapper à la vigilance des associations présentes sur place, un juriste du CRA répond que « c’est assez courant que les associations n’aient pas le temps de voir tout le monde au centre de rétention. La situation de Yasser est révélatrice de la rapidité des procédures et du fait que les vérifications d’identité sont très mal faites. On se retrouve souvent au CRA avec des mineurs ou avec des Français. »
La sous-préfète, se déclare « surprise » d’avoir été saisie tardivement du cas de Yasser. Une preuve de plus allant dans le sens d’un départ volontaire, selon elle. « Pourquoi la famille a mis autant de temps [11 jours] avant d’alerter sur la situation ? » Seulement, elle se garde de préciser que l’adolescent n’est plus pris en charge par la famille, mais par l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
La préfecture refuse donc que l’État s’occupe du retour de Yasser. Dans un e-mail adressé aux associations, la sous-préfète explique :
« Les services n’ont reçu aucune information relative à la minorité de l’intéressé ou à sa nationalité française. Dans ces conditions, le retour de M. Yasser H.* ne peut incomber à l’État. »
C’est donc, dit-elle à StreetPress, à « l’entourage du mineur de prendre en charge son retour. » Une position qui scandalise Solène Dia, coordinatrice de La Cimade à Mayotte : « Non seulement il est français, mais la préfecture lui fait porter le chapeau. On est sur un jeune qui a fait toute sa vie à Mayotte, qui est de nationalité française et à qui on fait porter la responsabilité en disant qu’il s’est présenté au CRA. C’est le monde à l’envers ! »
Ce n’est pas la première fois qu’elle voit un Français se faire expulser. « Je me souviens du cas d’un jeune qui avait des difficultés à parler. Il a été expulsé et deux semaines après, il revenait en kwassa – ces petits bateaux de pêcheurs qui relient clandestinement Anjouan à Mayotte – pour récupérer son certificat de nationalité. »
« J’ai déjà raté trois semaines d’école, je ne suis pas tranquille »
De son côté, Yasser est inquiet pour ses études. Il se dit affolé et énervé par la situation. « Je ne connais pas les autres iles des Comores, j’ai passé toute ma vie à Mayotte. Je veux partir. Je ne veux pas rester trop longtemps ici, moi j’en peux plus. Je veux retourner à Mayotte pour continuer mes études, j’ai déjà raté trois semaines d’école, je ne suis pas tranquille. Je veux juste sortir d’ici. » Il a même pensé à prendre un kwassa avant d’être dissuadé par une membre de La Cimade. Trop dangereux.
Le Défenseur des droits a été saisi de la situation. « L’affaire est en cours d’instruction. On est en contact avec les services de la préfecture et le ministère des Affaires étrangères », affirme Didier Lefèvre, le chef de pôle régional du Défenseur des droits pour la Réunion et Mayotte. Il est plus habitué à être alerté pour « des questions de rattachement fictifs de mineurs à des adultes au moment d’une reconduite à la frontière. » Un Français éloigné, la situation est peu courante.
Trois semaines après son expulsion, Yasser a eu un rendez-vous avec le consulat de France à Anjouan. Il espère que celui-ci va lui délivrer rapidement un laissez-passer et faciliter son retour à Mayotte. Abdou-Lihariti Antoissi, le directeur de l’Aide sociale à l’enfance à Mayotte, se veut rassurant. Il travaille en lien avec la diplomatie française et comorienne et l’assure, bientôt « le jeune devrait pouvoir prendre le chemin du retour à Mayotte. » Aucune date n’est encore arrêtée.
(1) le prénom a été modifié
Par Yoram Melloul ©streetpress.com
Photo d’illustration : Une patrouille de la gendarmerie française sur la plage de Sakouli ©Alvaro Canovas
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