À Madagascar, une décision interministérielle datée du 22 avril interdit les manifestations publiques et la diffusion de plusieurs émissions...
À Madagascar, une décision interministérielle datée du 22 avril interdit les manifestations publiques et la diffusion de plusieurs émissions radiophoniques et audiovisuelles « susceptibles de troubler l’ordre et la sécurité publiques et nuire à l’unité nationale », sur fond de crise sanitaire. Ce texte cible plus précisément des émissions interactives, avec des interventions téléphoniques d’auditeurs, et celles contenant des débats politiques.
Ce ne sont pas moins de neuf émissions qui sont interdites de diffusion par le gouvernement, à compter d’hier, vendredi 23 avril, et ce pendant toute la durée de l’État d’urgence sanitaire (quinze jours). La liste, précise le texte, est « non limitative », c’est-à-dire qu’elle pourra être rallongée.
Émissions concernées : Aoka Hazava (Viva radio), Anao ny Fitenana (Free FM), Tambatra miara-manonja tena izy (Viva Radio, Viva TV, Free FM, Alliance FM, Taratra FM, Kolo TV, Kolo FM), Miara-manonja (MBS, Az, Soa Radio), Kapotandroka (IBC), Invité du jour (Real TV), Ça me dit (RTA), Don-dresaka (TV Plus), Rivotra (RDJ).
La décision est signée par le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, le ministre de la Sécurité publique, le ministre de la Communication et de la Culture et le secrétariat d’État chargé de la Gendarmerie.
Un «abus de pouvoir» pour Ravalomanana
Elle laisse abasourdi Joël Ralaivaohita, le directeur de publication de la chaîne MBS, propriété de l’ex-président Marc Ravalomanana et leader du parti TIM, qui fait partie des chaînes visées par le texte : « C’est une entrave à la liberté d’expression. On ne voit pas le lien entre la lutte contre la pandémie et cette interdiction de diffusion. Si c’était une bonne idée, une telle mesure aurait été prise dans différents pays du monde, et ça n’est pas le cas. »
Les chaînes MBS, IBC, Real TV, Soa Radio et AZ radio vont déposer une requête auprès du Conseil d’État lundi et faire une lettre aux différentes représentations diplomatiques, précise-t-il.
L’ex-président Marc Ravalomanana a lui publié un communiqué hier en fin d’après-midi. « Le pouvoir actuel profite de cette situation pour pouvoir asseoir une dictature qui ne dit pas son nom mais qui est bien une dictature, car les mesures prises, qui plus est par décision interministérielle, l’ont été en violation de la Constitution et des lois de la République, et constituent un “abus de pouvoir” caractérisé », affirme-t-il avec inquiétude. Contacté par téléphone, il précise vouloir lui aussi alerter les différentes représentations diplomatiques présentes dans le pays.
Me Hanitra Razafimanantsoa, députée et n°2 du parti TIM, qualifie elle aussi ces mesures de « dictatoriales ». « Tout citoyen, quel que soit son bord, doit avoir le droit de s’exprimer, surtout en temps de pandémie. »
Pour Gérard Rakotonirina, le président de l’ordre des journalistes de Madagascar, « c’est une entrave claire et nette à la liberté de la presse. Alors que le pays est en pleine crise du coronavirus, est-ce vraiment la priorité ? Cibler les émissions où les citoyens peuvent participer n’est pas anodin, c’est un mépris de démocratie et un signal inquiétant pour le pays. Cette décision va à l’encontre de l’article 10 et 11 de la Constitution, ainsi que l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Pas la première fois
Les émissions ciblées par la décision interministérielle sont toutes diffusées sur des chaînes privées qui sont de différentes couleurs politiques : on trouve des chaînes d’opposition bien sûr, mais aussi des chaînes pro-pouvoir.
« C’est à la fois subtil, et à la fois ça ne l’est pas, réagit Faraniaina Ramarosaona, coordinatrice de la plateforme ROHY, qui regroupe plusieurs organisations de la société civile. Le gouvernement veut se donner l’excuse de l’impartialité, mais en réalité, cela reste de la censure pure et dure. Nous sommes revenus à l’ère "ratsirakiste" avec des méthodes de censure qui diffèrent sur la forme. Espérons que l’exécutif ne s’en prenne pas aux réseaux sociaux. »
Ce n’est pas la première fois que le pouvoir se crispe durant la pandémie. Vendredi 5 février au soir, la chaîne MBS avait déjà été suspendue sur les trois bouquets satellitaires de l’île, à la suite d’une décision de l’État prise par ordonnance, parce qu’elle enjoignait les gens à se révolter et diffusait de fausses nouvelles, selon les motifs de l’ordonnance.
Dans le dernier rapport de l’ONG Reporters sans frontières, sur l’état de la liberté de la presse, publié en début de semaine, Madagascar chute ainsi de la 54ème à la 57ème place. « La crise sanitaire a aussi été l’occasion d’un tour de vis sur le débat public, avec l’interdiction des interventions en direct des auditeurs et l’obligation pour tous les médias audiovisuels privés de diffuser les émissions consacrées à la pandémie sur les antennes et les ondes des médias publics », peut-on notamment lire dans le rapport.
Texte par : Laure Verneau ©RFI - Vue du marché Pochard, centre-ville d'Antananarivo. Bilal Tarabey / RFI
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