Chronique de la brutalité sous confinement : la politique de la terreur à Mayotte

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Chronique de la brutalité sous confinement 2/ la politique de la terreur Sous prétexte de lutter contre l'habitat insalubre, une guerre ...


Chronique de la brutalité sous confinement 2/ la politique de la terreur

Sous prétexte de lutter contre l'habitat insalubre, une guerre contre les pauvres est déclarée. Irruption dans les maisons, lancers de bombes lacrymogènes pour extraire des familles sous le choc. Démolition sans relogement préalable. Deux habitantes témoignent du harcèlement qu'elles subissent. La responsabilité de l’État dans le niveau de violence qui secoue Mayotte est clairement engagée.

Pour l’opinion publique, tout a commencé dès le début du week-end par des actes de vandalisme causés par des jeunes gens de Koungou, village au nord de Mamoudzou, chef-lieu du département, en réaction à la démolition programmée du quartier Caroboina[1]. Les représailles ordonnées par un préfet va-t’en-guerre furent particulièrement sévères. Il faut savourer les mots belliqueux du préfet. 

Non content de détruire des quartiers pauvres - pour une raison humanitaire soi-disant d’insalubrité et d’indignité - et de jeter à la rue des familles entières, il surenchérit aux remous que produit sa politique de la terre brûlée. Dans un entretien accordé au journal local Mayotte-hebdo, il plastronne dans des menaces dont voici une petite anthologie[2] : « Ils ne seront pas les plus forts. » - « Nous allons démontrer que la force restera dans les mains de l’État de droit et non dans celle des barbares ». – Assurant que la démolition de quartier de Caroboina sera maintenue « à la date et dans l’envergure prévues », croit utile d’insister : « nous allons effacer ce quartier ».

La démonstration sans conteste fut impressionnante : lundi, mardi et mercredi toutes les forces de Mayotte ont engagé une véritable guerre contre la population pauvre. Quadrillage du village de Koungou, contrôle de la totalité de la population, emploi de la terreur contre les habitants du quartier Caroboina, Jamaique dont la démolition serait prévue le mardi 9 mars. La tactique consiste à encercler le secteur, et pour contraindre les familles à sortir des maisons par des lancers grenades lacrymogènes dans les habitations à travers la petite fenêtre latérale ou à défaut en défonçant la porte. Mamans, enfants, bébés, en panique et suffocant, étaient alors poursuivis, interpellés et emmenés sous escorte jusqu’au dépôt à Majicavo-Lamir, village voisin, pour contrôle des papiers et éventuellement conduite au centre de rétention.

Que monsieur le préfet ambitionne de résorber l’habitat insalubre, l’intention serait louable si elle ne masquait pas une guerre implacable aux pauvres et aux étrangers. L’habitat indigne représente près de la moitié de l’habitat de Mayotte. Comment en serait-il autrement sur un territoire où le revenu médian n’excède pas 260 euros et où seulement un tiers de la population âgée de 15 à 64 ans dispose d’un emploi ?[3]. Mais pourquoi rajouter sans cesse à la misère ? La loi ELAN prévoit le relogement des personnes privées de toit pour raison d’insalubrité. Cette obligation n’est assurément pas respectée. Cette semaine, l’association chargée du relogement aurait informé les familles être en incapacité de remplir cette mission faute de logements disponibles. Personne dans le quartier n’était aujourd’hui en mesure de dire où elle dormira mardi soir prochain. 

Monsieur le préfet sait que la bonne formule consiste à loger d’abord, détruire ensuite. Procéder à l’inverse lui permet de terroriser. Croit-il rassurer ainsi la population locale ou métropolitaine effarée par sa politique ? De toute évidence il ne craint pas de mettre tout le monde en danger par la misère où il plonge des familles entières. Il faudra bien qu’elles survivent pourtant. Lui-même reconnait dans le Canard enchaîné du 3 février que « les conditions très dures » dans lesquelles le confinement a « plongé des dizaines de milliers de familles (…) ont entraîné des actes d’appropriation de richesse ».

Aujourd’hui parole est donnée à deux femmes de génération différente dont la vie est emportée et privée de perspective à court terme par les décisions et la brutalité préfectorales. En premier lieu, une jeune femme âgée de 19 ans, de nationalité française, mère d’une petite fille d’un an, élève en classe de terminale au lycée de Kaweni. Elle habite avec le père de son enfant dans une petite maison en tôle dans le quartier Jamaïque. Elle fait part de son incompréhension dans les événements qui se profilent. Une seule certitude borne son avenir : sa maison sera détruite mardi. Seule la démolition fut l’objet d’une décision administrative. Aucune des obligations de protection des populations sinistrées n’ont fait l’objet de mesure. Pour elle, sa famille, ses voisins, débrouillez-vous si vous pouvez.

* * *

« Je suis née en 2002, j’ai à peine 19 ans, je suis née à Mayotte, je vis depuis ma naissance dans ce quartier de Caroboina, Jamaïque. Je suis l’aînée de huit enfants. Je suis en terminale. Je passe le bac cette année.

« Ils ont coupé la lumière, ils ont coupé l’eau. On est en confinement, on a besoin de l’eau. On n’a rien à manger, on ne reçoit aucun bon alimentaire. On nous sort de nos maisons. Les gens n’ont nulle part où habiter. Le journal raconte que c’est nous qui cherchons la guerre. Mais c’est nous qui avons été agressés, Depuis trois jours la police rentre dans les maisons avec les chiens, elle casse les portes, elle lance des grenades lacrymogènes pour faire sortir les mamans et les enfants, les bébés. 

Ça m’a blessée parce que j’ai peur pour mon enfant, parce que j’ai un enfant, il a un an. Elle est française et moi aussi je suis française. Le papa il a peur parce qu’il n’a pas encore eu de titre de séjour, ça fait longtemps qu’il demande. En plus il s’occupe bien de nous. Nous sommes ensemble depuis que j’avais 13 ans et ça me fait mal de le voir courir dans les forêts, et j’ai peur qu’on l’attrape. Sans lui je ne peux pas. Il n’est pas français. Si on l’attrape je deviens quoi et mon bébé ? Ça me fait du mal. En plus il s’occupe bien de moi.

Ça me fait du mal. Ça me fait du mal qu’on entre comme ça dans les maisons, comme si nous étions des voyous. C’est des familles, des mères avec des enfants. Il y a des petits enfants qui sont nés en 2021, que les mères emmènent dans les forêts pour les protéger. Les mères elles ont peur des gaz pour les petits. Car les mères, elles sont dans les maisons, et la police elle vient dans les maisons, elle lance des gaz pour les faire sortir. C’est dur les gaz, ça fait mal, même nous les grands on souffre, alors pour les petits ! C’est pourquoi elles sont toutes parties dans les forêts.

Il faut nous aider. Ceux qui sont dans les forêts, ils n’ont même pas à manger. Ils se réveillent à quatre heures, ils montent dans les forêts, ils descendent ici à 18 heures. Ils n’ont rien à manger à la campagne, ils n’ont pas d’eau. Il y a beaucoup de gens, ils ont peur du sirkali[4]. Ils ont peur de la police, ils ont peur des gaz, ils ont faim. Moi je suis ici, mais il y a des gens qui m’appellent, « ici on a faim, t’as pas préparé à manger ? » Et moi ça me fait mal.

En tant que française, je ne suis pas fière, parce que mes amies me disent : « oui c’est vous qui décidez qu’on doive partir d’ici ». Mais mon père est anjouanais, ma mère aussi. « Mais si, c’est vous les mahorais qui dites à la police de venir nous chercher. » Mais moi je suis née ici, c’est mon quartier, j’ai grandi là jusqu’à maintenant. On nous accuse, nous qui avons les papiers, que c’est nous qui disons aux gendarmes de venir. Mais moi je ne veux pas partir, c’est mon quartier malgré que ce soit un bidonville. Ce n’est pas notre faute car on n’a rien, on n’a nulle part où aller.

En France, je suis déjà allée en France, en 2018, la France c’était magnifique. Mais la France et Mayotte ce n’est pas pareil. J’ai de la famille qui me dit d’aller là-bas, mais je ne veux pas laisser ma mère qui court avec ses sept enfants.

A quatre heures, ils rentrent dans les maisons et nous chassent, et moi ça me fait mal. Parce que je suis née ici, je suis française et on me chasse. C’est quoi ça ? C’est la France ? On nous fait partir, et je suis française. On ne nous donne rien à manger, on ne nous donne pas où loger, et je suis française. Et je dois voter. J’ai des droits aussi. J’ai des devoirs je sais. Mais eux aussi. Ce n’est pas ça, la France, je ne suis pas fière.

Franchement je ne suis pas fière de ce qu’il se passe en ce moment et de ce qu’on nous fait, parce que je ne vois pas ce que j’ai comme droits.

Je suis en terminale, je prépare le bac et je ne peux pas étudier parce qu’il n’y a pas la lumière, il n’y a pas d’eau. Même pas la lumière pour faire mes devoirs, il n’y a rien. On m’a donné des devoirs, et le prof, il m’a dit quoi ? « Si tu peux, tu fais, si tu ne peux pas, laisse ».

Parce qu’il n’y a pas de lumière, il n’y a pas d’eau pour laver nos mains et il y a le confinement. Et cela ça me choque. Parce qu’il y a le confinement à Mayotte, et on nous sort. C’est quoi ça ? Il y a une maladie et on nous sort. Au lieu de nous aider, ils ont coupé direct l’eau. Et on boit l’eau de la rivière. Je ne suis pas fière de cela.

Ce que je dis là, je ne suis pas contente. Je suis déçue de ce que j’ai appris à l’école sur les valeurs de la France. Mais non. Parce qu’aujourd’hui on a le logement, mais demain on va nous sortir. C’est grave. On nous donne une maison pour trois semaines et après on doit partir. On va où après ? Trois semaines et on te dit : « pars ». On va où ? Moi aussi j’ai des droits. Le problème c’est ça, moi aussi j’ai des droits, j’ai envie de voter. On nous dit de payer des impôts. Mais on fait quoi pour nous ? Il y a des gens qui s’enfuient en France. Parce que là-bas, il y a des logements, il y a de l’aide. Moi j’aimerais m’enfuir aussi mais j’ai ma famille. Sans le père de mon enfant, je ne peux pas. Parce que c’est lui qui nous donne à manger, c’est lui, c’est lui qui nous donne des cahiers, c’est lui qui nous donne de l’argent. Même s’il ne bosse pas, mais il fait de son mieux.

J’ai de la famille qui m’a appelée hier, ma tatie qui est en France, « venez, je vous envoie le billet, tu viens ici avec ta fille ». Sans son père je ne peux pas partir. Mais depuis qu’il y a les bagarres, on me dit « viens, même si t’as pas le billet, je te le donne, viens ». Et ma mère, je fais quoi avec ma mère, je la laisse ? Et mes petites sœurs, je les laisse ? C’est moi, la grande, je ne peux pas partir comme ça. Mais c’est ma famille, le père de mon enfant. Je dis non. Si t’as quelque chose à me donner envoie de l’argent. C’est tout ce dont j’ai besoin. L’argent pour manger.

Tu peux dire aux gens que dans le quartier, il y a des français et qui ne sont pas fiers. Moi aussi j’ai demandé une maison à la CAF[5], on ne m’a pas répondu. Même hier encore j’ai appelé la CAF, j’ai appelé la SIM[6], ils ont dit à propos de mon dossier, non ce n’est pas nous, c’est la DEAL[7] qui se charge de ça. Hier j’ai demandé car je ne peux pas attendre, j’ai nulle part où aller. J’avais une maison où attendre mais là je n’ai plus d’abri. « Si vous avez une solution pour moi, appelez-moi ». Mais là ils répondent, « on ne peut rien faire pour toi », c’est ça la France. On ne peut jamais rien faire pour nous. Qu’on soit français ou anjouanais, c’est pareil, il n’y a rien à faire. Au lieu de dire, « on va voir, on va regarder ton dossier », on te vire direct. On ne sait pas quoi faire. Ce n’est pas nous qui cherchons les problèmes. Mais c’est ça la France.

Je ne suis pas fière. Je ne suis pas contente. A la SIM, ils savent que c’est urgent. A la CAF, j’ai demandé depuis décembre. Et moi, j’attendais tranquillement jusqu’à ce qu’on nous dise de partir. Et je vais où ? Je ne sais pas quoi faire. Quand je réclame ma maison on nous dit « non ce n’est pas nous ». On nous dit d’appeler la police, et quoi ? Moi j’ai besoin d’un abri pour mettre mes affaires, mon lit, amener ma fille.

Elle n’est pas là, je l’ai confiée à ma tatie pour qu’elle soit en sécurité. Son père, il n’est pas là, il a peur, il est parti je ne sais pas où. Ma famille n’est pas là, ça me fait du mal d’avoir dû me séparer de ma fille. En plus c’est les vacances, j’espérais profiter de ma fille pendant les vacances et du père de mon enfant, on était tranquille. Mais c’est comme ça. Tout a basculé. Ça me fait du mal et le père de mon enfant qui s’enfuit à cause de la police. Et ma fille que je suis obligé d’envoyer chez sa tatie parce qu’il y a les gaz.

Même moi en tant que française, on m’a envoyé les gaz. Dans la maison j’étais cachée avec ma fille. Je vois qu’ils vont passer, avec les grenades là. Je vois les gaz qui rentrent dans les maisons. Dans les maisons de tôles il y a des fenêtres. La police, elle lance les grenades par la fenêtre. Si t’as pas ouvert la fenêtre et la porte, ils tapent sur ta porte, et t’as vu les portes ce n’est pas solide, ils lancent le gaz dans la maison. Pour que les gens sortent. Ils ont fait ça dans toutes les maisons. Si les gens ne sortent pas ils cassent la porte. Parce qu’il y a des mamans qui prennent de l’eau et mettent des châles pour se protéger et ne sortent pas. La police elle casse toutes les portes et elle rentre. Elle sort les gens et les emmènent au dépôt et les contrôle. Si t’as pas les papiers, on ne te lâche pas.

C’est dur. La police, elle lance les gaz dans les maisons, et après elle court derrière les gens qui sortent. Tu vois les mamans avec tous les enfants qui n’arrivent pas à courir, qui s’étouffent à cause du gaz. Ils attrapent les enfants, ils attrapent la mère au lieu de regarder tout de suite (si la famille a ou non les papiers -) ils les emmènent. On les emmène à Majicavo, au dépôt pour les contrôles et après au centre de rétention si les gens n’ont pas les papiers avec eux. »

* * *

Voici pour finir voici le témoignage d’une maman de huit enfants, l’aînée française par déclaration, les quatre plus jeunes de père français. Elle est née en 1984, est en situation régulière avec un titre de séjour qu’elle doit renouveler tous les ans. Elle a un emploi en CDD renouvelable tous les ans qui lui permet de toucher un salaire mensuel proche du SMIG. Actuellement en congé de maternité depuis quatre mois, elle n’a touché à ce jour aucune indemnisation de la Caisse de sécurité sociale. Malgré sa solvabilité, elle n’est jamais parvenue à obtenir un logement social. Elle habite elle aussi dans le quartier Jamaïque.

« En ce moment je suis à droite à gauche je ne sais pas où aller, je ne suis pas dans la maison depuis avant-hier parce qu’avec les gaz c’est dangereux. Là je suis à côté chez une voisine. Aujourd’hui je suis allée en bas, à la mairie parce que le maire hier il a dit que celui qui est en situation régulière, il serait relogé. Alors j’y vais avec mes enfants, il a juste pris note et le numéro de téléphone, et le nom, et il dit « on va t’appeler. L’Acfav[8] elle va t’appeler. Mais l’Acfav, elle était déjà venue et je suis déjà dans la liste des personnes qu’il faut reloger. Mais tout le monde il a été appelé, moi non. Moi ça fait quatre ans que j’ai la carte de séjour. Des séjours d’un an, et un an et un an… Moi ça fait longtemps que j’habite dans ce quartier, mais avant il y a eu la terre qui a glissé, on est partis, on nous a foutus dehors, et on est retourné ensuite dans nos maisons.

Maintenant je ne sais pas où je vais aller. Là je sauve mes affaires, mon frigo, mon lit, ma télé, c’est chez ma voisine à côté. Les vêtements des enfants, le matelas, je les ai montés dans une petite maison en haut, c’est le même quartier mais ça ne sera pas détruit. Parce que je n’ai pas d’argent pour louer une maison. En plus je viens d’accoucher, il est né en décembre, j’ai eu deux enfants avec le même père, mais celui-là non plus ne s’occupe pas des enfants. Il m’a laissée lorsque le bébé je l’attendais depuis quatre mois. Il a reconnu quand même l’enfant. 

Il me téléphone de temps en temps pour demander comment ça va mais il ne donne jamais rien. C’est difficile d’avoir de l’argent mais moi j’ai travaillé. Avant l’accouchement j’ai travaillé, j’ai fait le ménage dans une entreprise, j’étais déclarée, je travaillais la semaine, parfois il me donnait le mille, après 800 euros, 900 euros. Je suis en congé depuis le mois de novembre. Et depuis le mois de novembre que je suis en congé je n’ai rien touché. J’ai droit mais je n’ai rien touché. C’est difficile avec les enfants. J’ai fait mon dossier à la sécurité sociale et je n’ai rien touché. C’est souffrance. Avec les enfants.

J’ai huit enfants, et j’ai l’enfant aussi de ma tante, une enfant que j’ai accueillie à l’âge de deux ans. J’étais aux Comores, en voyage et j’ai vu ma tante et son enfant qui n’allait pas à l’école, sans rien, j’ai eu pitié d’elle. C’est comme ma fille alors je l’ai accueillie ici à Mayotte. Et je l’ai mise à l’école.

En ce moment comme tu vois, y a la police partout. A chaque coin, il y a trois polices ou gendarmes, à chaque coin. Ma fille aussi vient de me téléphoner qui me dit que la police est en train de monter ici. J’ai peur aussi. J’ai peur parce que je n’ai jamais rien vu comme ça. C’est grave. Les lacrymogènes. C’est la panique en fait. Il y a les enfants. On ne sait pas où ça va se passer. On n’est pas dans un endroit tranquille. Pour les enfants on ne sait pas comment on va faire. Rien, rien du tout, on ne sait pas, même pour manger.

Je fais partie d’une association qui s’appelle « Coup de pouce ». A chaque vendredi parfois, on nous donne un bon d’alimentation de 20 euros. Ou 40 euros. Je vis avec ça. C’est ça qui me fait vivre par semaine en ce moment. A chaque vendredi ils me donnent un bon d’achat de 20 euros, mais vendredi dernier on m’en a donné deux. J’achète un peu de riz, un peu de lait, un peu de sardines. Pour le bébé, les couches et le lait, c’est une semaine sur deux. Une semaine, c’est le lait et les couches et le reste je n’achète pas. L’autre semaine, c’est un peu de riz et de sardines, c’est ça que je fais. C’est comme ça que je me débrouille. Je fais à mesure comme ça.

C’est grave ici. Je ne vis pas. Même les jeunes ici j’ai peur. J’ai peur qu’ils vont me blesser. Les jeunes qui font la guerre ici, j’ai peur, je n’ose pas sortir. Moi-même on m’a dit : « toi, toi », parce que à « Coup de pouce », on met le gilet, on met la tenue, on met le gilet orange qui est marqué au dos « Coup de pouce, Mais lundi je suis pas allée. Je suis bénévole. On fait des rondes ici à Koungou, on regarde, au collège de Koungou, on fait la sortie des écoles. Mais maintenant j’ai peur, parce que tu sais nous ici il y a un chef, qui s’appelle N, qui est le chef de trois bénévoles, un médiateur avec trois bénévoles. Le médiateur, lui on le paie. On lui paie un salaire. Mais nous c’est le bon d’achat. C’est rien mais on fait avec.

Je reprends le travail en mai. Et mon contrat il va finir en juillet. Je ne crois pas que ça va continuer. Parce que on a perdu beaucoup de chantiers, on a perdu le SFR[9], on a perdu beaucoup de chantiers. Je ne crois pas que je vais continuer parce que même mes collègues ont déjà été licenciés.

Quand le quartier sera démoli, ce sera trop tard. Si je veux récupérer mes tôles, c’est maintenant ou jamais. Mais si je les ai récupérées, je vais où après avec les tôles. C’est un travail d’homme. Moi si je veux récupérer les tôles, j’ai besoin d’aide. Parce que c’est beaucoup d’argent que j’ai mis là. Ça m’a couté sept cent, huit cent euros, les tôles. Je n’ai pas fait le calcul de tout parce que j’ai acheté petit à petit, mais ça a couté. Deux mille au total. C’est quelque chose. Les hommes qui m’aident, ça m’a couté 20 euros, ou quelqu’un que je connais bien, ça m’a couté 10, quelqu’un que je connais bien ou la famille. Mais mon frère, il m’a aidée, mais je ne paye pas. Parce que quand il a besoin de quelque chose, je donne aussi. Moi je me demande où je vais aller, sortir mes tôles. Je ne sais pas. Comment je vais faire ?

En ce moment je me demande, si je les récupère, je vais aller où avec ? Si je laisse démolir, ça va me briser le cœur. Ça je ne peux pas. Je ne suis pas tranquille dans ma tête en ce moment. La semaine prochaine, ça va être difficile. Quand t’as plus de maison, hein. Parce que même en ce moment, la maison est là, mais je ne vis pas dedans. Je vis comme ça à gauche à droite. Je reste là, je sors, je reste là.

Hier j’étais à Trevani, j’étais chez une voisine à Trevani, mais là je suis à Koungou chez une voisine aussi. Mais je n’ai pas mangé, j’ai pas mangé ce matin. Les enfants, je connais un ami, et il a donné du riz avec quelques muhogo (racine de manioc), et ils ont mangé. Après on est revenu ici. C’est difficile. C’est triste en fait. On nous dit qu’il faut partir parce que on est en zone glissante. Quelque chose comme ça. En 2018 il y a eu un drame.

C’est grave de devoir partir comme ça mais on sait pas où on va. Au mieux on nous loge deux semaines et après on nous met dehors. Si on me donne j’y vais mais je ne sais pas si on va me donner. J’ai déjà dit à l’Acfav que si je suis à Koungou ou Trevani c’est bien mais si c’est loin, je fais comment avec les enfants.

Aujourd’hui c’est grave parce qu’ils chassent les gens même à la campagne. Si les gens se blessent on fait quoi ? Aujourd’hui plein de gendarmes, et la PAF sont là, plein plein plein. Ya pas de tranquillité. Même les enfants ont peur. Moi aussi j’ai peur. Moi déjà la vie est toujours très difficile. Les enfants, il faut qu’ils aillent à l’école, il faut qu’ils aient à manger. Parfois il n’y a pas à la maison. Pas pour le manger le matin. Pas pour le goûter. Et le soir aussi c’est difficile »

____________________

NOTES

[1] Ce texte fait suite à « Chronique de la violence et de la brutalité », posté le 3 mars 2021 dont il est le second volet. Il reprend la formule des « Chroniques de la misère en temps de confinement », qui ont pris fin avec le 10ème volet. Je prends le parti de laisser la parole aux habitants touchés par les politiques dénoncées de l’État et ici plus précisément par les applications insensées de la Loi ELAN. Nous suivrons autant que faire se peut les mises en œuvre des démolitions à mesure de leur progression.


[3] Voir mon texte « Mayotte, territoire hors-la-loi ou terre étrangère » Club de Médiapart, 12 septembre 2020, spécialement la partie « quatrième acte : appauvrir le territoire ».

[4] Mot shimaoré pour le gouvernement, par extension ce qui le représente, police, tribunal …

[5] La Caisse des allocations familiale qui gère les « aides personnelles au logement » (APL)

[6] SIM : Société Immobilière de Mayotte qui gère le parc des logements sociaux.

[7] DEAL : Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement qui travaille sur la réhabilitation et la résorption de l’habitat insalubre, mais en aucun cas n’intervient sur les dossiers individuels.

[8] L’Acfav, Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes, missionnée par la préfecture pour le relogement des habitants touchés par les arrêtés de démolition de quartier.

[9] Le contrat de nettoyage avec l’entreprise SFR locale.

PAR DANIEL GROS, BLOG : MAYOTTE, C'EST LOIN. J'Y HABITE.

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