Présidentielle américaine : quelles leçons pour les Comores ? Les Africains, en général, et les Comoriens, en particulier, auraient tort de ...
Les Africains, en général, et les Comoriens, en particulier, auraient tort de ne pas tirer des enseignements de l’élection américaine du 3 novembre dernier. La crise politique née du refus de Donald Trump de reconnaître la victoire de Joe Biden a administré une leçon de démocratie à des républiques bananières - comme les Comores - où règnent encore des systèmes politiques obscurantistes et réactionnaires. C’est bien le cas de le dire chez nous où le Colonel Azali fait des pieds et des mains pour rester au pouvoir coûte que coûte.
Et ce sans tenir compte des règles de l’alternance. On dirait que dans son discours prononcé à Accra, au Ghana, en 2009, le Président Barack Obama s’adressait de manière prémonitoire à Assoumani Azali, lorsqu’il disait : « L’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le cas de ceux qui se servent de coups d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes. »
L’actualité politique américaine a surtout le mérite de mettre en lumière l’importance du rôle que joue le droit dans le bon fonctionnement du système. L’État de droit se définit avant tout comme un État soumis au droit. Les Comoriens croiraient rêver quand ils apprennent que, à l’instar de nombreux tribunaux américains, la cour suprême américaine, composée majoritairement de juges conservateurs, n’a pas hésité au nom du droit à rejeter les recours formulés par Trump et les siens « sans même s’en saisir sur le fond ».
Qui s’imaginerait que cela soit possible aux Comores au regard de ce qui s’est passé en 2016 avec la fraude des présidentielles et les fameux 104% des suffrages exprimés ? Ou qui aurait oublié la honteuse participation de la cour suprême au coup d’État constitutionnel de 2018 qui a fini par dynamiter la cour constitutionnelle et saper la légitimité démocratique du gouvernement Azali ? Comme quoi l’indépendance de la justice découle aussi et surtout du caractère et de l’état d’esprit des juges.
Il est frappant de constater aussi que le ministre de la justice de Donald Trump ainsi que le secrétaire d’État et le gouverneur de Géorgie - tous les trois républicains comme Donald Trump - ont préféré prendre le risque de s’exposer au courroux et aux sanctions du Président sortant plutôt que de mentir ou trahir la démocratie américaine. Ce type de comportement patriotique et honnête est quelque chose sur lequel nous devons travailler pour amener les citoyens comoriens à mettre les intérêts du pays devant les intérêts personnels, villageois et ceux du parti. Pour y arriver, il faut que tout un chacun fasse un effort.
Une des garanties du transfert pacifique du pouvoir aux États-Unis est le fait que, malgré la logique du régime présidentiel, l’armée a l’obligation de faire preuve de neutralité et de non-discrimination vis-à-vis du personnel politique. La conduite des institutions militaires des grandes démocraties est à mille lieux du rapport de vassalité qui lie les armées africaines à leur hiérarchie politique.
En Afrique, les forces armées sont à la solde du gouvernement. Aux Comores, leur inféodation inconditionnelle au pouvoir est la pierre angulaire du fascisme Azalien. Cette question mérite d’être placée au cœur de toute réforme à venir du système institutionnel global. Il y va de la stabilité du régime républicain. Si tant est que le militaire doit obéir au politique, toujours est-il que cette obéissance doit avoir des limites pour ne pas aller jusqu’à l’aveuglement.
Il faudrait vite fonder un corps armé qui soit capable de sauver ou restaurer la légalité républicaine quand elle est attaquée ou menacée comme c’est le cas aujourd’hui. Nous devons tout faire pour éviter une répétition de scènes surréalistes comme celles auxquelles nous avons assisté avec stupéfaction en 2016, quand le chef d’État-major s’est arrogé le droit d’interférer personnellement dans le processus électoral, en s’invitant au bureau de la CENI. Il est donc urgent de réfléchir sur les garde-fous à mettre en place pour s’assurer le respect des principes de séparation et d’équilibre des pouvoirs. C’est ainsi que seront garantis et l’indépendance de la justice, et la neutralité de l’armée.
La bonne santé de la démocratie dépendant, enfin, de mass média capables de mettre la pression sur le pouvoir, les Comores ont donc besoin de journalistes techniquement compétents et ayant l’âme de la démocratie chevillée au corps. De tels journalistes n’auraient pas accepté de céder aux menaces et aux chants de sirène des voyous qui nous gouvernent et qui leur interdisent la liberté de communication.
La dictature ne faisant pas de quartier, les journalistes doivent, à l’instar d’Oubeidillah Mchangama, assumer leurs responsabilités dans la lutte contre les fascistes. Enfin, le principal enseignement à tirer de l’élection américaine est de s’approprier la maxime prêtée à Winston Churchill : « La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ».
Par Youssouf Boina
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