Le théologien, qui prêchait depuis quatorze ans à la mosquée d’Ivry-sur-Seine, est lassé du gâchis autour de l’organisation du culte musulma...
Le théologien, qui prêchait depuis quatorze ans à la mosquée d’Ivry-sur-Seine, est lassé du gâchis autour de l’organisation du culte musulman en France.
Il arrête. On ne verra plus Mohamed Bajrafil, 42 ans – dont vingt et un ans passés à servir comme imam dans des mosquées d’Ile-de-France – prêcher le vendredi à la mosquée d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où il officiait depuis quatorze ans. L’annonce, le 18 novembre, de la création d’un conseil national des imams par le Conseil français du culte musulman (CFCM), sous la pression d’Emmanuel Macron, a fini de le convaincre de renoncer.
Trop de calomnies, de féodalisme, d’occasions manquées. Trop de pression sans que rien n’avance dans « l’islam de France ». L’islam consulaire, l’extrémisme, l’hystérisation du débat public auront eu raison de l’énergie de cet avocat d’un « islam du XXIe siècle », pour reprendre le sous-titre de l’un de ses livres (Islam de France, l’An I, Plein Jour, 2015). Venant d’un acteur en vue dans les milieux musulmans, cette décision apparaît comme un symptôme du désolant gâchis qui entoure la question de l’organisation cultuelle de l’islam dans notre pays.
Mohamed Bajrafil a annoncé par écrit sa décision à quelques amis, vendredi 20 novembre. « J’ai eu ma dose. Depuis, c’est comme si je renaissais », témoigne-t-il au Monde. Sa lettre est dénuée d’amertume. Mais il y évoque les rigidités qui usent un imam se voulant un esprit libre, indépendant des mosquées qui l’accueillent et des fédérations qui contrôlent une moitié d’entre elles.
Né aux Comores en 1978, arrivé en France en 1999, il raconte comment, « chimère », « mi-arabe, mi-noir », il s’est vite trouvé coincé dans un réseau dominé par les fédérations algérienne et marocaine, et plus récemment turque. « Les Subsahariens sont marginalisés », résume-t-il au Monde.
Lassé d'être pris pour cible de toutes parts
Face à ce constat amer, Mohamed Bajrafil, engagé à ce jour dans l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF) dont il est membre depuis ses débuts, estime ne pas être écouté. « Je ne veux plus perdre de temps », déclare-t-il, voulant se concentrer sur des activités autres que l’imamat dont il ne tirait, par ailleurs, aucun salaire.
Son ras-le-bol se couple aussi à la fatigue d’être « insulté, moqué » tant par « les salafistes » que par « les islamophobes » et les identitaires. Après Daesh, « l’extrême droite a mis une cible sur mon dos ». « J’ai appris il y a un mois par ma sœur que chaque vendredi, ma famille (aux Comores) pleure et prie pour moi de peur qu’il ne m’arrive quelque chose.
On en est là ! », soupire-t-il avec lassitude. Mohamed Bajrafil, auteur de l'ouvrage « Islam de France, l’an I » exerçait jusqu’ici en tant qu’imam dans diverses mosquées depuis son arrivée en France en 1999. Vingt-et-un ans sont depuis passés, « sans regrets », mais sa décision d’arrêter l'imamat - et non le travail théologique à ce stade - est, dit-il, certaine. « Certains pensent encore que c’est une blague. Je dis ici que non. »
Avec Le Monde et Saphirnews
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