LA PÊCHE AUX COMORES : SURVIE OU SACRIFICE Le métier de la pêche est une activité à la fois compliquée, risquée puis très méprisée. Ê...
Le métier de la pêche est une activité à la fois compliquée, risquée puis très méprisée. Être pêcheur aux Comores c’est mettre sa vie en gage. Avant de démarrer le moteur de sa vedette de pêche, le pêcheur doit « écrire son testament » car il risque à tout moment y laisser sa vie sans la moindre sépulture, au large.
Ces audacieux pêcheurs constituent le maillon faible de la chaîne de production. Pourtant jouant un rôle primordial sur l’économie du pays, ils sont livrés à eux mêmes sans aide ni appui logistique et cela depuis plusieurs décennies. La pêche se pratique d’une manière artisanale à l’aide des pirogues ou avec des vedettes motorisées à faible capacité. Représentant un dixième du PIB national, la pêche se pratique avec des techniques traditionnelles donc inadaptées. La pêche aux thons(pwere) est la plus pratiquée aux pays.
Ce qui m’intéresse aujourd’hui sur ce sujet ce ne sont pas les chiffres mais la gestion très archaïque et inadaptée des produits halieutiques par certains pêcheurs de la Grande Comores. Me trouvant un jour par hasard au mois de mai dernier à la plage de Moindzaza Mboini dans la région de Bambao, j’ai assisté à deux scènes inédites, à couper le souffle. En effet, à l’ accoutumée, les pêcheurs partent en mer vers 04h du matin et ne retournent à la terre ferme entre 16h et 17h.
Au fait, l’heure du retour n’a jamais été fixe car elle dépend des aléas : si la pêche est bonne ils reviennent tôt. Dans le cas contraire, c’est tard dans la soirée. Ils bataillent pour gagner au moins ce qui équivaut à la valeur des litres de pétrole utilisé pour pouvoir repartir le lendemain.
On peut dire que la vie d’un pêcheur dépend de la quantité de sa prise du jour. Quand la première vedette du jour arriva à la plage, une dizaine d’autres pêcheurs assis sous l’ombre d’un badamier aidèrent les deux premiers arrivants du jour à ranger leur vedette en la traînant loin de l’eau et la mettre à l’abri des vagues. Puis arriva le temps du partage de la prise, oui je dis bien du partage. Sur les trente thons que les braves pêcheurs ont capturé pendant les 15h passées au large, bravant le vent, la peur, les grosses vagues de l’Océan Indien. Ils divisent leur butin en trois voire en quatre parts inégales :
- La première part revient au propriétaire de la vedette toujours présent pour récupérer son dû,
- La deuxième tranche est reversée à l’achat du pétrole. Celle-ci revient aussi au propriétaire de la vedette,
- La troisième est celle des pêcheurs,
- La quatrième et dernière part revient aux deux pêcheurs aussi. Celle-ci est constituée de six ou sept petits thons qu’ils décident de cacher sur un coin à part, au fond de la vedette au vue de leur parton. Cette quatrième constitue les cadeaux aux amis pêcheurs qui les ont aidés à stationner leur vedette loin de l’eau, aux quelques vieux pêcheurs fatigués d’aller en mer, au chef du village et aux autres amis de passage à la plage.
Il y a un thon pour l’association des pêcheurs du village. Chaque vedette qui revient de la pêche dépose un seul thon au chef des pêcheurs qui le vend sur place à 3 ou 4 euros. Il collecte cet argent jusqu’au jour où des pêcheurs seront perdus en mer pour acheter le carburant nécessaire et aller les porter secours. Entre pêcheurs rien ne s’écrit, tout est décidé autour de la vedette à l’oral, pas de contrat signé.
Les marins n’ont aucune assurance, tout dépend de leur force physique, de leur bravoure. Si on demande par hasard à un pêcheur combien de kilos pourrait-il pêché en une journée, ou en une semaine il serait incapable d’avancer le moindre chiffre car la plupart d’entre eux sont illettrés ou analphabètes.
Peut-on dire que nos frères et braves pêcheurs sont condamnés à vivre dans des situations très alarmantes et chaotiques voire inhumaines depuis la nuit des temps jusqu’au jour d’au- aujourd’hui ? Du moment où l’État a signé un partenariat de pêche avec l’Union Européenne, les gros thoniers et chalutiers des grandes firmes européennes viennent pratiquent la surpêche sur les eaux comoriennes sans le moindre contrôle moyennant quelques milliers d’euros lesquels ni la population lambda ni les pêcheurs ne connaissent où ils sont utilisés depuis des décennies.
Au final les eaux jadis poissonneuses du pays s’appauvrissent et les produits halieutiques se ratifient laissant les pêcheurs dans le désarroi. Quand est- ce que les pêcheurs du pays retrouveront leur place au sein de cette société très inégalitaire et quand est-ce que la pêche se modernisera-t-elle pour que nos amis pêcheurs vivent de leur travail dignement comme les autres sans risquer leur vie ? Le secteur primaire à savoir l’agriculture et la pêche sont les parents pauvres de l’économie du pays. Ses acteurs sont mal vus et délaissés.
Comment développer un pays auquel sa population est sous-alimentée et qu’aucune politique agricole n’est en étude pour assurer l’autosuffisance alimentaire de ses habitants? A quoi ça sert le ministère de l’agriculture et de la pêche quand on doit importer du piment en Tanzanie et du poisson séché à Madagascar ?
Soilihi Ahamada Mlatamou
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