Mayotte : L’État français a bien séparé la population en deux catégories...

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© Daniel Gros
Carnet de notes : Vider Mayotte de sa population

L’épisode de la pandémie a eu l’avantage de mettre en évidence que l’État français a bien séparé la population en deux catégories : celle qui participe à l’ordre social, économique et politique et qui mérite sa sollicitude ; et l’ensemble de tous les autres, les étrangers et les pauvres, dont il se demande comment il va pouvoir s’en débarrasser. A Mayotte il a d’ores et déjà trouvé la solution.

L’épisode de la Covid19 a mis en évidence partout dans le monde les défauts structurels de nos sociétés. Durant la période de confinement, propice à la méditation pour certains, à la révolte pour d’autres, de nombreuses plumes y allèrent de leur espoir de changement. Le monde sera nécessairement meilleur qu’avant. De leur côté, les nantis firent mine de s’apitoyer sur tous ces emplois peu rémunérateurs et déconsidérés dont la pandémie souligna l’utilité sociale éminente. Le président de la république lui-même se serait converti à plus de sagesse (sic). Certes il répète ce mantra chaque difficulté que traverse le pays, ou plus précisément que lui-même affronte. Peut-être finira-t-il un jour par y croire !

Il fallut bien employer la flatterie pour que la machine infernale continue à ronronner. L’illusion fut de courte durée. Les esprits refroidis sont revenus à des dispositions plus conformes à la pérennité de l’ordre social, économique et politique. Combien même cet ordre fût-il générateur avéré de désordres et de désastres.

A Mayotte, territoire ou département délaissé s’il en est, les intentions répressives de l’État ont été réaffirmées avant même la levée d’un confinement non encore advenu par ailleurs à ce jour. Dans un entretien accordé le 14 mai dernier, le sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine affirmait son impatience à reprendre les expulsions, priorité des priorités confiait-il dans l’agenda de la présidence de la république : « Nous avons eu une visioconférence avec le président de la République la semaine dernière. Après un tour de la situation sanitaire du territoire, cela a été la première question du président : “Où en est-on en matière de reconduites aux Comores ?” Le sujet est très suivi par le gouvernement et l’Élysée. Instruction a été passée au Quai d’Orsay (le ministère des Affaires étrangères, NDLR) de reprendre langue avec les autorités comoriennes pour une reprise dans les meilleurs délais des reconduites de ressortissants comoriens en situation irrégulière à Mayotte ». (Ici l’intégrale de l’entretien).

En effet, le 22 mai dernier, sans craindre la précipitation ni le ridicule, par la voix de son ministre des affaires étrangères, l’État demandait officiellement à l’Union des Comores d’ouvrir ses frontières et d’admettre à nouveau leurs ressortissants chassés de Mayotte (lire ici.)

Le virus du Covid19 circulait alors activement et le confinement avait été prolongé. Les frontières ont été officiellement fermées par la France le 17 mars à midi. Aujourd’hui le confinement n’a pas été levé ni les frontières ouvertes. En conséquence les contrôles sur la voie publique – et par extension les violations de domiciles en vue de pourchasser les habitants, ont été suspendus faute de perspectives d'éloignement.

Un mois plus tard, la même autorité préfectorale déléguée à la lutte contre l’immigration accorda une interview au même Mayotte-hebdo dans l’intention explicite de calmer les impatiences d’une population mahoraise supposée hostile aux étrangers. Le dépit des autorités est bien compréhensible : comment en effet atteindre l’objectif de 30 000 reconduites annuelles régulièrement réaffirmé qui permettrait de vider l’île de la totalité de ses habitants en moins de dix ans ?

Le sous-préfet emploie sa rhétorique pour justifier la suspension des contrôles en rassurant que la lutte contre l’immigration ne se limite pas à cette seule problématique mais qu’elle se déploie sur plusieurs axes : d’abord, les relations entre États qui se jouent au plus haut niveau, à savoir les pressions politiques engagées depuis le 22 mai ; puis les contrôles sur la voie publique suspendus pour des raisons sanitaires ; la suspension des interpellations a permis de concentrer les forces de police disponibles dans la lutte contre l’économie informelle « qui fait l’attractivité de Mayotte pour les candidats à l’immigration » (voir le précédent billet). 

Le taux de la population dépendante de l’économie informelle pour sa survie n’est pas inférieur à 50% compte tenu du marché de l’emploi, du non-droit des étrangers en situation régulière et des demandeurs d’asile aux minima sociaux et aux diverses prestations et allocations et ne concerne hélas pas les seuls étrangers. Dans ces conditions, il s’agit bien d’une décision politique prise au plus haut niveau de l’État d’affamer la population dans son ensemble, décision tout à fait en phase avec l’obsession d’expulser plus de 10% de la population par an et le projet de réduire le taux des nationaux sur l’ile engagé avec la restriction dans l’accès à la nationalité des natifs de Mayotte dans la loi « Pour une intégration réussie » de septembre 2018, qui n'a pas de sens commun.

Pour l’anecdote, il est utile de reproduire le chapô présentant l’interview en discussion : « Actuellement, la priorité c’est non pas d’intercepter, mais de refouler » les kwassakwassa en mer. Dans le corps de l’entretien se dégage le souci d’humanité qui anime l’interlocuteur : « on met fin à la tentative d’entrée sur le territoire, on arraisonne le bateau qui souhaite entrer, on lui fait faire demi-tour et on l’accompagne jusqu’à la sortie de nos eaux territoriales pour le renvoyer vers les Comores, en s’assurant qu’ils ont assez d’essence, que les capacités de navigation sont bonnes, etc. On ne met pas les gens en danger, évidemment (c’est moi qui souligne !). » 

Il serait intéressant de connaître le protocole d’interception et d’escorte jusqu’à la sortie des eaux territoriales. Car on connait des drames humains provoqués par des arraisonnements brutaux : noyades, amputations. Et tout le monde connait les dangers de ces embarcations, dans un sens ou dans l'autre, et les risques de naufrage. Pourquoi du reste l’État commettrait-il une exception dans sa brutalité alors qu’il refuse de respecter le Droit et encore moins les principes républicains dans l’administration de l’île ?

Dans le même temps les éléments les plus radicaux et extrémistes de l’île n’hésitent pas à commettre des actes criminels sans que les autorités n’interviennent ni ne se pourvoient devant les tribunaux. Ainsi début juin, à deux reprises, dans un village côtier du sud d’abord, du nord ensuite, des entraves à l’évacuation de blessés et malades venus des Comores en kwassa kwassa et déposés sur la plage ont été commises par quelques dizaines d’habitants regroupées en milices. L’Agence Régionale de la Santé s’en est émue dans un communiqué, rappelant que « la France ne tolère aucune discrimination dans l'accès aux soins. Chaque malade, quelle que soit sa situation sociale, a le droit d'être soigné. C'est la mission confiée à l'hôpital public en France ».

Conforme à ses habitudes, la préfecture n’a pas réagi. (Lire ici)

La dimension tragique des efforts engagés pour interdire et réduire la présence des populations historiques de Mayotte ne freinent pas les ardeurs des autorités. Une seule obsession les anime : chasser la population pauvre donc a priori étrangère et augmenter les moyens de la puissance régalienne consacrés à cette fin. La grande majorité de la population de l’île subit de grandes souffrances causées par un confinement inhumain et si peu adapté à la situation qu’il n’a plus été respecté par des habitants aspirés dans une réaction de rejet : la plaisanterie avait assez duré. Les premières actions ordonnées par la préfecture durcissent les conditions de vie déjà insupportables avec pour seul programme de pourrir la vie des habitants.

Pour bien mettre en évidence ce programme et sa stupidité, il est utile de mettre en perspective l’obsession de reprendre au plus vite les contrôles de population et les reconduites à la frontière affirmée au plus haut niveau de l’État depuis plus d’un mois, et la prudence face à l’évolution de la pandémie dont la viralité ne faiblit pas. Le confinement n’a toujours pas été levé à ce jour. Et le gouvernement étudie actuellement les conditions d’accès de la population de Mayotte à la métropole. Ainsi dans le même temps où il supplie l’Union des Comores d’accepter la reprise des reconduites à la frontière, il élabore les conditions sanitaires d’accès à l’hexagone telle que la présentation d’un test virologique négatif avant l’embarquement et envisage des « quarantaines de sept ou quatorze jours à l’arrivée » (Lire ici).

L’État français, au plus haut niveau, a séparé la population en deux catégories : celle qui participe à, et bénéficie de, l’ordre social, économique et politique et qui mérite sa sollicitude ; et l’ensemble de tous les autres, étrangers, sans domicile, dépendant des minima sociaux quand ils existent, sans emploi ni revenu, etc… dont il se demande clairement comment il va pouvoir s’en débarrasser.

A Mayotte il a d’ores et déjà trouvé la solution.

PAR DANIEL GROS

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