Mayotte : La faim plus inquiétante que le coronavirus ?

Depuis le 16 mars dernier, celle que l’on surnomme l’île aux parfums ne déroge pas à la règle du confinement obligatoire. Partout et pour...

Depuis le 16 mars dernier, celle que l’on surnomme l’île aux parfums ne déroge pas à la règle du confinement obligatoire. Partout et pour tout le monde. Alors, s’il est vrai que cette mesure bouleverse le quotidien de bon nombre de nos concitoyens (et celui de près de la moitié de la planète au passage), elle prend une résonance toute particulière ici, où les conditions de vie sont loin d’être les mêmes qu’en métropole...

Bangas et confinement, l’équation impossible ?


« On ne choisit pas les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher » nous chantait Leforestier, et bien pour le confinement c’est exactement la même chose. Certaines régions semblent en effet payer un bien lourd tribut face à cette situation inédite, et c’est notamment le cas de Mayotte.

Plus que n’importe quel autre territoire de l’Hexagone, le plus jeune département «français» souffre d’un sérieux problème d’habitats (très) précaires, abritant parmi les plus grands bidonvilles du pays. Ici, 40% des habitants vivent dans des bangas (cases en taules, ndlr). Comment, dès lors, se confiner dans des conditions décentes entre quatre bouts de taule, sous 35 degrés au soleil ?

Comment priver les gens de l’extérieur, lorsque celui-ci ne constitue ni plus ni moins qu’une extension du domicile. Domiciles dans lesquels, l’accès à l’eau reste d’ailleurs très préoccupant. On estime en effet que six logements sur dix sont dépourvus du confort sanitaire de base (eau courante, toilette ou douche). Même chose, dans une proportion toutefois moindre, en ce qui concerne l’électricité, loin d’être généralisée partout elle aussi. Comment dans ces conditions, préconiser de se laver les mains plusieurs fois par jour ? Comment, alors que les gens sont entassés et vivent déjà les uns sur les autres, exiger d’eux qu’ils respectent des mesures barrières et des distances de sécurité ?

« Les gens ont bien plus peur de mourir de faim que du coronavirus »


Abdou, 24 ans, surveillant dans un collège du Nord de Mamoudzou et habitant du quartier populaire de Mroni-Mroni à Majicavo-Lamir, d’un naturel joyeux et toujours blagueur, a pourtant du mal à cacher son inquiétude en ce moment. Il nous explique la situation. « Ici, tout le monde sait que la menace du virus est réelle. Les gens aimeraient pouvoir rester chez eux mais sans moyen matériel c’est impossible. Là où je vis, le confinement ne peut pas être respecté. Il y a trop de choses qui manquent ».

Bruno, policier basé à Mamoudzou confirme la situation, sans cacher son fatalisme. « Le confinement est très peu respecté dans les bangas. C’est très compliqué. Les populations qui y vivent parlent très peu le français, donc ce n’est pas simple non plus ne serait-ce que pour les attestations... Verbaliser les gens dans ces conditions, ne sert à rien. Ils n’auraient pas les moyens de payer de toute façon ».

D’une crise sanitaire à une crise alimentaire


Depuis le début du confinement c’est toute une économie informelle de subsistance qui est mise à mal. Les bouénies (*dames, en shimaoré) ne peuvent plus vendre leurs fruits et leurs légumes sur les marchés. Les brochettis ont déserté le bord des routes. Les femmes de ménage se retrouvent au chômage technique... Quelques shibarouwas (*maçons) continuent de trouver de petits chantiers à gauche à droite, quelques autres encore tentent d’écouler la fin de leurs stocks de bananes, non sans peine toutefois.

Pour la plupart, la question du lendemain devient cruciale. Et très alarmante. « Sans travail, il n’y a plus d’argent et sans argent on ne peut pas faire ses courses ». Comment nourrir ses enfants dans ces conditions ? « Les gens ont bien plus peur de mourir de faim que du coronavirus, nous répète Abdou. La faim, le ventre vide pendant plusieurs semaines, c’est un supplice. Les enfants ne peuvent pas comprendre ça ».

Sa voisine, Adidja, 37 ans, maman célibataire de 4 enfants nous l’explique elle aussi. « Je vends en temps normal des légumes, du piment, des jus, des gâteaux sur le bord de la route... Mais avec le confinement ça ne va plus du tout... Je n’ai plus d’économie et ça fait 5 jours maintenant que nous n’avons pas mangé de vrai repas avec les enfants. On se débrouille comme on peut. On trouve des petits goûters à prendre par-ci par-là... On s’adapte mais je ne sais pas comment on va faire si la situation dure plus longtemps ».

Où l’art de se laver les mains... sans eau ?


Quand en métropole on manque de gel hydro-alcoolique, à Mayotte, dans les bidonvilles, on n’a tout simplement pas d’eau... « C’est très compliqué. Dans mon quartier, personne n’a l’eau courante. On a tous une carte rechargeable qui nous donne accès à la fontaine du village. Par contre, une fois que notre carte est terminée, on ne peut plus y accéder... » explique Abdou. Et là encore cette période de confinement pose un double problème, car « beaucoup de nos cartes arrivent à leur terme en ce moment ». Or pour recharger ces précieuses cartes il faut se rendre à la SMAE (*Société Mahoraise des Eaux) bien évidemment elle aussi fermée en ce moment pour cause de... confinement !

« Ça risque de poser problème à bon nombre d’entre nous dans les jours à venir » murmure une voisine à côté.

Après avoir contacté l’ARS, celle-ci nous confirme que la SMAE est bel et bien fermée en ce moment mais en accord avec la préfecture, il est tout de même possible de recharger ces précieuses cartes de « borne fontaine monétique le mardi et le vendredi de 7h à midi ». Le problème c’est que l’information ne semble pas être si bien passée auprès de l’ensemble de la population. En plus de tout cela, un autre problème vient s’agréger à tous ceux précédemment cités. En effet, pour les plus jeunes, ce confinement vient aussi couper, de manière assez brutale, tous les ponts avec l’école...

« Continuité pédagogique » sans numérique ?


« On était pas du tout préparé à travailler de cette façon » nous lâche dans un souffle Safinati professeur d’anglais dans un collège de Kawéni, qu’on sent débordée entre ses enfants à qui elle doit (elle aussi) faire l’école à la maison, et tous ses élèves qu’elle essaye tant bien que mal de contacter par téléphone un à un, afin de tenter de maintenir un lien, autrement que par internet. Alors certes, personne n’était préparé. Et pour une fois, que l’on soit à Paris ou Mamoudzou, nous sommes tous égaux face à cette adversité. Sans doute.

Sauf que pourtant, là encore la fracture numérique, saute aux yeux. Puisqu’a fortiori quand on n’a pas l’eau courante, ni l’électricité, comment imaginer avoir un ordinateur et un accès internet qui nous permettraient de suivre des cours à distance ? Pourtant, ici comme ailleurs il a bien fallu trouver des solutions en catastrophe. Avec une idée fixe en tête : « continuité pédagogique ».

Au début, conscient que l’accès des élèves à internet était très limité les établissements scolaires se sont organisés. Impressions massives de fiches d’exercices et de cours par niveau, et distribution de ces feuillets dans les mairies, les locaux associatifs, les collèges…etc. Puis, avec le durcissement du confinement, et la fermeture progressive de ces différentes structures il a bien fallu, cahin-caha, s’en remettre exclusivement au numérique et à ses différentes plateformes. Exactement de la même façon qu’en métropole. Alors que les réalités y sont complètement différentes.

Ugo, professeur d’histoire au lycée de Tsararano ne peut s’empêcher de pester contre ces « consignes qui ne sont pas claires, et que personne ne comprend... On assiste en plus en ce moment à une démultiplication de toutes les plateformes ce qui contribue à perdre encore plus les élèves. Il n’y a aucune continuité là dedans. N’utiliser que le numérique ici c’est délirant ! Ceux qui proposent cela n’ont aucun sens des réalités du terrain ici ! »

Quand on pose la question des devoirs et de l’école à la maison à des lycéens, scolarisés en seconde à Mamoudzou, c’est à peu près le même son de cloche. Fadul nous confie que de toute façon chez lui « il n’y a pas d’espace pour travailler, c’est impossible. Et puis quand j’arrivais à récupérer quelques documents au début, (ceux qui étaient imprimés), et bien je n’avais aucune explication directe de la part du professeur. Je ne comprends rien. Et puis personne ne peut m’expliquer à la maison… »

Il y a donc les consignes, et puis il y a la réalité du terrain... Travailler sur internet sans internet. Ubuesque. Et surtout, travailler le ventre vide. Car rappelons que pour beaucoup d’élèves la collation distribuée par l’école le midi constituait bien souvent l’unique repas de la journée. Sans école aujourd’hui et avec des parents pour la plupart au chômage technique, sans aucune source de revenu, comment se débrouiller ?

Plus les semaines avancent, et plus la crise alimentaire guette Mayotte. Pourtant, « ne cédons pas au fatalisme » clame la ministre des Outres-Mer. Mais comment, ne pas être tenté d’y céder dans de telles conditions ? « J’ai confiance en la population mahoraise, je sais qu’elle est résiliente et que nous allons ensemble mener ce combat ». Reste à voir quelles seront les armes distribuées aux Mahorais afin de mener à bien ledit combat ?

Journaliste pour les catégories Expat et Vie Pratique, Expat Emploi et Expat et Politique. Elle a vécu au Mexique et en Grèce.

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