Photo d'archives : Azali - Macron à l'Elysée ENTRETIEN. Professeur de droit public, Olivier Beaud consacre un ouvrage à une inf...
Photo d'archives : Azali - Macron à l'Elysée |
ENTRETIEN. Professeur de droit public, Olivier Beaud consacre un ouvrage à une infraction pénale disparue : le délit d'offense au chef de l'État.
C'est un texte de loi disparu. Le dispositif qui instituait une protection propre au président de la République a été abrogé le 5 août 2013. Inscrit, jusque-là, à l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881, le délit d'offense au chef de l'État préservait « l'honneur et la dignité » du « résident » de l'Élysée. Ceux qui l'enfreignaient… risquaient de se voir infliger, sous la Ve République, une peine d'amende de 45 000 euros et, sous Vichy, jusqu'à deux années d'emprisonnement. Olivier Beaud, professeur de droit public à l'université Paris-2 (Panthéon-Assas), consacre un ouvrage* passionnant à cette disposition d'un autre temps. Interview.
Le Point : Vous consacrez un ouvrage de près de 700 pages au délit d'offense au chef de l'État qui a disparu du Code pénal il y a six ans. Est-ce l'actualité et, notamment, le fait que, depuis un an, les Gilets jaunes invectivent le président de la République qui vous ont conduit à vous intéresser à cette incrimination ?
Olivier Beaud : Pas du tout. L'actualité m'a rattrapé. Je travaillais à cet ouvrage depuis 2012. Ma spécialité étant le droit constitutionnel, je m'intéresse depuis longtemps au statut juridique du président de la République. J'ai eu l'occasion de consacrer quelques articles à l'immunité dont il bénéficie en tant que chef de l'État et dont l'objet n'est pas d'instituer une forme d'impunité, mais de garantir qu'il pourra assurer sereinement l'exercice du pouvoir pendant son mandat. En me penchant sur la responsabilité pénale du chef de l'État, j'ai eu l'occasion de creuser une question connexe : celle de sa protection pénale spéciale, inscrite dans cet article particulier du droit de la presse.
Cet article ressemble furieusement à une transposition, en droit républicain, de l'ancien crime de lèse-majesté. Est-ce le cas ?
On fait souvent le parallèle entre ces deux incriminations, mais cette disposition d'offense au chef de l'État n'a, en réalité, pas grand-chose à voir. Le crime de lèse-majesté est l'expression la plus aboutie de l'arbitraire royal. L'article 26 est, en revanche, strictement encadré par la procédure et, surtout, les sanctions qu'il prévoit sont bien moindres que celles du crime de lèse-majesté. Celles-ci pouvaient aller jusqu'à la peine de mort.
Certes, la sanction n'est pas aussi terrible. On n'est plus tué pour avoir injurié le chef de l'État. Mais risquer de passer deux ans à l'ombre pour s'être moqué… c'est quand même sévère. Non ?
La peine maximale de deux ans ne fut en vigueur que sous Vichy. La satire et l'humour visant la personne du président ne furent pas toujours sanctionnés. Ce qui est puni, c'est l'atteinte à la fonction. Ce n'est pas la même chose.
Le but est le même. Il s'agit de protéger l'autorité de celui qui dirige le pays. Est-ce à dire qu'il y a quelque chose de sacré dans la République ?
Le terme « sacré » est un peu fort. Il est indéniable qu'il y a là le désir de protéger un symbole : la clef de voûte de nos institutions. Mais quand on regarde l'usage qui a été fait de ce texte, on se rend compte que les magistrats ont bien veillé à ne pas en faire un instrument systématiquement illibéral.
Prenons des exemples. Votre ouvrage fourmille d'histoires savoureuses. Comment les avez-vous identifiées ?
L'élément déclencheur de ce livre réside dans une rencontre avec la personne en charge de la conservation des archives de Charles de Gaulle. Nicole Even, responsable du département « exécutif et législatif » des Archives nationales, m'avait signalé que ce fonds serait bientôt disponible. En consultant les cinq cartons déposés dans ses services concernant la présidence de Gaulle et en y voyant les traces du nombre d'attaques dont le général devenu président a été la cible, je me suis dit qu'il y avait probablement un livre à consacrer au sujet.
Vos recherches portent pourtant bien au-delà de ses mandats. Pourquoi ?
C'est là qu'intervient une autre rencontre : avec Anne Simonin. Cette historienne, autrice d'un livre très intéressant, intitulé Le Déshonneur dans la République (Grasset, 2008), m'a encouragé à consulter les archives pour examiner la manière dont le délit d'offense a été utilisé sous Vichy. J'avais consulté trois thèses sur la période. Aucune n'en parlait. J'étais sur le point de passer à autre chose quand une autre archiviste, Françoise Adnès, m'a permis de mettre la main sur une mine d'or : un peu moins de deux cents rapports du parquet qui relatent des cas d'offenses et des poursuites entre 1940 et 1943.
On imagine l'esprit répressif que le régime pétainiste a pu faire de l'article 26...
Effectivement. En examinant les jugements et les arrêts rendus à cette période, on se rend compte qu'un État autoritaire n'en fait pas le même usage qu'un État démocratique.
Vous abordez aussi la manière dont ce texte de loi est né et comment il a été utilisé sous les IIIe et IVe Républiques.
Oui. Il me semblait intéressant de dresser un panorama complet en racontant la genèse de cet article et son application sous divers régimes.
À ce propos, on voit bien, dans votre livre, que la jurisprudence est très sévère dès le départ. Non ?
Au début de la IIIe République, sous la présidence de Mac Mahon, certes. Léon Gambetta se fait sanctionner quand il assène sa formule fameuse à Mac Mahon : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine […], il faudra se soumettre ou se démettre. » Ce discours prononcé à Lille le 15 août 1877, lors de la campagne électorale qui a conduit à la victoire des républicains, a valu à son auteur une condamnation. Mais c'est surtout parce que la magistrature, ici, n'a pas appliqué correctement le texte de loi, se pliant aux volontés des politiques. Ce qui se reproduira sous Vichy, et à un beaucoup moindre degré sous la Ve République gaulliste (entre 1959 et 1969).
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Propos recueillis par Baudouin Eschapasse
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