A L’HÔPITAL DE BAMBAO À NDZUANI. UN TEMPS D’ÉVASION MÉDICALE Extrait d’un travail de recherche du Dr Ansuldine Attoumane, mort et e...
A L’HÔPITAL DE BAMBAO À NDZUANI. |
UN TEMPS D’ÉVASION MÉDICALE
Extrait d’un travail de recherche du Dr Ansuldine Attoumane, mort et enterré cette année à la Réunion à l’âge de 42 ans. Victime d’un accident à moto, lors du passage du cyclone Kenneth dans l’archipel, il avait été évacué à Mayotte, avant d’être transféré dans le CHU de la Réunion, où il avait – ironie du sort –effectué une partie de sa formation et de ses recherche sur la question des urgences médicales.
L’État comorien a accédé à son indépendance le 06 juillet 1975. Maore est restée sous administration française. De ce clivage sont nés deux systèmes de santé avec des approches antagonistes coexistant dans le même espace.
Inspirée du modèle africain, l’approche comorienne remonte aux indépendances. Elle tend vers une autonomisation des services de santé et une implication des populations dans leur santé. Elle est entre autres nourrie par plusieurs dynamiques de promotion de la santé telle que la déclaration d’Alma-Ata[1]et la déclaration de Bangkok[2]. A ce titre, elle aspire à une satisfaction de la population, en se fondant sur les conditions socioculturelles, politiques et économiques rélles du pays.
Car, comme le disait un directeur du bureau régional de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en Afrique, il ne s’agit nullement de soins primitifs, mais bien de soins complets avec des composantes promotionnelles, préventives, curatives et réadaptatives. Ces soins peuvent même être fort complexes. Il s’agit de soins appropriés pour répondre aux besoins fondamentaux de l’homme en matière de santé. C’est le premier contact d’un individu ou d’une collectivité avec le système national de santé.
Le même Directeur de l’OMS, Quenum, disait : « Aucun transfert mimétique et passif de technologies sophistiquées ne permettra à l’Afrique de résoudre ses problèmes spécifiques dans un environnement non moins singulier. Une telle expectative est non seulement utopique, mais contraire à la dignité des peuples. Il faut partir des problèmes locaux concrets et des ressources disponibles pour trouver les solutions appropriées à leurs résolutions sans pour autant négliger la contribution de la coopération internationale ».
La politique de santé de l’Union des Comores est par ailleurs influencée par celle de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International (FMI), à travers des initiatives telles que l’Initiative de Bamako, ayant conditionné l’accès aux soins par une participation financière des communautés. Cette politique, bien qu’impliquant le maladedans ses soins et le responsabilisant du même coup, a contribué à l’exclusion des nombreuses couches de la population.
L’approche mahoraise, elle, découle du système de santé français. Elle est fortement marquée par le principe de la sécurité sociale et bénéficie d’un plateau technique évolué, toutes proportions gardées, propre à un pays développé. La politique sanitaire mahoraise est entre autres, héritière de la médecine coloniale avec une forte dépendance de la Métropole et de l’Ile de la Réunion. La prise en charge compassionnelle, dont les Comoriens malades venus des autres îles font l’objet, s’inscrit dans cette forme de médecine coloniale.
Mayotte soit française, maisla vitalité de l’espace géographique est telle que des malades venus des trois îles indépendantes naviguent facilement avec leur carnet de santé de part et d’autre del’archipel. Dans cette géographie comorienne coexistent donc deux systèmes de santé différents par leur approche. Il faut chercher à comprendre pourquoi à l’heure actuelle des malades n’hésitent pas à risquer leur vie dans des kwasa pour une quête de soins.
La remise en cause de l’infrastructure hospitalière des Comores n’est pas la seule réponse plausible. A Mayotte, les soins médicaux sont plus performants et moins onéreux. Il faut également chercher loin dans l’histoire de la médecine comorienne pour saisir la complexité d’une telle situation. Il s’agit entre autres des forces de représentationsmentales. A l’époque de Madagascar et de ses dépendances, où l’archipel figurait tel un appendice de la Grande Ile, la médecine hospitalière comorienne était une médecine de l’évacuation sanitaire. Les malades comoriens étaient évacués à l’hôpital Girard et Robic à Madagascar.
Le système de santé comorien avait alors pour principaux objectifs la lutte contre les seules endémies et épidémies. Après l’indépendance de l’archipel, la représentation de « l’ailleurs » comme seule issue de se soigner perdure. Le flot des évacuations s’est alors tourné vers des hôpitaux français tels que le Val de Grace, vers l’Afrique du Sud, l’Ile Maurice et certains pays d’Afrique de l’Est, ensuite. En 1997, débute le mouvement séparatiste anjouanais. La guerre qui a suivi a encore plus affaibli le système de santé comorien. Les blessés du conflit ne pouvant plus être évacués à Moroni, les premières évacuations sanitaires des malades d’Anjouan vers Mayotte voient le jour.
Initialement, ces évacuations se faisaient principalement par voie maritime. Les indications de médicalisation se discutaient au cas par cas. Une convention entre les hôpitaux d’Anjouan et de Mayotte permettait l’évacuation des malades en toute légalité et par simple formalité de dossiers d’évacuation sanitaire (EVASAN). Les soins pour les ressortissants comoriens étaient gratuits. Aufur et à mesure des années, les conditions d’accueil des ressortissants comoriens à l’hôpital de Mayotte se durcirent jusqu’à l’arrêt complet des EVASAN. Seuls persistent les évacuations sanitaires des patients brûlés.
Aujourd’hui, les malades comoriens en situation de détresse fuient les hôpitaux comoriens. Si autrefois lephénomène concernait les seulsprisonniers, cette fuite des malades du milieu hospitalier où ils sont soignés, est qualifiée par des auteurs comme Sanogo « d’évasion ». Car, pareils aux prisonniers qui mettenten place des stratégies pour se sauver des maisons d’arrêt, les malades recourent aussi à ces stratagèmes pour s’échapper des hôpitaux. Il y a encore quelques décennies, ce phénomène de fuite de malades vers la Métropole s’observait sur l’Ile de la Réunion. Le Dr Maryvette Balcou-Debussche, qualifie ce phénomène de «marronnage médical».
Aux Comores, le personnel médical et paramédical vit difficilement cette situation sans réelle capacité d’action. C’est dans ce cadre que s’inscrit mon travail de recherche. Il tente à travers une analyse situationnelle d’identifier les causes de ces évasions et de proposer des solutions pour faire face à ce qui est devenu un véritable phénomène social aux Comores.
Dr Ansuldine Attoumane
P Ar MUZDALIFAHOUSE
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