A Mamoudzou (Mayotte), après la victoire de Macron le 7 mai 2017. Photo Lény Stora. docpix Alors que le Président français entame mardi...
A Mamoudzou (Mayotte), après la victoire de Macron le 7 mai 2017. Photo Lény Stora. docpix |
Alors que le Président français entame mardi une visite sur l’île, les objectifs élevés d’expulsions fixés par l’Etat français peuvent aboutir à des reconduites contestables. Sur place, des destructions de bidonvilles font aussi polémique.
«Un état de non-droit.» Dominique Ségard, présidente de l’antenne locale de la Cimade, une association qui soutient les migrants, est catastrophée. Pour parvenir à l’objectif gouvernemental de 25 000 expulsions d’ « immigrés clandestins » en 2019, la préfecture de Mayotte mettrait les bouchées doubles, une précipitation qui aboutirait à des reconduites à la frontière illégales, selon l’association.
Annie Faure, déléguée au Défenseur des droits, estime elle aussi que «Mayotte est loin du compte en matière de respect du droit». L’enseignante à la retraite a reçu la veille, dans son bureau de Dembeni, sur la côte Est, une mère expulsée sans raison, explique-t-elle : «Un parent d’enfant français ne peut être renvoyé. Pourtant Aïcha (1) l’a été, alors qu’elle avait le passeport de son bébé sur elle au moment de l’arrestation !» Aïcha a pu revenir après une ordonnance du juge des référés. «Toutes ces erreurs, c’est parce que les services de l’Etat, débordés, vont trop vite»,estime Annie Faure. La préfecture n’a pas répondu à nos sollicitations, invoquant la visite d’Emmanuel Macron, qui atterrit ce mardi à Mayotte. Mais les services reconnaîtraient eux-mêmes des dysfonctionnements, «des trous dans la raquette, pour reprendre leur expression»,selon la présidente de la Cimade.
L’Etat français, en fait, assume et revendique sa politique répressive à grand renfort de séquences symboliques. Depuis l’aéroport de Petite-Terre, Macron va rejoindre Grande-Terre à bord d’un «intercepteur» de la police aux frontières, la brigade nautique disposant désormais de huit de ces zodiacs, contre cinq, vétustes, en 2018.
Au 1er octobre, l’Elysée affirmait avoir atteint le chiffre de 22 000 reconduites.
Sur terre, l’Etat français fait également feu de tout bois. Le préfet peut désormais procéder à des destructions sans ordonnance du juge. Il y a quelques jours, deux nouveaux «habitats informels» ont été rasés à Dembeni. Rien de comparable avec l’opération Batrolo, en décembre, dans l’immense bidonville de Kawéni, où vivent des milliers de personnes. Ce jour-là, les bulldozers avaient détruit les cases en tôle, mais aussi les fontaines et les latrines publiques. Le tribunal administratif a jugé que l’action avait constitué pour les 100 adultes et 180 enfants délogés «une atteinte grave et illégale aux libertés fondamentales et à la dignité de la personne humaine».
Après les cases, les champs… Depuis 2018, l’Etat français a procédé à la destruction de 30 hectares de cultures ; chaque semaine ou presque, des plantations de bananiers ou de manioc sont arrachées. Tous les soirs, des dizaines d’hommes descendent des forêts un peu partout dans l’île, machette à la main.
«Je n’ose plus sortir»
Dans le bidonville de Bonovo, à Mtsapéré, Youssouf (1) a lui aussi longtemps travaillé au noir. Jusque l’an dernier, arrivé en 1994 à Mayotte, vendait des chaussures et des châles au bazar, ou transportait des briques et du sable. Muni d’un récépissé de la préfecture qui attestait de sa demande de titre de séjour, l’homme se sentait «utile». «Mais mes papiers ne sont plus valables depuis un an, alors je n’ose plus sortir», confie-t-il, assis sur l’unique lit de son «appartement» : une pièce sombre aux murs de parpaings nus, qu’il partage avec sa mère et son cousin, louée 50 euros par mois à un marchand de sommeil mahorais.
«Je ne prie plus à la mosquée, regrette-t-il. J’ai trop peur de me faire pafer [arrêter par la police aux frontières, ndlr].» La semaine dernière, Youssouf, le corps couturé de cicatrices, est néanmoins sorti pour se rendre à l’hôpital de Mamoudzou et passer une radio de la tête. «Moi, je veux une vie tranquille, travailler et pouvoir me soigner. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Avec Libération et AFP
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