A la mémoire du Mongozi

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Le 29 mai 1978, Ali Soilihi se faisait assassiner par les hommes de main du nouveau régime en place. La fin ultime d’une utopie dans l’ar...

Le 29 mai 1978, Ali Soilihi se faisait assassiner par les hommes de main du nouveau régime en place. La fin ultime d’une utopie dans l’archipel. Quarante un ans après la chute de l’Etat révolutionnaire, le bilan se fait toujours attendre. Introduction au soilihisme...

Il appartient à chacun de se forger un discours sur les évènements révolutionnaires survenus aux Comores entre janvier 1976 et mai 1978. Aujourd’hui, les historiens ont le devoir de faire la lumière sur ceux et celles qui ont combattu le système féodal au profit d’une révolution politique et sociale à caractère populaire. Celle-ci rêvait de principes d’égalité. D’un statut de comorien – citoyen – avec une constitution et des lois, écrites afin de bannir un système de partage des biens, hérité du monde féodal et consolidé par le colonialisme. Voici donc le legs progressif de la révolution comorienne.

Le 03 août 1975, vers 13h00, à l’heure où nombre de Comoriens s’abandonnaient à l’errance morale, au repli sur soi et à « l’appel du maïs »[1] (upara trama), à défaut d’avoir de quoi se mettre sous la dent, les ondes de Radio Comores annoncent la destitution du régime conservateur porté par le président Ahmed Abdallah et ses notables de l’Udzima. Dans un climat plutôt calme, les Comoriens s’interrogent alors sur le sens de ce moment politique, celui des fameux mapinduzi. Une première pour les Comores. Qui perturbe l’imaginaire politique et convoque la capacité des Comoriens à se réinventer un destin commun.

S’en suivent alors une longue série d’interrogations au sujet des principaux acteurs. Entre Saïd Mohamed Djaffar, bombardé à la tête de l’Etat, le prince Saïd Ibrahim, soucieux de prendre ses distances avec les putschistes, et Ali Soilihi, habile manipulateur dans les coulisses du pouvoir naissant, l’opinion ne sait où placer le curseur. La mort subite du prince au cours de son voyage à la Mecque, viendra résoudre la première équation à trois présidentiables. Mouzaoir Abdallah, prenant à témoin (« pour ou contre Ali Soilihi »), par surprise et à main levée, les membres du conseil révolutionnaire, mettra ensuite fin aux désirs de Djaffar, qui se voyait prolonger sa présidence.

Ali Soilihi, à jamais le premier

Aujourd’hui, le nom du fils Mtsashiwa claque et interpelle d’emblée dans une histoire comorienne pleine de bruit et de fureur. Ali Soilihi évoque un autre imaginaire politique. A contre-courant des régimes politiques connus des Comoriens, jusque-là. L’opinion parle du soilihisme comme d’un mouvement singulier. A plusieurs niveaux, sachant que cette période de l’histoire continue à diviser les Comoriens dans son appréhension.

Le Mongozi[2] a réussi à marquer un tournant dans l’histoire contemporaine. Il y a un avant et un après Ali Soilihi. L’expérience révolutionnaire de janvier 1976 à mai 1978 constituait et constitue une première dans l’archipel. Ufwakuzi (le coup d’Etat) du 03 août 1975 balise le scénario de départ. Mais c’est le 02 janvier 1976 que se consomme la rupture institutionnelle, avec l’élection de la paire à la tête de l’Etat Ali Soilihi – Mohamed Hassanaly par les membres réunis du Conseil d’Etat National (CEN) et du Conseil National de la Révolution (CNR).

C’était le temps des « 3 U »[3] : ufwakuzi emadaraka yahe mkolo (libération de la tutelle coloniale – 03 août 1975 au 02 août 1976) ; ufwakuzi wa usawa wa siasa (révolution démocratique – 02 janvier au 13 mai 1978) ; ufwakuzi wa usawa wa maesha (révolution socialiste – du 13 janvier 1977 au 13 mai 1978). Ces périodes induisaient une autre façon de penser la politique. Elle tend alors à une remise en question de la configuration sociopolitique traditionnelle, allant jusqu’à questionner l’identité du Comorien. Il est alors question d’un socialisme comorien, tirant sa source du continent africain.

L’imaginaire politique – Ali Soilihi devant le socialisme africain contemporain

Le regain d’intérêt manifesté par la jeune génération ne suffira pas à sauver celui qui avait lié son destin à l’Histoire[4]. Il en est qui lui dénient son statut de révolutionnaire. D’autres le comparent aux grandes figures politiques et révolutionnaires africaines[5], désireuses d’une indépendance totale et profonde. La longue compagne de dénigrement, qui a suivi les années post-révolution, brouille la lecture de l’expériences soilihiste. Les historiens, qui se sont penchés sur l’homme et son idéologie, ont donné du crédit à la rhétorique de la révolution et à son éloquence, sans chercher à approfondir l’analyse de celle-ci. Le travail réalisé à ce jour demeure encore partiel.

Ali Soilihi s’y voit tirailler entre « légende noire » et « légende dorée », avec comme dénominateur commun, le portrait d’un homme inattendu, incompris, et surtout le procès d’une utopie que personne n’espérait. Le Mongozi s’inscrit pourtant dans cette lignée des dirigeants africains, voire panafricains, œuvrant pour une indépendance réelle. Il n’échappe donc pas aux médiations déjà amorcées dans ce sens en d’autres contrées, et dont il est le contemporain direct.

Les repaires du soilihisme

La critique ne semble pas d’accord sur la définition même de l’idéologie « soilihiste ». Le discours le plus rependu la range dans le sillage du marxisme-maoïsme, tant sa pensée s’est portée essentiellement sur la démythification des catégories théoriques et pratiques, aux fondements de l’idéologie marxiste. Pour autant, celle-ci n’est pas la panacée. Le marxisme se voit récuser par certains leaders africains, au nom de l’argument de la « spécificité africaine » : Julius Nyerere, Léopold Sédar Senghor, Cheik Anta Diop...

« L’histoire du marxisme serait simplement conforme à l’histoire de l’Europe »[6] soutient Babacar Sine. Marx n’aurait pas pensé l’Afrique comme objet de sa théorie. C’est là qu’intervient le maoïsme, qui rejette l’universalisme de la pensée, en la confrontant aux spécificités réelles du terrain investi. C’est aussi là que surgissent les fondements du socialisme « à l’africaine ». Les lectures de Nkrumah, Senghor, Nyerere ou encore de Cabral expriment une volonté d’appréhender le marxisme, en le soumettant aux réalités africaines.

Kwame Nkrumah prône l’ancrage africain. Il se pose la question de l’africanité dans le combat pour l’autonomie et la dignité de pays ou de peuples longtemps sous tutelle. Léopold Sédar Senghor avance le socialisme africain comme une alternative nécessaire au marxisme. Julius Nyerere s’attache, lui, à entremêler l’ancien au nouveau. Pour le penseur qu’il est, le socialisme doit se construire sans rompre avec les racines culturelles, économiques et morales de la société environnante.

Le soilihisme se retrouve pour sa part un peu dans chacune de ces approches théoriques, et se formalise dans un imaginaire politique faisant appel au développementalisme. Il se distingue ensuite par sa capacité de rupture avec la quotidienneté dans son rejet de la société dominante.

Un trésor à défendre ?

Cette politique antiféodale prônait des principes d’égalité. Ali Soilihi avait foi en ses idées et visiblement en toutes les couches sociales comoriennes. Cela paraîtrait excessif, mais on pourrait presque le qualifier de naïf, sur ce point. Il a en effet cette naïveté de croire en la possibilité de faire cohabiter une couche aristocratique, habituée aux intérêts du pouvoir, et une couche populaire, investie par la jeunesse révolutionnaire, assoiffée de revanche, dans une même direction révolutionnaire. Le mariage entre ces deux classes sociales n’a jamais pris.

La population n’a pas adhéré au projet soilihiste. Pire, elle mena à plusieurs niveaux une forme de contre-révolution. C’est cette hétérogénéité qui sera l’une des causes principales de l’échec révolutionnaire. Aujourd’hui encore, l’ex jeunesse soilihiste (ou pas), qui a notamment contribué à piller les institutions révolutionnaires à la chute du Mongozi, porte haut le discours de cette contre-révolution, en continuant à démolir son héritage. Au nom d’une « fatalité », disent-ils, en arborant écharpes (mharuma) et privilèges aristocratiques.

Ils sont la preuve d’une incapacité profonde à gérer le tournant de l’après Mongozi. Le 13 mai marque la fin d’un imaginaire politique, grâce à l’appui d’une bande de mercenaires, connus pour être les valets de l’Etat français. Mais comme si cela ne suffisait pas, il leur a fallu tuer le maître à penser de cette révolution, afin que tout le monde retienne la leçon. Plus jamais une telle folie ! Et c’est ainsi qu’Ali Soilihi mourra en détention un 29 mai 1978, assassiné (poignardé ? criblé de balles ?) devant une population étrangement joyeuse.

Ye tarehi ndo hakimu.

HOUSSAMOUDINE ANKILI ©muzdalifahouse.com

[1] « UPARA TRAMA » : SOUTENIR SA TÊTE AVEC LA MAIN POSÉE SUR LA JOUE EN SIGNE DE TRISTESSE. DANS LE TEXTE OBSESSION(S), SOEUF ELBADAWI MET EN LUMIÈRE, NON SANS UN GRAIN D’HUMOUR, LA PLACE VITALE ET HISTORIQUE QU’A LE TRAMA (MAÏS) DANS LA VIE DU COMORIEN. CE MÊME MAÏS QUI S’EST RETROUVÉ AU CENTRE DE LA POLITIQUE DE « L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE » DÉFENDUE PAR LA RÉVOLUTION COMORIENNE.

[2] MONGOZI : GUIDE.

[3] DE UFWAKUZI.

[4] YE TEREHI INDO HAKIMU (L’HISTOIRE EST SEULE JUGE) AIMAIT À RÉPÉTER LE MONGOZI.

[5] ALI SOILIHI N’A JAMAIS FAIT L’UNANIMITÉ. A UNE ÉPOQUE OÙ LA JEUNESSE INDÉPENDANTISTE COURAIT LES RUES AU NOM DE LA RÉVOLUTION, UNE INFIME PARTIE, ISSUE DU MSOMO WA NYUMENI, A REFUSÉ DE SE RALLIER À SA CAUSE.

[6] BABACAR SINE, LE MARXISME DEVANT LES SOCIÉTÉS AFRICAINES CONTEMPORAINES, PRÉSENCE AFRICAINE, 1983.

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