©Soilihi Mohamed Dès 7 heures du matin, 309 137 inscrits étaient appelés à se rendre aux urnes dans les 731 bureaux de vote répartis en...
©Soilihi Mohamed |
Dès 7 heures du matin, 309 137 inscrits étaient appelés à se rendre aux urnes dans les 731 bureaux de vote répartis entre les îles de la Grande Comore, de Mohéli et d'Anjouan, pour élire leur président. Alors que le ministère de l'Intérieur se félicite du bon déroulement du scrutin, l'opposition crie au coup d'Etat électoral.
A la première heure, les électeurs comoriens se sont rendus aux urnes. Vers 11 heures, Azali Assoumani, a voté dans son fief, à l'école primaire de Mitsoudje, située non loin de Moroni. «Je suis très confiant, plus que confiant même», a-t-il déclaré à l'issue du vote.
Il y avait foule dans la cour de la petite école où les électeurs attendaient patiemment leur tour, sous un ciel menaçant. En début d'après-midi, Mohamed Daoudou, ministre de l'Intérieur, déclarait lors d'un point presse qu'environ 40% des électeurs s'étaient déplacés aux urnes, précisant que les Comoriens avaient pour habitude de se rendre tardivement dans les bureaux de vote, laissant augurer une participation massive.
Toutefois, à l'heure actuelle, aucun chiffre ne concernant la mobilisation ou les tendances n'a encore été communiqué. En revanche, la mission d'observation électorale conduite par l'Union africaine (UA) a indiqué lors d'un point presse qui s'est tenu à 17h, le 25 mars, qu'«aucune file d'attente n'avait été observée dans 75% des bureaux de vote visités par les missions d'observation électorale (MOE), signe d'un faible engouement des électeurs à l'ouverture du scrutin».
Pourtant, le gouvernement avait mis les moyens pour garantir la tenue des élections, six mois seulement après le très controversé référendum.
«L'Etat a supporté l'intégralité des frais pour un coût global d'environ 4 millions d'euros, afin de garantir des élections inclusives, transparentes, crédibles et acceptées de tous», expliquait Mohamed Daoudou à la veille du premier tour.
«Tout le monde sera mobilisé. Chaque candidat aura son assesseur de l'ouverture jusqu'à la fermeture des bureaux de vote. Ils auront les doubles des procès-verbaux et les résultats seront affichés. Nous leur avons transmis les fichiers électoraux en amont», affirmait-il, précisant par ailleurs que des mesures de sécurité avaient été prises pour s'assurer du bon déroulement du scrutin.
Circulation limitée et laissez-passer obligatoire, téléphones portables interdits dans les bureaux de vote ; les observateurs internationaux devaient communiquer leur déplacement en amont pour «anticiper» en cas «de problèmes», expliquait le ministre, une fiche de sécurité administrative vierge en main.
«Nous sommes transparents. Les gens veulent dramatiser pour instaurer un climat de peur», regrettait-il à quelques heures du scrutin.
Des incidents signalés pendant le scrutin
Et sans surprise, des dysfonctionnements, il y en a eu. «Très sincèrement, on s'y attendait», a déclaré à sa sortie du bureau de vote, le président sortant Azali Assoumani à propos des «échauffourées» signalées sur l'île d'Anjouan.
«A la Grande Comore, le scrutin se déroule dans de bonnes conditions, de manière apaisée [...] Nous avons signalé une petite altercation dans les bureaux de vote [...] A l'heure où je vous parle, la situation est sous contrôle», a tempéré Mohamed Daoudou aux alentours de 14h, lors d'une conférence de presse.
«Il y a eu cassage d'urnes, mais comme la CENI travaille bien, le matériel a été remplacé», poursuit-il, insistant sur le fait que «ces incidents ne sont pas de nature a entaché le scrutin».
Enfin, il a précisé qu'il y avait 10 bureaux de vote saccagés par les populations exaspérées, dans 6 localités. La CENI a confirmé «la perturbation du vote dans 25 localités de l'île de Ngazidja par des individus non contrôlés dans l'après-midi»,dans son communiqué du 25 mars.
Pour sa part, l'UA a signalé un «climat d'insécurité» et a déclaré que cela empêchait les missions d'observation électorales «de se prononcer de façon objective sur la transparence et la crédibilité du scrutin».
L'Observatoire des élections a évoqué des échauffourées, des bourrages d'urnes pré-remplies à Mohéli et à Anjouan, des élections interrompues par endroits et des routes barrées. Des informations fermement contestées par le ministre de l'Intérieur.
Les journalistes présents sur l'île d'Anjouan évoquent plusieurs blessés, dont 3 par balles, évacués en kwassa-kwassa (barque motorisée) vers un hôpital de Mayotte. Elément confirmé par la préfecture de Mayotte. Le ministre de l'Intérieur évoquait hier soir 2 blessés (aucun par arme à feu) : «Un gendarme ainsi qu'un assesseur qui s'est interposé pour éviter le saccage de son bureau de vote». Par ailleurs, des mouvements de foule ont été dispersés par les forces armées à Pomini et à Bimbini.
Dans la soirée, le ministre de l'Intérieur -droit dans ses bottes- a nié tout usage excessif de la force, lors d'un second point presse organisé à 22h.
«A l'heure où je vous parle, le scrutin s'est bien déroulé sur l'ensemble du territoire -les Comoriens- ont exprimés leur maturité, ils ont pu exercer leur droit de vote librement [...] La démocratie a triomphé».
Il a néanmoins évoqué des «échauffourées dans l'île de la Grande Comore où «des candidats ont appelé à la violence pour casser les urnes. La population n'a pas cédé», prévenant que «les candidats qui appellent à la violence ne resteront pas impunis».
L'opposition promet d'aller jusqu'au bout
«Nous, candidats, contestons la mascarade de ces élections», a déclaré hier après-midi Mohamed Soilihi, dit «le colonel»,depuis la résidence du Docteur Ahmet où s'étaient réunis les 12 candidats de l'opposition.
«Nous avons assisté à une mascarade [...] à un coup d'Etat ; nous ne reconnaissons aucune légitimité à ce pouvoir. A compter de ce jour, nous demandons aux Comoriens de rentrer en résistance et je demande à tout le peuple d'empêcher les urnes d'arriver à Moroni par tous les moyens et de nous rejoindre à l'Assemblée nationale»,a déclaré le Docteur Ahmet. De quoi mettre le feu aux poudres dans un climat particulièrement sensible.
Ahamada Mahamoud du parti Juwa, le principal parti d'opposition, a quant à lui avancé des «irrégularités répétées de la part de la CENI et de ses démembrements [...] Mes assesseurs n'ont pas reçu d'accréditation [...] Nous rejetons les résultats des élections du 24 mars 2019 ; nous déclarons le pouvoir Azali illégitime ; nous appelons la population comorienne à un sursaut national».
«Notre pays, les Comores, est en danger», lance pour sa part Hassan Hamadi, soulignant des bourrages d'urnes et de fausses procurations :
«Nous appelons tous [les Comoriens, NDLR] à abandonner les bureaux de vote et à nous rejoindre au Palais du peuple ou en prison, puisque nous les voyons là[présence visible des forces de l'ordre postées à l'entrée de la résidence, NDLR], c'est possible que nous soyons arrêtés, mais personne n'a peur».
Si le boycott du scrutin a été suivi dans plusieurs localités d'Anjouan notamment, l'appel au rassemblement devant le Palais du peuple n'a pas provoqué l'effet escompté. Aux environs de 17h30, quelques-uns des 12 candidats s'étaient rassemblés devant le bâtiment où les urnes étaient acheminées. Mais ils se sont retrouvés seuls devant les 4X4 de la police, avec les journalistes pour seule compagnie, les électeurs étant contraints de rester derrière un périmètre de sécurité.
Ahamada Mahamoud, assis devant le Palais du peuple, à quelques mètres seulement des policiers, nous confiait sa déception: «Les élections ont été volées aux Comoriens», avant de disparaître dans la nuit. A ses côtés, Salim Saadi lui emboîte le pas. C'est l'heure de la prière. Peu après 19h15, tous les candidats avaient quitté les lieux.
Dispersion de la manifestation des opposants par l'armée
La nuit post-électorale a été calme, y compris à Anjouan. Mais le 25 mars au matin, les leaders des partis d'opposition ont appelé leurs électeurs à les rejoindre sur la Place de l'indépendance de Moroni. En quelques minutes, plusieurs centaines de personnes sont arrivées, avant d'être dispersées par les forces de l'ordre. Tirs de flash-ball et gaz lacrymogène : la capitale est sous haute tension. Des militaires contrôlent les véhiculent et de nombreux accès dans la ville sont bloqués.
«Ils ont tiré avec des balles à blanc, je crois», explique Hachim, arrivé en mobylette à l'hôpital à la mi-journée.
«On manifestait quand l'armée est intervenue et nous a dispersés, sans avertissement. Je suis tombé et je crois que je me suis fracturé le bras», nous a-t-il confié dans la cour de l'Hôpital El-Maarouf de Moroni.
Parmi eux, 3 des 12 candidats de l'opposition blessés dont Hassan Hamadi qui a reçu des éclats de grenades et qui nous a confirmé sa volonté de combattre le pouvoir central «jusqu'au bout !», le bras et la jambe entourés de bandages et la chemisette déchirée, à la sortie de l'hôpital.
Joint par téléphone, Salim Saadi confie quant à lui craindre pour sa sécurité. «Quand les gendarmes ont commencé à tirer, j'ai reçu des éclats de flash-ball sur la main. Ils sont en train de me rechercher», prévient-il.
Quant au candidat Ahamada Mahamoud (absent du meeting et arrivé aux alentours de midi à l'hôpital), il nous a confié sa volonté de ne pas céder face au pouvoir et se dit prêt à se battre jusqu'au départ du président sortant, appelant ses supporters à se mobiliser. «S'il faut mourir, alors nous allons mourir, mais nous nous battrons».
Le représentant de la MOE de l'Organisation internationale de la Francophonie s'est rendu à l'hôpital où nous l'avons rencontré.
«La situation se complique en raison des manifestations organisées par les 12 candidats, réprimées ce jour -déplorant- les blessés et les arrestations. Nous allons nous réunir pour faire le point et nous présenterons bientôt une déclaration».
Par DNES aux Comores, Marie-France Réveillard
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