Des enseignants à la présidentielle : uchronie ou anticipation ? Sociologie d’une crise profonde de l’école

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Des enseignants à la présidentielle : uchronie ou anticipation ? Sociologie d’une crise profonde de l’école  L’école se meurt, l’écol...

Des enseignants à la présidentielle : uchronie ou anticipation ? Sociologie d’une crise profonde de l’école 

L’école se meurt, l’école est morte ! Vive l’école ! Rejetées, retirées ou en cours de réexamen, les candidatures aux prochaines élections prévues en mars et avril 2019 connaissent une situation d’effervescence totale.

Au moment où certains dossiers sont embrouillés de confusion, le collectif enseignant a décidé de se retirer à la course électorale. « Reculer pour mieux sauter », « projection de candidats pour 2021 » telles sont les quelques raisons tenues au cours d’une conférence de presse par le professeur Chaabane Mohamed, membre de la Commission Initiative-Enseignants et Citoyenne (IECC). Peut-on porter une analyse sur le passage du corps enseignant à un ’’ corps politique’’ ? Ce qui ressort en premier dans ce nouveau visage des enseignants parait tout à fait paradoxal. 

La tentative de transformer les enseignants en hommes politiques justifie encore une fois l’évolution lente de la crise de l’école comorienne. Pour reprendre des propos que j’ai tenus dans un article paru en avril 2012 sur le journal Albalad, une telle idée du corps enseignant d’adopter des couleurs politiques expose une problématique difficile qui incite un regard nouveau, paradoxal et atypique du statut de l’enseignant.

Ainsi, au lieu de parler d’une crise de l’école, l’institution scolaire se transforme en école de la crise où toutes les expériences et les pratiques extérieures à la mission d’enseigner seraient permises. Au-delà de plusieurs manquements éthiques et écarts déontologiques constatés dans l’exercice de leur fonction, l’école comorienne se hisse au paroxysme de sa crise du à leur transformation politique par le corps enseignant. Ces derniers exposent encore une fois une image négligée de leur mission sacerdotale, celle d’instruire, d’éduquer, de former des vrais citoyens. 

Du syndicalisme enseignant au parti politique : produire et entretenir la crise 

Des enseignants à la présidentielle ? Une telle situation nous parait uchronique dans la mesure où il s’agit d’une déformation de l’Histoire. L’instruction scolaire ayant toujours été dissociée de la politique, les enseignants veulent tenter une expérience dangereuse qui hypothèque l’avenir de l’école et de la société. Cette expérience d’anticipation ne peut en aucun moment être mise en évidence au sein de l’école. On sait que depuis la création du Syndicat National des Professeurs Comoriens (SNPC), dans les années 1990, le mouvement a connu des rapprochements à la politique à telle enseigne qu’il a été accusé par certains de ses membres de manipulation et de clientélisme politique. 

On sait également qu’au cours des vifs débats tenus en assemblées générales, certains militants syndicalistes jouaient les mouchards en rapportant auprès des responsables du ministère de l’éducation le contenu des propos considérés comme désagréables. Mais, les rumeurs n’ont jamais eu gain de cause car le syndicat a toujours bien voulu tenir sa route et a géré plusieurs dossiers liés aux multiples revendications professorales. Depuis que le renouvellement de la direction syndicale devient effectif, passant de ses membres fondateurs, expérimentés et efficaces à des nouveaux arrivants fraichement sortis des universités étrangères, la cause militante et syndicale s’effrite et les dirigeants perdent en capital crédibilité aux yeux de la société et du pouvoir. 

Si la bande à Ibouroi Ali Tabibou, Saïd Houssen, Fatima Chami, Mad Ali Saïd, Amada Gautier, Mariama Mahamoud…et beaucoup d’autres militants ont laissé une image respectable et ont réussi à faire du mouvement syndical un contrepoids au pouvoir, les nouveaux dirigeants peinent à perpétuer l’image, à consolider les acquis des ainés. A cela s’ajoute le renouvellement progressif du corps enseignant par des diplômés de diverses disciplines non dédiées à l’enseignement et dont la plupart sont très jeunes avec un manque de culture déontologique et éthique de la profession enseignante. Enseigner est devenu un métier de passage à un autre et non une vocation professionnelle car le métier est moins rémunéré. 

La crise de l’école atteint son paroxysme aujourd’hui et le corps enseignant en est le premier responsable. En décidant de se métamorphoser en politiciens, ils se démettent de leurs missions, privilégiant la rentabilité matérielle de chacun à la noblesse de leur métier. Un autre facteur producteur de la crise et non le moindre, c’est l’esprit jacobin d’un cercle fermé de quelques enseignants du lycée de Moroni. S’il s’agit de parler au nom des enseignants, tous les collègues doivent être représentés dans une cause commune. En effet, le collectif ne représente que des professeurs du lycée de Moroni au détriment des centaines d’établissements scolaires publics de Ngazidja, Mohéli et Anjouan. 

Cette situation de marginalisation ou plutôt d’exclusion collégiale justifie l’individualisme et le mépris des initiateurs du collectif IECC. Au lieu d’envisager une représentativité effective et de mobiliser la totalité du corps enseignant, le collectif IECC produit les incompréhensions et entretient les divisions au sein du corps enseignant. L’école comorienne devient alors un lieu d’apprentissage de la crise. Adopter une couleur politique ne fait que produire et entretenir celle-ci car il ne s’agit pas seulement d’être élu président de la république pour redonner à l’école sa fonction séculaire de reproduction sociale et de faire des enseignants des vrais acteurs du développement. 

Il revient d’abord aux enseignants eux-mêmes de redorer leur blason en exerçant leur métier avec civisme, éthique et professionnalisme. Et là, un travail de remise en cause et de prise de conscience collective doit être mené. C’est de cette façon qu’ils resteront à leur noble place et qu’ils seront en mesure de se revaloriser et raviver la flamme du savoir. 

Enseignants et émergence : ce qu’on attend de vous 

Le professeur Joseph Ki-Zerbo, célèbre historien burkinabè a montré que dans le sillage des crises sociopolitiques africaines du XXème siècle, "l’école, telle qu’elle apparait aujourd’hui ressemble à une prothèse". Il s’agit tout simplement d’avoir une institution qui accueillerait les enfants pour leur transmettre un savoir dont on connait son inefficacité et sa faible productivité. Dans le contexte de notre émergence, notre école ne doit pas revêtir la fonction de prothèse. 

Elle est le premier levier de cette aspiration. La volonté du chef de l’Etat à vouloir réhabiliter et valoriser le savoir scolaire n’est pas compatible à l’image présente de l’école. Principaux acteurs de la reproduction sociale, les enseignants ont un grand rôle à jouer. On attend de vous, chers collègues, une maturité professionnelle, un exercice légal de vos fonctions, un esprit d’innovation et surtout un patriotisme exemplaire. C’est un métier que vous avez choisi, on ne vous l’a pas imposé. Alors faites-le avec amour comme le faisaient nos ancêtres. Vous avez d’autres droits que salariaux. 

Vous avez droit aux inspections pédagogiques afin d’améliorer vos méthodes de travail, vous avez droit à un environnement scolaire adéquat : des établissements scolaires dignes, des auxiliaires pédagogiques, des refontes et révisions des programmes scolaires, des formations continues et des recyclages, des fournitures pédagogiques pour les élèves, une réorganisation de la carte scolaire, une carrièrisation des personnels…, autant de revendications possibles pour sauver votre image d’enseignant et celle de l’école. 

Les moyens humains sont là, l’octroi des budgets financiers sont possibles, il suffit de les mobiliser et d’accompagner les projets envisagés par la dynamique de l’émergence. Si le corps enseignant et l’Etat se réduisent à sauver l’année scolaire au lieu de sauver l’école, l’émergence n’est pas possible. Pour vous, mes chers collègues, il n’y a que deux alternatives : éduquer ou périr. Alors, jouez votre rôle. On a confiance en vous.

Issa ABDOUSSALAMI 
Sociologue, doctorant à Aix-Marseille Université 
Enseignant de Lettres à l’académie de Créteil 

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