Depuis son enlèvement en mai 2017, Yanish Ismaël vit désormais sur l’île Maurice. DR Depuis 2017, les enlèvements d’hommes d’affaires d...
Depuis son enlèvement en mai 2017, Yanish Ismaël vit désormais sur l’île Maurice. DR |
Sa voix est douce, ses phrases chantantes, son calme surprenant. Yanish Ismaël a pourtant vécu un « vrai cauchemar » et subi un « traumatisme à vie », confie-t-il. Il y a treize mois, il se faisait enlever par des hommes armés de kalachnikovs près d’Antananarivo, la capitale malgache.
A 26 ans, le jeune homme est devenu la 90e victime connue de ce qui s’apparente désormais à une véritable industrie à Madagascar : le kidnapping contre rançon de personnes issues principalement – mais pas uniquement – de la communauté d’origine indienne. Etablie depuis plusieurs générations sur la Grande Ile, cette communauté comprend quelque 15 000 membres, dont 30 à 40 % ont la nationalité française. Certains d’entre eux ont créé de petites entreprises devenues de véritables empires, au point de figurer parmi les plus grosses fortunes de l’île. La famille de Yanish en fait partie. En 1987, son père, Danil Ismaël, a fondé le groupe SMTP, désormais actif dans plusieurs branches.
En deux semaines, il y a eu quatre enlèvements de ressortissants d’origine indienne, dont trois Français
Yanish est resté en captivité vingt-trois jours – un record – dans des conditions épouvantables : « J’étais dans une pièce de 8 mètres carrés les yeux bandés en permanence, je ne voyais la lumière du jour que lorsque j’allais aux toilettes », raconte-t-il. Surtout, ses gardiens le « torturaient psychologiquement. Ils me réveillaient tôt pour me dire qu’on allait me relâcher et le soir qu’ils allaient me tuer parce que ma famille n’avait pas payé ».
Après son enlèvement, Yanish, très choqué, a préféré s’exiler à Maurice. « Tout se passe bien maintenant, affirme le fils cadet du fondateur. J’ai suivi une [next] thérapie qui m’a beaucoup aidé. » Courageux, il retourne dans son pays, « que j’adore », répète-t-il à l’envi.
Les kidnappeurs sont bien entraînés, équipés de fusils d’assaut, avec un mode opératoire précis
Le 15 juin, pourtant, alors qu’il devait y fêter l’Aïd, il n’a pas pu s’y rendre. Trop difficile. Trop dangereux. Car, depuis le sien, les kidnappings ont redoublé d’intensité, atteignant un niveau jamais vu début juin. « En deux semaines, il y a eu quatre enlèvements de ressortissants d’origine indienne, dont trois Français : Navage Veldjee, Rishi Chandarana, Nizar Pirbay et Moustafa Hiridjee. On en est à 110 depuis 1991 ! » s’indigne Jean-Michel Frachet, directeur exécutif du Collectif des Français d’origine indienne à Madagascar (CFOIM). L’association créée en juin 2017 par des hommes d’affaires entend apporter une réponse policière, judiciaire et psychologique aux kidnappings, « quelle que soit l’origine des victimes », précise M. Frachet. Le CFOIM a déposé une dizaine de plaintes en France et collabore avec la cellule mixte d’enquête anti-kidnapping (CME) mise en place en septembre 2017 par le gouvernement malgache et qui regroupe des policiers, des gendarmes et des fonctionnaires du ministère de la Justice.
A ce jour, néanmoins, les résultats du CME sont maigres : 9 cas traités, 106 personnes interpellées et 21 suspects incarcérés, selon son bilan à la mi-juin. La cellule, peu expérimentée, fait face à deux écueils : « Les kidnappeurs sont bien entraînés, équipés de fusils d’assaut, avec un mode opératoire précis », remarque Jean-Michel Frachet. Des criminels qui auraient des complices au sein des forces de l’ordre, voire à un plus haut niveau, selon plusieurs observateurs…
L’enlèvement de Moustafa Hiridjee, dirigeant d’un des plus gros groupes de Madagascar (libéré depuis), a achevé de terrifier la communauté – mais pas seulement. Plusieurs opérateurs importants songeraient à quitter définitivement la Grande Ile. « Le drame humain se doublerait alors d’un véritable drame économique », déplore Jean-Michel Frachet.
Paris Match | Par Corinne Moncel
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