A la suite de la sortie tonitruante, la semaine dernière, du Commandant régional de l’Armée Nationale de Développement (AND) de Mohéli, l...
A la suite de la sortie tonitruante, la semaine dernière, du Commandant régional de l’Armée Nationale de Développement (AND) de Mohéli, le Colonel Anrifi (tenue militaire sur la photo), qui a menacé de tuer les opposants de l’ile de Mohéli, je vous propose un article fort intéressant portant sur l’armée comorienne, qui date de 20 ans, rédigé par le journaliste Aboubacar M’changama, Directeur de la publication du Journal « Archipel » et publié le 20 avril 1999 dans le Numéro 175 de son journal, une semaine avant le coup d’état militaire du Colonel Azali Assoumani.
Dans cet article, M’changama relatait avec objectivité, les maux qui rongeaient á l’époque notre armée. Ces maux sont toujours d’actualités. Cet article, qui est sans concession pour notre armée a été rédigé bien avant le débarquement militaire de mars 2008 qui avait redoré en partie le blason de l’armée. ©ComoresDroit
Bonne lecture !
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Pouvoir politique et pouvoir militaire ont toujours agit ici en mauvaise connivence dans laquelle chacun pouvait compter sur l’autre pour agir dans une impunité propre aux régimes dictatoriaux. Forfaits partagés. Même si, au finish, ce sont les politiques qui portent la plus grande part de responsabilité ; qui n’ont jamais conçu une armée pour la défense du pays – d’ailleurs elle en est incapable (L’Archipel N° 111), mais comme un instrument de répression domestique. Du coup, les valeurs proprement militaires ont été tronquées au fil des ans, faussées. L’armée a couvert les pires anomalies en son sein, toléré les actes d’insubordination les plus graves [next] ; bref tous les manquements aux valeurs qui font une armée et forcent son respect.
Depuis sa création, et à travers ses diverses appellations (Fac, Gp, Fcd, And…), l’armée comorienne, reflet parfait des régimes qui se sont ici succédés, n’a jamais eu en aucun moment un quelconque comportement patriotique (…). A l’image de la plupart des armées africaines, la nôtre s’apparente elle aussi à un gang (dés)organisé, royalement indisciplinée. Aucun fait d’armes, ses seuls exploits connus sont les exactions et la gâchette facile, un peu d’affairisme et un peu de contrebande, etc…Mais lorsqu’il s’agit de se battre pour défendre le pays, nos soldats sont les premiers à battre en retraite s’ils ne rallient pas le camp ennemi, en l’occurrence mercenaire.
Pourtant nos valeureux soldats n’ont jamais connu les affres des fins de mois difficiles, lorsque l’enseignante (e), le médecin, l’infirmière(e) ou le retraité accumulait jusqu’à 15 mois d’arriérés de salaires. Par peur, les responsables politiques se refusent à aborder. Le cas certes délicat du rôle et de l’utilité de notre armée. Car outre la frime et les tabassages, elle ne sert strictement à rien, sinon à parader chaque 6 juillet…depuis 24 ans. Et si l’on ment qu’elle nous prouve le contraire – même dans nos colonnes. Résultat : placée au dessus des lois du commun des mortels et de la République, l’armée comorienne a fini par devenir (presque) hors-la-loi (L’archipel N° 18, p.2).
Un peu d’histoire. Le président Ahmed Abdallah Abdérémane est assassiné le 26 novembre 1989 par le chef mercenaire Bob Denard et ses acolytes qui encadrent la Garde Présidentielle, la terrible Gp de triste renom qui constituait en fait l’armée. Cet événement tragique a permis au moins de mesurer à sa juste valeur la densité patriotique de nos soldats. Indigne. Alors que l’armée française s’apprêtait à chasser (15 déc.1989) Bob Denard des Comores, on a vu des soldats comoriens pleurer à chaudes larmes au départ de ceux qui venaient d’assassiner le/leur Président qu’ils étaient sensés protéger. « Je reviendrai » lancera-t-il à ses hommes.
Une scène strictement mémorable. Quelques heures auparavant, sous une pluie battante et sous les caméras du monde, le même Bob Denard, avant de s’envoler, [next] avait tenu à…humilier une (avant) dernière fois des Comores en organisant au camp de Kandani, une dégradante cérémonie : monter ses ouailles Noirs en garde. Bob est parti, emportant sous le bras le drapeau national. Nos politiciens sont sortis de leurs cachettes pour réclamer «vite, vite des élections ! ». Nos militaires ont mis leurs beaux galons. Au nom d’une stupide « réconciliation nationale », le pouvoir Djohar maintiendra et les grades et le salaire qui y est lié. Comme une sorte de prime au crime mercenaire. Mais combien parmi les militaires savent ce que leur « chef-papa-chéri » dira d’eux quelques mois plus tard…Novembre 1992. Sous l’instigation de l’Udzima, une tentative de renversement du Président Djohar tourne à la rébellion. Loyaliste et éléments putschistes (ceux que l’on désignera plus tard sous le terme de « rebelles ») s’affronteront et les victimes nombreuses. La plupart des rebelles capturés sont emprisonnés.
Une poignée d’irréductible prennent le maquis jusqu’en… septembre 1995, lorsque le même Bob Denard débarque à Moroni pour son dernier ( ?) coup d’état (L’archipel N° 145), rejoint par tous les rebelles, mais aussi par certains soldats jusqu’alors considérés comme des parfaits loyalistes – mais qui pensaient faire le bon choix, à commencer par les deux fils du défunt président Abdallah, les lieutenants Cheick et Abdérémane. Le Commandant Azali, ainsi que le Premier Ministre se réfugient à l’ambassade de France. Une poignée de loyalistes et la Gendarmerie résistent. C’est au cours de la bataille pour reprendre le contrôle de Radio-Comores que le lieutenant-colonel Soilihi Mohamed est grièvement blessé à la jambe.
Entre-temps un Comité militaire de transition (Cmt) présidé par le capitaine Combo Ayouba avait été mis en place dès le premier jour du putsch, le 28 septembre.Le 30, le CMT remet le pouvoir à Mohamed Taki avec, dira à Radio-Comores « la caution morale de M.Omar Tamou » qui venait d’être libéré par Bob Denard. L’armée française débarque dans la nuit du 4 au 5 octobre. Reddition des putschistes. Libéré, le président Djohar est déporté sur l’île de la [next] Réunion durant 112 jours. Le 6 octobre, tous les militaires comoriens qui avaient pris part au putsch sont amnistiés sans aucune forme de condition (L’archipel N° 196). La plupart d’entre eux, notamment les rebelles, feront partie de la garde prétorienne de candidat Taki durant la campagne des présidentielles de 1996. Taki élu, tous les rebelles seront réintégrés dans l’armée, avec leurs grades.
Certains seront même récompensés en nature et en sous-main. Aucune sanction, même symbolique. On passe l’éponge. Quelques temps plus tard, le Commandant Azali qui, malgré tout, avait su imposer à cette armée un semblant de cohésion part en stage en France. Le Président Taki ironise : « il paraît qu’il est parti faire des études ». En tous les cas ce n’est pas moi qui l’ai envoyé, et il devra chercher quelque autre endroit pour travailler, mais pas ici » (L’archipel N° 170, p.5). Mais à son retour, non seulement il réintègre l’armée, mais Taki le nomme chef d’état-major avec le grade de Colonel. Son autorité sur l’armée en sortira néanmoins diminuée.
Vint l’intervention militaire d’Anjouan (9 sept 1997). Toute la hiérarchie militaire à commencer par le Chef de l’état-major de l’époque, le colonel Moilim Djoussouf, s’y oppose ; autant pour des raisons politiques, mais surtout militaire. Mais le président Taki qui n’en faisait qu’à sa tête passe outre. Il propulse Hassane Harouna Lieutenant-colonel et lui confie l’opération « Goro ». Un véritable fiasco. Et puis, il y a toutes ces petites de grosses anomalies, mais nombreuses. Nous n’en citerons que deux. La première ; Ali Abdallah est nommé délégué à la Défense par Taki. Il a l’entière confiance du chef de l’Etat . Et c’est vrai que l’homme est un fidèle aveugle. Il n’empêche que pour asseoir son influence dans sa région, le Hambou, Ali Abdallah va procéder à une série de promotion des plus extravagantes, mais à forte coloration régionaliste (L’archipel N° 164, p.11).
Où l’on voit un militaire, Izidine, passer en l’espace de quelques [next] cinq à six mois du grade de lieutenant à capitaine, puis commandant. Et puis il y a le cas Zarouk. Zarouk déserte ou abandonne l’armée (c’est selon…) du temps du Président Djohar. Il revient et réintégrer l’armée sous Taki, lorsque M. Tadjidine Ben Said Massonde, son oncle, est premier ministre. Le Zarouk percevra tous ses arriérés de salaires de ses années de désertion lorsque Tadjidine deviendra président de la République par intérim, auprès de qui il exerce désormais les fonctions d’aide de camp, avec dit-on le grade de commandant.
La liste de ces anomalies serait longue. Tenez : un simple incident de la circulation entre deux conducteurs : un militaire et un juge, par pu hasard. Le militaire frappe le juge et lui lance au visage : « nous n’avons pas besoin ni de juge ni de gens instruits dans ce pays » (sic). Son corps (l’armée de la gendarmerie) a refusé que son homme soit jugé. Esprit de corps dit-on…Résultat : cette armée est devenue un corps mollusque. Et les rivalités entre clans et tendance adverses (Anciens des Fac et Gp, loyaliste et rebelles, les Takistes et les autres, et maintenant l’animosité suspicieuse entre militaires Anjouanais, Mohéliens et Gds-comoriens…) ne sont pas le pire des maux qui l’affectent. Compte-tenu de ce que tout le monde revendique pour le futur cadre institutionnel, cette soi-disant armée n’a plus son sens d’être. Elle doit disparaître.
Aboubacar M’Changama,
Archipel N° 175 du 20 avril 1999
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