L’objectif du gouvernement mauricien est simple : attirer les «ultra high net worth individuals», ces ultra-riches qui ne cherchent qu’à fa...
L’objectif du gouvernement mauricien est simple : attirer les «ultra high net worth individuals», ces ultra-riches qui ne cherchent qu’à faire fructifier leurs revenus. Pour renflouer les caisses de l’Etat, Pravind Jugnauth, le ministre des Finances, a fait un pari fou qui divise la classe politique et l’élite économique : proposer à la vente le passeport et la nationalité de l’île Maurice respectivement à 500 000 et 1 million de dollars. Mais le débat sur la pertinence de la mesure fait rage.
Jusqu'ici les investisseurs étrangers en île Maurice se contentaient d'un permis de résidence. Depuis la mise en place de ce système en 2006, le pays a délivré près de 15 000 permis de résidence. Désormais, Maurice a décidé de franchir un nouveau cap qui fait polémique.
Calcul stratégique pour un passeport «visa-free» dans 145 pays
Si la proposition de Pravind Jugnauth est adoptée, Port-Louis pourrait offrir de vendre le passeport ou la nationalité à des étrangers. Lorsqu'il présentait sa loi de finances le 14 mai 2018, le ministre des Finances a établi en deux actes une stratégie destinée à attirer les investisseurs les plus fortunés vers son pays pour renflouer les caisses de l'Etat. L'objectif est de séduire les personnes à très hauts revenus.
D'abord, ce plan propose la nationalité mauricienne à des investisseurs avec tous les privilèges que cela confère, y compris le droit de vote et d'être élu. Celui qui est tenté par cette naturalisation économique qui ne dit pas son nom devra débourser la somme de 35 millions de roupies mauriciennes (Rs), soit l'équivalent d'un million de dollars. Ensuite, le détenteur de cette nationalité devra encore tirer de sa poche 1,7 million de Rs soit 100 000 dollars pour la transmettre à un membre de sa famille.
L'autre option pour l'investisseur est d'acquérir un passeport mauricien avec une restriction sur les privilèges qui y sont attachés. En échange de 17 millions de Rs, soit 500 000 dollars, le souscripteur peut avoir le précieux sésame. Il lui faudrait aussi 1,7 million de Rs (50 000 dollars) de plus pour obtenir le passeport mauricien pour chaque membre de sa famille.
Le calcul est stratégique pour le gouvernement qui espère faire entrer plus de 100 millions de dollars dans les caisses de l'Etat grâce à ces nouvelles mesures. Il compte s'appuyer sur la réputation du passeport mauricien très prisé par les hommes d'affaires puisqu'il trône à la 28e place du classement selon l'indice du passeport de Henley. Un passeport qui permet de voyager «visa-free» dans 145 sur 199 pays à travers le monde -espace Schengen compris.
Nouvelle «recolonisation» ?
Avec une petite nuance près, Port-Louis est allé chercher l'inspiration de cette mesure dans les pas de pays comme Chypre ou Malte où, comme le rappellent nos confrères du journal français Le Monde, le business des «passeports en or» est détenu par des marchands spéciaux qui tiennent même une sorte de salon du passeport à Genève. Ailleurs, des pays caribéens comme Antigua-et-Barbuda, la République dominicaine ou encore Grenade offrent la possibilité d'acquérir leur passeport après quelques investissements.
Pour autant, la seule expérience africaine, tentée aux Comores, a charrié un scandale de corruption et de détournements d'ampleur qui a impliqué deux ex-présidents de l'archipel. Une tache qui apporte, à Maurice, de l'eau au moulin des détracteurs de la mesure proposée par Pravind Jugnauth. Mais ici, les préoccupations sont ailleurs. Dans la classe politique, y compris au sein du propre gouvernement, chez les syndicalistes et même chez les économistes le débat fait rage, comme le rapporte la presse locale.
Tout d'abord, l'on s'interroge sur le dispositif de sécurité que vont mettre en place les autorités pour éviter les cas de fraude, de corruption et les risques de prédation économique. «Qu'arrivera-t-il au prix des terrains si des étrangers achètent la nationalité mauricienne et le passeport?», s'interroge Xavier-Luc Duval de l'opposition qui souligne le scénario d'envolée des prix dans l'immobilier et le foncier. Ce qui impliquerait pour d'autres de mettre à mal l'équité dans l'acquisition de biens immobiliers ou des terres.
D'autres pointent des risques de «recolonisation» de l'île par des étrangers ultra-fortunés. Ce qui pourrait remettre en cause l'indépendance politique et économique. Et l'on ne compte même pas les risques sur la réputation d'un pays qui se défend souvent d'être un «paradis fiscal». Dans tous les cas, pointe le syndicaliste Narendranath Gopee, «il faut attirer les investissements, mais pas à n'importe quel prix!»
IBRAHIMA BAYO JR. ©afrique.latribune.fr