LES RÉPERCUSSIONS DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : INSURRECTIONS ET DÉPORTATIONS Par Damir Ben ALi ( Anthropologue et historien) To...
LES RÉPERCUSSIONS DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : INSURRECTIONS ET DÉPORTATIONS
La lettre d’abdication du sultan Said Ali fut publiée, au journal officiel de République française, le 12 août 1911 et le 25 juillet 1912, la loi d’annexion était adoptée proclamant les îles Comores colonies françaises, rattachées à Madagascar .
Les spoliations des terres par les colons et les rébellions de 1891 et 92 à Ngazidja et Ndzuani matées par les fusiliers marins de la station navale de Mayotte avaient provoqué un important flux migratoire vers l’Afrique. 15 000 habitants pour la seule année 1891 avaient quitté l'archipel. Ce nombre était celui de la population de l’île de Ndzuani en 1906 . Le Tanganyika possession allemande était alors une terre d’accueil d’une importante colonie comorienne qui entretenait des relations presque privilégiées avec les autorités coloniales allemandes par rapport aux autochtones. A Madagascar ; des établissements commerciaux allemands employaient un personnel comorien nombreux. Les guerres de résistance menées jusqu’en 1889, par le sultan Hashim; ami des Allemands, étaient encore dans les mémoires. Aussi les campagnes de propagande antifrançaises étaient-elle lancées de partout dans l’archipel et dans toutes les colonies comoriennes de l’Océan indien.
Les secousses provoquées par la première guerre mondiale jusque dans la vie quotidienne du pays inspiraient les spécialistes de la parole de l’époque. Ils exprimaient leurs sentiments et leurs opinions sur le nouvel ordre que le colonisateur vient d’instaurer, sur les répercussions de la guerre au niveau local, quand les mesures de mobilisation ont touché les indigènes et sur les évènements qui se sont produit au niveau mondial, lorsque la Turquie puissance musulmane dont le sultan porte le titre de Commandeur des croyants, entre dans la guerre au côté de l’Allemagne. L’opinion publique comorienne considère alors qu’une victoire de la Turquie et des empires centraux sur la France et l’Angleterre sonnera la fin de la présence française aux Comores.
Une campagne menée par un théologien comorien, Said Abubakar ben Sumett, le père du premier Grand Mufti des Comores, Al Habib Umar, toutes les mosquées comoriennes du vendredi se sont mis à prononcer le prône au nom du sultan de Turquie.
Le 16 novembre 1914; ce monarque avait appelé tous les musulmans au soulèvement. Cet appel répercuté dans l’archipel par l'ensemble des imams des mosquées de vendredi du pays. Un climat d'émeutes régnait dans l’archipel et dans le nord ouest de Madadgascar où vivait une population musulmane importante. Quatre Comoriens qui tenaient des propos exaltant la puissance de la Turqie et rabaissant les moyens de l’Angleterre étaient appréhendés à Diego et internés pour deux ans à Sainte Marie. En janvier 1915, trois arrestations étaient opérées à Ndzuani pour le même motif. Combo Boina était condamné à cinq ans de prison à Sainte Marie de Madagascar et les deux autres assignés à résidence à Mayotte. Des rumeurs circulaient et alimentaient le climat de tension qui régnait dans le pays. On parlait des mauvais traitements infligés aux prisonniers musulmans par les alliés, d’une occupation de la Mecque par l’Angleterre.
Le Gouverneur général de Madagascar créa un journal en langue swahili qui avait pour titre "El Haqui", (La Vérité). Ce journal était publié gratuitement à la population de l’archipel et aux populations musulmanes de la Grande île. L’ex sultan de Ngazidja Said Ali, alors en exil à Madagascar a effectué une tournée de propagande dans les villes malgaches habitées par des musulmans et a fait placarder une proclamation dans les mosquées des Comores pour appeler la population à soutenir la France « en lutte pour la liberté et la justice. »
Les insurrections
En juillet 1916, à la suite des mauvais traitements infligés à des femmes du village de Djomani par des agents de la garde indigène, 16 villages du Mbude ont refusé de payer l’impôt de capitation et ont gagné la brousse. Un camp de 1200 personnes s'est constitué et a coupé les routes aux abords de Mitsamihuli; chef lieu du nord de l’île. Un bateau de guerre, le Persepolis jette l’ancre devant Mitsamihuli. L’administrateur en chef de Majunga débarque avec un bataillon des tirailleurs. Il réussit à briser le mouvement du Mbude au prix de deux morts et cinq blessés. Mais le feu se rallume aussitôt dans le Dimani au sud est de l’île.
Le jeune Masimu, fils de l’ancien wazir de Dimani (Gouverneur) sous le règne de ntibe Said Ali se trouvait à Maweni chez son oncle, employé de Henri Humblot au moment de la “guerre” (les émeutes) du Mbude. Revenu à Mtsangadju, il fut le compte rendu des évènements à ses amis. Aussitôt de nombreux jeunes, venus, non seulement du Dimani mais aussi du Washili et du Domba se réunissaient juraient de chasser les Français de leur région. Ils capturèrent le percepteur malgache et les gardes qui l’accompagnaient dans sa tournée du canton du Washili et menaçaient de les tuer. Les notables mobilisés par le chef du village de Mtsangadju avaient réussi par la négociation à les faire libérer mais la chaise à porteur et les registres furent détruits. La suite était la bataille de Sambamadi qui avait fait trois morts et de nombreux blessés par balles du côté des insurgés.
Les affrontements près du hameau de Sambamadi ont fait trois morts : Masimu du village de Mtsangadju, le fils de Zema Bwana et de l'ancien vizir de Dimani, Mtsala, le fils de Ina du village de Madjoma et Hamadi Patiara fils de Ntsohole du village de Pidjani dans le Domba. Une vingtaine d’insurgés étaient grièvement blessés et quatre vingt arrêtés et déportés pour une période de 2 à 5 ans dans les prisons de Madagascar.
Les œuvres les plus célèbres relatives à ces évènements étaient la complainte de Zema Bwana de Mtsangadju pour la mort de son fils Masimu et le poème de Ipvesi Mgomdri dit Ipvesi Bungala de Shomoni dans le Washili.
Les pleurs
Zema Bwana apprit la mort de Masimu, son fils, alors qu’elle portait Dafine son bébé de quelques mois, dans ses bras. Elle avait écouté calmement le récit des évènements avant de s’adresser ensuite à son bébé, Dafine pour exprimer sa douleur.
Les forces ennemies étaient symbolisées par une mer déchainée. Masimu et Hamadi Patiara de Pidjani étaient tués les premiers. Mtsala ; grièvement blessé et transporté par ses camarades, mourut avant d’atteindre Madjoma son village.
Idumbio sha Masimu
1. Woyi Dafine idjundu shahara
2. Hudja sha kudjanundra na sambi
3. Kudja nundra na ngoma ndremao
4. Batsikana mwezi wabashia ndro
5. Utrubuza ulilwa madjidju
6. Sha we shambahabari shaho wahanwa
7. We ntsalia zaho walala Samba
8. Bahi yentsihu yenkodo yaheya Samba
9. Fumbu lipvo liwudza ngalidjayao
10. Na ufuwantsi wadja undrenge
11. Tsendo dzuba tsambwa ntsidzube
12. Bamitsina fuu djema labahari
13. Tsidzubu ngarileleso na fumbu
14. Pvadjuha dudja liwudza ngalidjao
15. Na ufuwantsi wadja undrenge
16. Namina Ina sindoranwa handani
17. Ntshole hangamila hotcheroni
18. Nano waribelia wano fumbu
19. Yetsi lalao yelinaliyao
20. Zinu hanamba hale Fe Mahame
21. Hanamba rayedjenda mdjini
22. Hamba yelala lesiwa ngalirengwao
23. Ngazidja ngetsamao Mbushi
24. Ba ramrumwa rayawumbwa Mungwana
25. Wowontsi ngwareshwao Burubwa
26. Wende wake mshaharani ha wamanga
27. Yetsi lalao yelinaliyao
28. Noyeka mbongoma ureme ntsi
29. Inyao ngensao ngozini
30. Yetsi lalao yelinaliyao
Le pleur de Masimu
1. Voici Dafine, la tempête déchaînée
2. Tu es venu, mais je ne t'ai pas accueilli en dansant le sambi
3. Je ne t'ai pas accueilli en jouant du tambour
4. Car je possédais un astre dans sa phase de pleine lune
5. Elle est arrachée et s'est éteinte sur les eaux.
6. Mais tu es le messager de ceux qui sont noyés;
7. Tu es le porte-flambeau de ceux qui sont tombés à Samba.
8. Alors le jour où la guerre a éclaté à Samba,
9. La marée est basse et commence à remonter;
10. Un tourbillon arrive droit sur moi pour m'engloutir.
11. Je m’apprête à plonger, j'ai reçu l'ordre de ne pas plonger
12. Car dit -on mon signe astral m'interdit d'affronter la mer;
13. J'ai plongé et nous glissons sur les vagues
14. Une lame déferle sur nous;
15. Et un tourbillon arrive droit sur moi et m'emporte
16. Ina(1) et moi, nous sommes noyées les premières.
17. Ntsohole(2) est engloutie par le ressac.
18. Ceux qui nous entourent, avalent des masses d'eau salée
19. Qu'il est ardent, le soleil qui me brûle !
20. C'est juste ce que m'a dit Fe Mahame, il y a bien longtemps
21. Il l'a dit .avant de partir dans l'autre monde
22. Il a dit qu'après lui l'île sera prise;
23. Des Malgaches s'installeront à Ngazidja
24. L'esclave autant que celui qui est né libre,
25. Tous seront déportés à Bourbon
26. Où ils seront les serviteurs des étrangers.
27. Qu'il est ardent le soleil qui me brûle !
28. Or lorsque l'averse tombe,
29. L’eau qui me mouille pénètre dans ma peau
30. Qu'il est ardent le soleil qui me brûle !
(1 )Mère de Hamadi Patiara, un compagnon de Masimu tué à Samba
(2) Mère de Mtsala mortellement blessé à Samba.
Zema Bwana
Mtsangadjuu ya Dimani