Condamné à trois ans de prison à Madagascar, cet ancien boxeur devenu intime du président malgache avant de tomber en disgrâce s’est évadé ...
Condamné à trois ans de prison à Madagascar, cet ancien boxeur devenu intime du président malgache avant de tomber en disgrâce s’est évadé en pirogue.
Houcine Arfa, 53 ans, ex-conseiller du président de la République de Madagascar, a passé six mois dans la pire prison de l’île, avant de s'en évader le 28 décembre dernier au terme d'un improbable périple.
Désormais, Houcine Arfa, 53 ans, est en sécurité en France, le pays qui l'a vu grandir. Loin de la «maison de force» où cet ex-conseiller à la sécurité du Président de la République malgache dit avoir été torturé. Attablé dans un café parisien du 17ème arrondissement, ce lundi matin, il détaille pour la première fois cet «enfer» qu'il vient de vivre. Houcine Arfa balance. Et dit avoir encore de nombreuses révélations à faire...
«Un dossier vide»
Poursuivi initialement pour «usurpation d'identité», «tentative d'extorsion» et «association de malfaiteur», il dénonce un procès biaisé, basé sur «un dossier vide», qui lui a valu d'être condamné en novembre à trois années de détention. «Une procédure totalement inique. Un coup monté», dénonce Me Frank Berton, son avocat, rompu aux arcanes judiciaires malgaches devant lesquelles il a déjà porté plusieurs dossiers criminels.
Désormais, l'heure est à la contre-attaque. Alors qu'une procédure d'appel est en cours, qui sera examinée en février, les autorités malgaches parlent «extradition». Me Berton, lui, entend pour sa part déposer plainte, en France, vraisemblablement pour «séquestration arbitraire.» L'affaire Arfa, une «affaire d'Etat» selon son principal protagoniste, ne fait que commencer.
Le Parisien : Vous étiez incarcéré à Tsiafahy, la prison la plus sécurisée de Madagascar. Comment vous en êtes-vous échappé ?
Houcine Arfa : On ne sort pas d'un tel endroit sans complicités. Je l'assume : j'ai été aidé au plus haut niveau de l'Etat malgache. J'ai versé 70 000 € à la ministre de la justice, 30 000 € au procureur en charge de mon dossier.* Cela m'a permis d'être transféré dans un établissement plus souple, et d'être emmené à l'hôpital avec une escorte allégée. Là, mes gardes m'ont emmené jusqu'à la ville de Tamatave. Mais je sentais que le contrat ne serait pas rempli, et qu'on allait m'arrêter à nouveau. Une équipe à moi a pris le relais. J'ai embarqué dans une pirogue. Trois heures durant, à la boussole, nous avons ramé à travers les courants violents du canal du Mozambique, puis nous avons été transbordés en haute mer dans une pirogue motorisée, jusqu'à Mayotte où nous avons débarqué discrètement.
Pourquoi vous être soustrait à la justice malgache ?
Parce que si j'étais resté, j'allais mourir. En six mois, j'ai perdu 20 kilos. A Tsiafahy, dès mon arrivée, j'ai été roué de coups de poings et de pieds par les gardiens, toujours ivres. Régulièrement, j'étais frappé avec une courroie d'alternateur, entourée d'une serviette éponge pour que ça ne laisse pas de marques. Là-bas, la vie n'a aucun prix, et j'ai vu plusieurs prisonniers mourir. J'ai été laissé dans une cage, surplombée par des gardiens qui vous insultaient ou vous urinaient dessus. Cet établissement est l'un des plus violents au monde, comme l'a documenté le comité international de la croix rouge (CICR).
A quel titre y étiez-vous incarcéré ?
J'ai été arrêté le 20 juin, et condamné en novembre à trois années de prison. Dès le départ, le dossier était vide. On m'a tout reproché, jusqu'à être l'auteur de kidnapping. Quand ma femme a rencontré le juge d'instruction, celui-ci a reconnu qu'il n'avait rien contre moi, mais s'est dédouané en disant que les instructions venaient de la présidence de la République. Mon avocat, Me Berton, est en possession de l'enregistrement de cette conversation.
On vous a aussi reproché d'avoir usurpé la fonction de conseiller présidentiel ?
Pourtant, tout le monde sait que j'étais le conseiller de l'actuel président, Hery Rajaonarimampianina (NDLR : surnommé «R»). Ancien sportif et boxeur, j'ai travaillé dans l'aéronautique à Toussus-le-Noble. Puis j'ai exercé dans le social. J'étais proche des équipes de François Mitterrand. J'ai aussi été directeur de la jeunesse à la mairie de Vigneux-sur-Seine (Essonne). A la fin des années 2000, j'ai été conseiller de l'ex-ministre socialiste Lucette Michaux-Chevry, en Guadeloupe. De là, j'ai monté ma société de consulting. J'ai travaillé pour plusieurs dirigeants africains, jusqu'à rencontrer en 2015 le président malgache.
Vos détracteurs vous qualifient de barbouze...
Je ne suis pas une barbouze. Je n'accepte pas ce terme. J'ai été embauché par le président pour former sa garde présidentielle. Soit 900 hommes sur les 30 000 de l'armée malgache. Il n'avait ni les moyens, ni la volonté de faire appel aux grandes puissances pour le faire. J'ai mis en place des techniques atypiques. Nous avons installé un hangar à avion, le «dôme», dans lequel les hommes s'exerçaient. Je les ai fait équiper de drones, et développé des entrainements à la fois efficaces et peu onéreux.
Et vous êtes devenu un intime du président ?
Oui. Nous étions très proches. Plusieurs fois par semaines, il venait visiter le dôme. Il adorait ça. Nous avions régulièrement des entretiens d'une heure trente environ, parfois plus. Voyez cette photo où il est en polo et short aux côtés de ma femme et ma fille. Très peu de gens peuvent se vanter d'une telle proximité. D'ailleurs, j'ai gardé tous mes badges et lettres d'accréditation. Qu'on ne vienne pas me dire que je suis un usurpateur.
Vous dites être tombé en disgrâce ?
J'ai dérangé des intérêts puissants, et me suis retrouvé au milieu d'une terrible guerre de clans. D'autres conseillers du président ont pris ombrage de cette intimité. L'un d'eux souhaitait que j'intervienne auprès du Président lorsque ce dernier a récupéré la licence de télévision Sky One pour en faire l'un des vecteurs de sa campagne. Je ne l'ai pas fait et l'intéressé m'en a voulu. Une première fois, sous la pression, «R» a mis fin à mon contrat de formation de la garde, fin 2016, tout en me demandant de rester à ses côtés. Début 2017, on m'a demandé de réfléchir à la protection de l'ethnie Karanes, qui tient les rênes de l'économie malgache, et est à ce titre particulièrement visée par les kidnappings. Je crois que c'est là que mon sort s'est scellé...
Craignez-vous aujourd'hui d'être extradé vers Madagascar ?
Non, car la France n'extrade pas ses nationaux. Dès mon retour, j'ai pris attache avec les équipes du président Macron. J'ai eu un accusé de réception, mais aucun retour officiel. Si j'étais coupable, je ne serais pas rentré en France. Je serais allé me cacher ailleurs en Afrique. Aujourd'hui, je dis aux autorités de mon pays, qui m'ont d'ailleurs très peu soutenu : si je suis coupable, prouvez-le. Autrement, laissez-moi tranquille.
* Contactés à plusieurs reprises, ni l'ambassade de Madagascar en France, ni la brigade criminelle et la direction des affaires judiciaires à Madagascar n'ont donné suite.
©LeParisien