Le débat politique à la une est celui des assises pour le bilan des quarante-deux dernières années. Tout le monde en parle, discutant sur l...
Le débat politique à la une est celui des assises pour le bilan des quarante-deux dernières années. Tout le monde en parle, discutant sur la pertinence de l’évènement, l’utilité de l’exercice ainsi que la nature des objectifs politiques visés.Certains y voient un moment de vérité qui fera date, permettant de prendre une nouvelle direction, d’autres n’y voient qu’ « un machin » qui se terminera avec un document bien rédigé et présenté lors d’une grande cérémonie au palais du peuple avec un lendemain incertain.
Si les assises suscitent un débat, c’est avant tout, avouons-le, à cause d’une seule question qui préoccupe les esprits et fait couler beaucoup d’encre. La tournante. Va-t-on mettre fin à la tournante ? Pourquoi maintenant ? Ce système n’a-t-il pas garanti la paix et la stabilité pour notre pays après une période de troubles ? Quelles conséquences potentielles à une éventuelle suppression de la tournante ?
Face à la sensibilité de la question, le débat est légitime, s’agissant d’un enjeu politique et stratégique. Il faut poser les termes du débat de manière sereine, sans passion, ne poursuivant que l’intérêt supérieur du pays, évitant toute forme de provocation.
La tournante est née dans des circonstances où le pays était au bord de l’implosion, l’unité nationale risquant de voler en éclat. La confiance avait été rompue entre la population et ses dirigeants et entre les comoriens eux même. Comparant le pays à un corps gravement malade, la tournante a été un paracétamol qui n’a fait que calmer la douleur permettant au corps de survivre. Certes ce n’était le meilleur médicament, pour assurer la vitalité et le développement du pays, mais néanmoins il a permis de garder une certaine cohésion et ne pas entrer dans un chaos social.
Après quinze années d’expérimentation, on remarque à première vue que la tournante n’est pas un bon système de gouvernance. Elle provoque des chamboulements et un manque de continuité de l’action publique. La rotation des responsables des différentes administrations est quasi systématique après chaque round, ce qui ne garantit pas l’efficacité nécessaire dans la mise en œuvre des politiques publiques. Vue de cet angle, la tournante constitue un mauvais système qui est la cause de l’affaiblissement des partis politiques, l’île d’origine étant la clé de toute promotion politique, suivant la fameuse formule « yinu nde yatru ».
Toutefois, il serait très réducteur de baser l’analyse seulement sur l’efficacité et la pertinence du mécanisme. La tournante est née d’un sentiment d’injustice et d’inéquité. Le comorien n’a pas confiance à l’Etat comme garant de l’égalité de chance et l’équité dans l’accès aux opportunités. C’est pourquoi avec ce sentiment, beaucoup voient en la tournante un moyen de permettre une circulation de l’influence allant d’une île à une autre.
Devant une telle complexité, et pour ne pas revenir à la case de départ, il faut noter que les conditions ne sont pas remplies pour la suppression brutale de la tournante, surtout du fait le débat intervient après le début d’un nouveau cycle. Je suis convaincu qu’une telle suppression est nécessaire pour ramener de la cohérence dans la gouvernance publique. Mais pour y parvenir, il est indispensable pour toute volonté politique sincère, de créer la confiance. Il faut démontrer aux comoriens et principalement aux jeunes que la seule voie pour la réussite est le mérite. L’égalité de chance est indispensable. L’impartialité, l’intérêt général sont des mots qui doivent se traduire dans la réalité. Il faut créer des ponts et des échanges entre les îles, assurer la présence de l’état grâce à des programmes nationaux au profit de la population de base. Il faut démontrer que l’accès aux emplois et aux opportunités ne dépend pas du lieu de naissance ou de la proximité avec les dirigeants. Il faut par exemple créer un lycée d’excellencenational avec internat pour permettre aux meilleurs élèves du pays, futurs élites, de vivre ensemble, se connaitre et se reconnaitre. Supprimer la tournante sans ces préalables ne serait qu’une aventure dangereuse, qui risquerait de ramener le pays vers des terrains inconnus.
La richesse de notre pays c’est la paix et la stabilité qui y règne. Nos dirigeants doivent veiller à ce que cette richesse soit préservée pour léguer aux prochaines générations un pays apaisé.
En conclusion, je dirai que la tournante est un mauvais système de gouvernance. Sa suppression est indispensable, mais le timing et les conditions ne sont pas réunis. Le corps n’est pas encore prêt à y être administré le bon médicament, continuons notre paracétamol. Peut-être ce qu’on pourrait faire dans un premier temps c’est de garder la tournante mais supprimer définitivement les gouvernorats, pour que enfin le ministre de l’éducation nationale par exemple soit effectivement comptable et responsable de l’éducation de nos enfants du primaire au supérieur, et éliminer in fine les combats stériles entre Union et île autonome, source de gâchis, d’inefficacité et de dilapidations des ressources publiques.
Mohamed Ibrahim Abdallah (Cheikh)