Ali Zamir: «La littérature n’a pas besoin de passeports»

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Mon Etincelle qui paraît cet automne est le deuxième roman d’Ali Zamir. Paru l’année dernière, le premier roman Anguille sous roche sous la...

Mon Etincelle qui paraît cet automne est le deuxième roman d’Ali Zamir. Paru l’année dernière, le premier roman Anguille sous roche sous la plume de ce talentueux Comorien fut le véritable phénomène de la rentrée littéraire 2016. A l’écriture fulgurante et poétique, cet opus inaugural a valu à l’auteur un grand succès d’estime ainsi que populaire avec plus de 10 000 exemplaires vendus à ce jour et la comparaison au célébrissime Bonjour Tristesse de Françoise Sagan. Le nouveau livre d’Ali Zamir, rédigé en trois mois, confirme le prodigieux talent de ce jeune auteur qui aime se mettre en danger en mêlant prose et poésie, écriture et oralité, tradition et modernité. Entretien.
Auteur comorien, Ali Zamir a pris d'assaut la fortelesse de
la littérature française avec ses romans entre poésie en prose et
contes. Editions Le Tripode

RFI: Vous venez de publier votre nouveau roman Mon Etincelle. Alors qu’il vous a fallu presque une année pour écrire Anguille sous roche et cinq ans pour le voir publier, vous avez écrit votre deuxième roman en trois mois. Dans quelles conditions l’avez-vous écrit ?

Ali Zamir: Suite à l’accueil exceptionnel dont mon premier livre a bénéficié, j’ai décroché cette année une résidence d’écriture de cinq mois dans les locaux du musée archéologique de Lattara, à Montpellier. Au bout de trois mois d’écriture, mon texte était prêt. Avant de commencer, j’avais simplement noté quelques idées qui me trottaient dans la tête, puis les mots sont venus tout seul, sans que j’aie eu à faire des efforts particuliers. C’était comme si ma plume vomissait le texte, les mots ainsi que les images.

Comment pourrait-on définir ce nouveau livre ? S’agit-il d’un roman ? d’un conte ? Votre narration s’ouvre sur un très familier : « Il était une fois »…

Disons qu’il s’agit d’un roman qui est à la frontière de plusieurs genres, comme mon premier livre Anguille sous roche d’ailleurs. Mon Etincelle est un roman, un conte, mais aussi un poème en prose. On peut l’aborder par n’importe quel de ces versants.

Les ressemblances entre les deux livres sont aussi thématiques et philosophiques, me semble-t-il. Vos personnages vivent la vie comme un voyage. Peut-on parler de voyage initiatique qui conduit à la connaissance de soi ?

Plus que le voyage, c’est l’urgence qui primait dans mon premier roman. Son protagoniste Anguille voyait le monde comme une scène de théâtre. Condamnée, elle avait besoin de parler : elle devait dire pour survivre. Pour la jeune Etincelle, l’héroïne de mon nouveau roman, la vie est effectivement un voyage. Elle déclare d’ailleurs que nous sommes tous en voyage. Or ce voyage ne peut déboucher sur la connaissance... sans l’amour, qui est le thème central de mes récits. Pour tout vous dire, je suis convaincu que notre monde ne pourra être sauvé que par l’amour.

En nommant vos personnages « Douleur » et « Douceur », vous vouliez peut-être aussi dire que cet amour que vous exaltez n’est pas sans ses chausse-trapes et ruses ?

Oui, tout à fait. L’amour est à la fois douleur et douceur. J’ai écrit dans mon livre que l’amour était semblable à une pièce de monnaie, il a son côté pile et son côté face. La passion ne va pas sans souffrance, tout comme douceur et douleur sont étroitement liées dans les histoires du coeur. Mon héroïne est d’ailleurs issue de ces deux forces. Sans dévoiler l’intrigue, disons seulement qu’Etincelle elle-même naît du choc de la douleur et de la douceur.

Alors que le récit progresse de manière linéaire dans votre premier livre, il procède par relais de parole et mises en abyme dans le second. Cette narration polyphonique rappelle Mille et une nuits.

Oui, Mille et une nuits, mais aussi Jacques le Fataliste de Diderot, parce qu’il y a beaucoup d’interrogations, ce que permet de mettre en scène la superposition de récits. Etincelle raconte ce que sa maman lui a raconté, qui à son tour rapporte ce que d’autres lui ont raconté. Quant aux lecteurs, ils attendent que l’héroïne finisse l’histoire, mais celle-ci nous met sans cesse en attente en disant : « Ce n’est pas ma faute, c’est la faute à maman. Donc j’attends que maman finisse de me raconter l’histoire ». Elle est en état d’attente comme nous, comme les autres personnages d’ailleurs. Ces nombreuses parenthèses permettent de reporter la mort, comme dans Mille et une nuits, mais aussi de donner à voir la pluralité des mondes et des visions. Mon héroïne Etincelle est tiraillée entre les différents arguments aussi esthétiques qu’éthiques, entre la beauté amorale et le moralisme, entre la poésie et la prose.

Votre nouveau roman a été encensé par la critique, notamment par Alain Mabanckou qui a parlé d’ « une des histoires d’amour les plus extraordinaires »…

Alain Mabanckou a été le premier à réagir. J’ai été très heureux d’apprendre que mon livre lui a plu. Etre reconnu par un grand confrère comme Mabanckou est un honneur pour moi.

Vous citez dans vos interviews Alain Mabanckou, mais aussi Cheikh Hamidou Kane, Ahmadou Kourouma, comme des auteurs qui vous ont marqué. Etes-vous un écrivain africain ?

Oui, bien sûr, je suis un écrivain africain. J’ai été profondément influencé par ces auteurs africains que j’ai découverts très tôt. Par exemple, lorsque j’ai passé mon baccalauréat, L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane était au programme. Mais je suis peut-être avant tout un écrivain universel : mon écriture brave les frontières et mes lecteurs me le font toujours remarquer.

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Qu’est-ce que vous avez aimé dans L’Aventure ambiguë ?

En particulier, son intrigue philosophique, basée sur la confrontation entre la culture occidentale et la culture africaine. La différence que Cheikh Hamidou Kane établit entre les deux demeure pertinente encore aujourd’hui. J’ai vu cette confrontation à l’œuvre aux Comores où ce n’est toujours pas facile de vivre les deux cultures, sans renier ni l’une ni l’autre. On est considéré comme un étranger à sa propre culture quand on essaie de s’ouvrir à l’autre.

Vous ne parlez pas beaucoup de la littérature comorienne. Est-ce que la littérature comorienne a été une source d’inspiration pour vous ?

La littérature comorienne me semble trop focalisée sur la société comorienne. Moi, je n’écris pas uniquement pour les Comoriens. Tout mon travail d’écriture s’est fait loin des Comores, en travaillant pour me libérer des tabous et des interdits de ma société qui limitent mon élan.

On pourrait dire qu’écrire en français relève pour vous de ce réflexe d’émancipation et de survie ?

D’une certaine façon, oui. En même temps, je ne pouvais qu’écrire en français qui est la langue dans laquelle j’ai fait toutes mes études et dans laquelle j’ai découvert la littérature. On me demande encore pourquoi j’écris en français et pas dans une langue comorienne. C’est une question qu’on ne devrait pas poser aux Comoriens qui ont suivi le même cursus scolaire que les Français depuis le primaire. Je n’ai pas fait le choix d’écrire en français, c’est le français qui m’a choisi. C’est pourquoi la distinction français/francophone que font les critiques me paraît tout à fait superfétatoire. Je sais qu’il y a un débat aujourd’hui en France sur cette manière de séparer les productions françaises et les littératures des pays de langue française. Ce débat doit avoir lieu parce que finalement je ne sais pas ce qui différencie réellement la littérature française de la littérature francophone. Tout est littérature et la littérature n’a pas besoin de passeports.

Pourquoi écrivez-vous ?

J'écris non seulement pour communiquer mais surtout pour me libérer en donnant la parole à ceux qui ne l'ont pas. L'écriture est ma seule raison d'être : si je n'avais pas l'écriture comme moyen de m'affirmer, je serais étouffé par tout ce qui se passe aux quatre coins de la planète.

Mon Etincelle, par Ali Zamir. Editions Le Tripode, 280 pages, 19 euros.

Par Tirthankar Chanda - ©RFI
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