Il fut un temps où j’ai cru que, le destin commun des Comoriens devait se construire avec un Etat-Nation, un pouvoir centralisé, unificateu...
Il fut un temps où j’ai cru que, le destin commun des Comoriens devait se construire avec un Etat-Nation, un pouvoir centralisé, unificateur, se souciant peu de l’existence particulière et des atermoiements des Wa Ngazidja, Wa Mwali, Wa Ndzuwani, Wa Maore ; ainsi,fut mon passé militant dans les honorables organisations politiques de l’ASEC et du Front Démocratique. Avec le temps, j’ai réalisé à mes dépens,combien l’insularité des Comores a marqué d’uneemprunte profonde, l’existence quotidienne des Comoriens, depuis les anciens sultanats.
Les 70 kilomètres minimums de mer entre une île et une autre,entravent l’intégration économique et l’unification politique. Notre pays ne ressemble à aucun autre pays au monde. Il s’ouvre à l’extérieur, tout en se distinguantpar sa géographie, son histoire et sa culture, sans oublier la géopolitique locale et régionale très complexe. Aujourd’hui, plus que jamais, l’insularité a dessinél’architecture spéciale de nos institutions politiques et la superstructure redondante de notre administration.
C’est dans ce contexte particulier que nous construisons notre destin commun, avec des hauts et des bas. Le 06 juillet de chaque année, nous réaffirmons notre volonté de vivre ensemble et de partager un avenir commun, conformément à notre constitution qui, dans son préambule, a consigné la poursuite d’un destin commun. Nos chefs d’état successifs ont incarné chacun à sa manière, le symbole de l’unité nationale, d’intégrité territoriale, et d’arbitrage modéré du fonctionnement régulier de nos institutions. Mais pourquoi le bilan des 42 années d’indépendance, s’éloigne des espérances et des intentions affichées ? La réponse à cette question n’est pas aisée. Cependant, deux phénomènes majeurs ont particulièrement retenu notre attention.
Primo. A chaque fois que la décentralisation souhaitée avant la décolonisation, est inscrite dans la constitution (insularité oblige), elle est mise en échec par la centralisation inexorable des moyens de gouvernement, compromettant ainsi, la libre administration locale. La concentration en haut de la vie publique autour du Chef de l’Etat, et des moyens de gouvernement, n’a pas mis un terme à la mauvaise gestion de l’argent public et son corolaire de dysfonctionnements de nos institutions.
Ellen’a pas changé outre mesure, la sociologie politique de notre pays. Malgré l’affaiblissement notoire de la vie publique locale, le cœur de la majorité des Comoriensvibre émotionnellement, non pas en faveur de l’intégration nationale, mais pour leur région d’origine où les réalisations sociales traditionnelles donnent un sens vivant à leur existence. Le village reste la structure sociale et politique d’appartenance la plus forte ; les identités insulaires l’emportent sur l’identité nationalebureaucratique, affichée dans le passeport et la carte nationale. L’Etat est partout absent, tandis que le repliidentitaire comble le vide : « on n’a qu’une vie ici-bas dit-on, elle se réalise au village, dans la région natale ».
Secundo. Des faits révélateurs de comportements blâmables méritent qu’on tire la sonnette d’alarme surl’interprétation troublante et dangereuse que certains font de l’équilibre régional, et par ricochet, de la présidence tournante. L’équilibre des îles ne se limite pas au partage mécanique des hautes fonctions de l’Etat (présidence de l’Union, de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle).
De quoi on parle ? On parle de souci de justice et d’équité dans la répartition des investissements, de formation et de promotion des cadres issus des entités nationales. On parle de l’harmonisation des niveaux de vie des populations des îles, pour prévenir les velléités séparatistes, du fait de l’instrumentalisation de la pauvreté. On parle de la disparité de niveau de développement (investissements et équipements collectifs), qui affecte sensiblement, les relations entre les îles et l’Union. Or, cette question n’est pas traitée au titre de la responsabilité de l’Etat, dans le cadre de l’aménagement du territoire national.
Que dire lorsqueles gouvernorats doivent payer des taxes de dédouanement des matériels destinés aux projets de l’Etat, que l’Union s’approprie sans avoir honoré sa contrepartie pour accompagner les efforts des bailleurs ? Cette logique est contestable, si l’on doit comprendre que seuls les ressortissants dit-on, des régions en queue du peloton, doivent rattraper leurretard, lorsque les îles dont ils sont originaires, serontéligibles à la tournante. Cet état d’esprit n’encourage pas la solidarité nationale, d’autant qu’il n’y a pas là-dessus, un débat ouvert et inclusif, et que lesinvestissements publics vont principalement dans lesrégions hégémoniques, où les cadres sont recrutés et promus aux postes de responsabilité par favoritisme, au détriment d’autres cadres tout aussi méritants et compétents sinon plus, mais qui ne sont pas issus de la région promue. Et si la région perd la tournante, tout se perd ou se fige, en attendant le prochain tour dans 10 (dix) ans.
Il n’y a donc ni cohérence des politiques publics, ni continuité de l’Etat régulateur de l’activité économique. Les îles ont pratiqué à tour de rôle, cette gestion « ethnique ou tribale » du pouvoir, sans se soucier de l’image pitoyable laissée à l’état, maître d’ouvrage évincée de la maison à construire. Pourtant, il n’y a pas à proprement parler, d’ethnie ni de tribu aux Comores, sauf que la gestion publique du fait insulaire, par des clans fermés, n’a rien à envier aux ethnies observéesailleurs. Les mentalités sont ainsi faites ; cela va durer encore longtemps, malgré le projet de « Pays émergent » ; la tournante calme les esprits, car chacun attend son tour.
Si l’équilibre régional ainsi pratiqué, est incompatibleavec l’éthique d’unité nationale et du destin commun, quelles corrections apportera le projet d’émergence en 2031 ? Sans prétention de donner des leçons, nous pensons que la première étape de ce projet est en cours de réalisation avec les mesures d’assainissement des finances, renforcées par la réactivation du Compte Unique de Transition.
A cet égard, et par souci de transparence des comptes publics, les dotations budgétaires des communes devraient également intégrer le CUT, afin que les maires soient eux aussi destinataires des rapports de la Banque Centrale,
Economiquement, le « Pays émergent » a besoin d’être encré dans les objectifs de la SCA2D. A cet égard, l’Assemblée nationale devrait se doter des mécanismes de contrôle et de surveillance de la répartition «territoriale" des crédits d’investissement, au-delà de leur affectation sectorielle.
Sur le plan politique, l’émergence a besoin de la stabilité des institutions pour se concentrer sur le reste. Sa gestion relève en principe, du consensus national des accords de Fomboni. Le projet serait ainsi relayé en 2021, par le tour d’Anjouan, et en 2026, par celui de Mohéli. C’est ainsi que le « pays émergent » aura la résonnance sociale d’une œuvrecommune, car la stabilité issue du consensus national vaut mieux que celle imposée par la crainte des armes.
DJABIR Abdou
Mouvement Social d’Action pour la Démocratie et l’Alternance (MSADA)