Amir Abdou : «Aux Comores, c'est la folie !»
Football - Entretien. Le Lot-et-Garonnais d'adoption est à la tête des Cœlacanthes depuis trois ans.
Amir Abdou, 45 ans, partage sa vie entre le Lot-et-Garonne, où il est installé depuis une quinzaine d'années, et les Comores, d'où il est originaire. Sélectionneur des Cœlacanthes depuis 2014, l'ancien entraîneur de Golfech évoque son expérience.
Amir Abdou va «accompagner» les Comores au moins jusqu'à la fin de la campagne qualificative pour la prochaine CAN, en novembre 2018./ Photo DDM, Morad Cherchari |
Entre deux matches officiels, plusieurs mois s'écoulent. En quoi consiste votre travail durant cette période «creuse» ?
Après chaque rencontre, je dresse un bilan détaillé d'une cinquantaine de pages à l'attention de la Fédération (il allume son ordinateur). Ça, c'est le match contre le Malawi (0-1), les statistiques, les compositions d'équipe,... Et en amont, je prépare le match pendant un mois, j'essaie ainsi de ne laisser aucune place au hasard. Avec mon staff, on dort 4 heures par nuit. On essaye de rien oublier, c'est passionnant. Pendant cette période, j'en profite aussi pour rencontrer des joueurs, c'est beaucoup de relationnel.
Comment expliquez-vous votre longévité à un poste souvent instable ?
Je suis en effet un des plus anciens sélectionneurs africains. L'équipe a progressé, elle est aujourd'hui au 140e rang Fifa (elle était 197e quand Amir Abdou a été nommé à sa tête, ndlr). Mon premier match comme sélectionneur avait lieu en France, à Martigues, contre le Burkina. C'était la première fois qu'il y avait autant «d'expatriés» (1) en sélection. Le Burkina était alors finaliste de la CAN (Coupe d'Afrique des nations), c'était un adversaire costaud. La Fédération avait voulu frapper un grand coup en organisant cette rencontre. Ça passait ou ça cassait. On aurait pu prendre 4 ou 5 buts mais on fait 1-1, et on a eu plusieurs opportunités de l'emporter. L'effervescence est partie de là, ce résultat a marqué les esprits.
Quel discours avez-vous tenu aux «expatriés» pour les convaincre de rejoindre la sélection ?
J'aborde le côté affectif, la fratrie, l'amour du pays. Parfois, on est confronté à un mur. Certains ont des craintes, ils ne veulent pas prendre le risque de se blesser. Mais quand un joueur vient en sélection, il n'a plus envie de repartir. Le public est formidable. Chez nous ce sont des passionnés. à domicile, le stade est plein à craquer. On peut jouer devant 8 000 ou 9 000 personnes alors que la capacité maximale de l'enceinte est de 4 000. C'est la folie ! Quand on arrive aux Comores, c'est la fête pendant une semaine. Les gens dorment la veille du match sur la plage. Le coup d'envoi est à 15h, le stade est plein à 9h et les supporters chantent en attendant. Quand les joueurs voient ça, ils n'en reviennent pas.
Quelles sont vos ambitions pour les Cœlacanthes ?
Pour les qualifications à la CAN, notre groupe est très relevé avec le Maroc, le Cameroun et le Malawi. L'objectif est de grandir, gagner en maturité. Il ne faut pas que la qualification soit une obsession, le chemin est semé d'embûches mais elle arrivera c'est sûr. Il faut tout de même avoir conscience qu'on a des moyens limités par rapport à d'autres sélections. Par exemple, en dépit de toute la bonne volonté de notre fédération, la préparation de la rencontre face au Malawi n'a pas été idéale. On était à Marseille dans un hôtel, au bord de la route, le cadre était loin d'être idyllique. Les joueurs qui habitaient dans le secteur rentraient chez eux le soir. Cela entraînait des dysfonctionnements sur la rigueur, les horaires,...
Sur quels joueurs vous appuyez-vous en sélection ?
Je peux citer Bakar (Tours, L2), Ahamada (Kayserispor, Turquie), Ben Fardou (Olympiakos, Grèce), Abdallah (ex-AC Ajaccio, L2), Abdullah (Cadiz, D2 espagnole). Quatre ou cinq joueurs sortent du lot. Ils apportent leur expérience. De plus, je m'intéresse beaucoup aux centres de formation dans lesquels évoluent de jeunes comoriens. Il y en a beaucoup à l'OM. Il y a aussi le prometteur Maolida (18 ans) à Lyon. Et on aimerait récupérer Wesley Saïd (Dijon). Il y a de quoi être optimiste quant à l'avenir.
Un mot sur Ali Ahamada, passé par Toulouse (2009-16) ?
Le premier match auquel il a participé, contre le Botswana, on a gagné, c'était d'ailleurs notre première victoire. En Ouganda, on perd 1 à 0. On joue devant 70 000 personnes, aux abords du stade il y en avait 30 000. Si on gagnait, ça pouvait être délicat pour nous. Les spectateurs ont envahi le stade à la fin du match. On est rentré aux vestiaires en courant. Malgré la défaite, Ali a été monstrueux. Sur les ballons aériens, il est impérial, c'est Goldorak. Au-delà de ses qualités sportives, Ali est un super mec. Par exemple, pendant le ramadan, on affrontait le Togo. Le soir, il nous a invités chez sa mère, une femme adorable. Il y avait une cinquantaine de personnes. On a passé un magnifique moment, je ne peux pas l'oublier. Quand je parle de «fratrie», là ça prend tout son sens.
(1) Joueurs nés en France mais pouvant postuler à la sélection comorienne du fait de leur origine.
«La Dépêche» à l'origine de sa nomination
«C'est grâce à un article paru dans La Dépêche du Midi qu'on m'a contacté pour devenir sélectionneur des Comores», raconte Amir Abdou.
En octobre 2013, l'entente Golfech/Saint-Paul d'Espis (DH) élimine Luzenac (National) au 5e tour de la Coupe de France (0-0, 4-1 aux t.a.b). L'article de «La Dépêche» relate alors l'exploit réalisé par les joueurs tarn-et-garonnais et leur entraîneur, Amir Abdou. Le responsable Europe de la fédération comorienne prend ainsi connaissance de la performance des Golféchois et découvre les qualités de coach d'Abdou. «J'ai ensuite passé trois ou quatre entretiens, j'ai réussi à gagner sa confiance», raconte l'enfant de Moroni, arrivé à Marseille à l'âge de 3 ans. Nommé sélectionneur des Cœlacanthes début 2014, Amir Abdou savoure chaque moment : «Je ne me prends pas la tête, je vis au jour le jour. Il y a 208 sélectionneurs dans le monde et j'en fais partie, j'ai vraiment de la chance. Si ça s'arrête, je pourrai dire que j'aurais au moins contribué à écrire l'histoire de la sélection de mon pays.»
Alors qu'il a mis son activité à la mairie de Bon-Encontre entre parenthèses (il bénéficie d'une mise à disposition), l'ancien joueur de Villeneuve-sur-Lot et du SU Agen va «accompagner» les Comores au moins jusqu'à la fin de la campagne qualificative pour la CAN, en novembre 2018.
Recueilli par Sébastien Barrère ©ladepeche.fr