Usurpation d’identité et fraude à l’état civil
C’est un secret pour personne, les Comores sont confrontées depuis des années à une multiplication d’actes de délinquance portant sur des fraudes à l'état civil, dans le but soit de réduire l’âge, soit de modifier l’identité ou obtenir un acte fictif. La fraude à l'état civil peut porter sur l'acte d'état civil lui-même. Elle résulte alors de l'usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées, d'altération de copies ou d'extraits d'actes régulièrement délivrés par les autorités locales, d'altération des registres de l'état civil par surcharge, de confection de vrais faux actes d'état civil constitués d'actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère...).
Image d'illustration ©comoros.eregulations |
Elle peut aussi se caractériser par des détournements de procédure en "instrumentalisant" l'officier de l'état civil, amené à se prêter malgré lui à la conclusion ou la constatation d'un acte simulé ou inexistant. Elle peut être la production de documents falsifiés ou frauduleux délivrés avec la complicité des officiers d’état civil. Ces actes sont des vrais puisqu’ils sont délivrés par les autorités compétentes, mais sont faux car leurs énonciations sont fausses. Ce sont donc de « vrai faux actes ».
Cette fraude à l’état civil touche toutes les couches de la population. Cette fois-ci, elle touche un député de l’Assemblée de l’Union. Lors de la séance plénière de l’Assemblée de l’ Union du 5 novembre 2016, l’ affaire a fait grand bruit et a troublé les travaux de cette séance. Il faut dire que l’affaire est grave et très grave. Un ancien candidat à l’élection des conseillers de l’ ile d’ Anjouan,M. Ahmada Issoufi a déposé une requête à la Cour Constitutionnelle et demande la déchéance d’un Conseiller de l’ ile d’Anjouan, coopté député depuis, pour représenter l’île autonome d’Anjouan, pour avoir falsifié son état civil et usurpé l’identité de son demi-frère afin d’être éligible aux élections des conseillers des îles. Les faits sont les suivants : N’ayant pas 25 ans au moment du scrutin au mois de janvier 2015, l’âge minimum requis par le code électoral pour être éligible, M. Herdine Soula, c’est son véritable nom, natif de Adda-daoueni et qui avait 22 ans au moment des faits, a pu établir une carte d’identité au nom de Nourdine Soula, son demi-frère qui avait 26 ans, en modifiant la sienne, établie lors de son passage à l’examen du baccalauréat, pour pouvoir se porter candidat.C’est après avoir falsifié son état civil qu’il a pu être candidat, élu conseiller de l’ile d’Anjouan et désigné cette année député de l’île d’Anjouan à l’Assemblée nationale.
Lors de la séance plénière du 5 novembre 2016, le Président de l’Assemblée de l’Union a pris une mesure conservatoire en interdisant le « député » incriminé et les deux autres conseillers choisis cette année par le conseiller de l’ile d’Anjouan, de participer aux travaux parlementaires en attendant la décision de la cour constitutionnelle.
Cette affaire grave relance l’idée deréhabiliter dans l’urgence l’état civil comorien pour le rendre complet, fiable, moderne et perein, accessible et garantissant une disponibilité de données complète. Un projet de réhabilitation du système de l’Etat civil aux Comores a été finalisé en 2008 par le Ministère de la Justice et le Commissariat général. Ce projet n’a jamais été mis en œuvre faute de financement. Le projet aurait dû être mis en œuvre pendant une période de 5 ans allant de 2009 à 2013. Le coût estimatif du projet était de neuf cent trente-trois millions six cent cinq mille francs comoriens (933 605 000 Fc). A ce jour, le projet n’est toujours pas mis en œuvre par le gouvernement faute de financement en dépit des multiples plaidoyers réalisés auprès des partenaires. Ainsi, l’Etat continue de prendre avec légèreté la question de l’état civil qui est pourtant cruciale dans le développement du pays.
Lors de la 3ème conférence des ministres africains en charge de l’état civil organisée à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire du 9-13 Février 2015, les Comores avaient fait une présentation de la situation des Comores un état des lieux de leur système de l’état civil depuis la tenue de la 2eme conférence des ministres africains en charge de l’état civil organisée à Durban en Afrique du Sud. Cette présentation a porté sur les mesures prises dans l’amélioration du système de l’état civil, les défis rencontrés, l’état d’évaluation et de la planification et les perspectives.
Les défis soulevés par les Comores lors de cette conférence sont :
l’inadéquation du système statistique national pour prendre en compte l’état civil comme source de données essentielles pour le développement;
la forte prévalence de la pauvreté qui conduit à des stratégies de survie au niveau individuel et communautaire soutenu par des actes frauduleux vis-à-vis de l’état civil ;
la mauvaise gouvernance qui se traduit par une négligence manifeste des autorités compétentes du contrôle nécessaire du système d’état civil et parfois de leur complicité active ;
la prévalence d’un système social d’oralité et de solidarité communautaire souvent en compétition voire en conflit avec le système écrit basé sur la comptabilité et les référents occidentaux dits modernes qui régit le système d’état civil ;
la faiblesse des compétences techniques des ressources humaines en charge du fonctionnement du système qui se traduit par l’ignorance des règles et principes qui le régissent, quitte à se mettre en travers de la loi ;
la faiblesse institutionnelle du système avec des centres d’état civil mal équipés ;
l’absence de transcription et ou d’enregistrement des faits d’état civil dans les chancelleries.
L’évaluation du système de l’état civil qui est sollicitée à tous les pays africains, n’est pas encore réalisée dans notre pays. Le Ministère l’intérieur traite les pieds pour adresser la requête au Conseil économique des Nations Unies pour l’Afrique. Et pourtant, avant de transférer les compétences d’état civil aux communes l’année dernière, il fallait réaliser cette évaluation, afin de pouvoir adopter et mettre en œuvre une politique de développement et de sécurisation des enregistrements des faits de l’état civil. Il est de plus en plus urgent de mettre en œuvre cet important chantier relatif à l'état civil, pour l’intérêt, la sécurité et le développement du pays.
La première conférence ministérielle qui s’était tenue à Addis-Abeba, en Ethiopie en août 2010 avait reconnu l'importance de l'état civil et des statistiques de l'état civil et l’a identifié comme l'un des impératifs de développement clés du continent. Lors de la deuxième Conférence des ministres africains chargés de l'état civil tenue à Durban en Afrique du Sud au mois de septembre 2012, les ministres avaient réaffirmé l'importance de l’enregistrement des faits de l’état civil et l’établissement des statistiques de l’état civil (CRVS). Elle a recommandé la poursuite des efforts pour élaborer des politiques et des stratégies idoines afin de réformer et améliorer des systèmes CRVS, et les intégrer dans les plans et programmes de développement nationaux. À cet effet, les ministres s’étaient engagés à élaborer d'urgence des plans d’actions nationaux budgétisés sur les systèmes CRVS reflétant les priorités nationales propres à chaque pays, sur la base des évaluations exhaustives à entreprendre, avec le soutien du Secrétariat et des organisations partenaires.
Lors de la 3ème conférence à laquelle les Comores étaient représentées, les ministres africains en charge de l’état civil ont recommandé notamment la mise en œuvre d’une stratégie claire sur le développement durable des capacités sur le CRVS sur le continent, l’établissement des liens solides entre l’état civil et les systèmes d’identité nationaux dans les efforts pour gérer une identité juridique. Au cours de cette conférence, les participants ont salué les efforts accomplis par plusieurs pays du continent visant à réhabiliter et moderniser leur état civil. La Mauritanie qui accueillera le 4eme sommet des ministres africains en charge de l’état civil au mois de février 2017 a mis en place " un registre national biométrique de la population " avec un enrôlement de près de 90 % de sa population en trois ans et demi. Désormais, ce pays n’aura plus besoin de réaliser des recensements généraux de la population.
Notre pays a déjà entamé le processus budgétivore du 4ème recensement général de la population et de l’habitat pour l’année 2016 (cf. Décret No 14-144/ du 20 septembre 2014 portant institution et organisation du 4eme RGPH). Le dernier recensement date de septembre 2003. Le 4ème RGPH se propose de « faire le bilan démographique, de déterminer les caractéristiques de l'habitat et de donner une situation de référence comme base d’appréciation de l'impact des politiques et des programmes de population mis en œuvre au cours de ces dernières années ». Le budget estimatif de ce RGPH est de 646 881 770 Fc. Avec ce montant, le pays aurait dû engager la réforme son état civil afin d'avoir des données fiables pour accompagner le développement économique du pays. Les fonds alloués àla biométrisation des passeports, des cartes d’identité et des listes électorales, au recensement de la population, auraient largement suffi pour moderniser et fixer l’état civil comorien. ©ComoresDroit