L’école comorienne : bilan et défis
Etat des lieux
D’après le Rapport d’Etat du Système Educatif National (RESEN) de 2012, 85,5 pour cent des enfants comoriens accèdent à l’école primaire mais 63,2 pour cent uniquement terminent le premier cycle parmi lesquels un tiers sont analphabètes. D’après le même rapport, notre pays avait, en 2011, inscrit 174694 élèves (soit un quart de la population restée sur le territoire national) répartis dans 736 établissements scolaires dont 315 écoles publiques et 107 privées, 54 collèges publics et 148 privés, 20 lycées publics et 92 privés. D’après Idi Bacar Ali, chef d’établissement, 40 pour cent des élèves décrochent du secondaire et seulement 20 pour cent, en moyenne, sont admis au baccalauréat ces vingt dernières années (Idi Bacar Ali, « Echec à l’école : 5 propositions pour améliorer le niveau scolaire et éducatif, Al-watwan, n° 3010, vendredi 16 septembre 2016). A propos du secondaire justement, 12890 candidats ont été inscrits au baccalauréat 2016, 5940 ont été reçus (46 pour cent) dont seulement 1915 dès le premier tour (14,8 pour cent). Les écoles privées tirent, sans étonnement, leur épingle du jeu : pour le baccalauréat, Galaxy (Ntsoudjini) a obtenu 100 pour cent de réussite, GSFA (Moroni) 91,42 pour cent et Mtsachiwa (Chouani) 89,13 pour cent.
Quelques explications
Simple constat : le système éducatif comorien n’est pas à la hauteur des attentes des Comoriens. Plusieurs raisons sont souvent évoquées : niveau trop bas des élèves dû à leur nonchalance ou à un manque d’encadrement, laxisme de certains parents, épreuves trop difficiles et corrections trop sévères (pour les examens nationaux), absence de formations techniques et professionnelles conduisant tous les élèves à l’enseignement général pas nécessairement adapté à tous les profils scolaires… Zaitoune Mounir, inspectrice de l’enseignement et ancienne commissaire à l’éducation (« Zaitoune Mounir veut une remise à plat du système », Femme des îles, n° 11, 2016), livre d’autres raisons : manque de bonne volonté de certains enseignants, manque de responsabilité de l’administration scolaire (ni sanction des fautifs ni valorisation des méritants), manque de ressources humaines pour penser et piloter cette lourde administration, manque de moyens (des manuels et des salles de classe font cruellement défaut dans le primaire et le secondaire).
Suggestions
Idi Bacar Ali formule cinq propositions destinées à améliorer notre système éducatif : réorganisation de l’administration scolaire (amélioration de la gestion des ressources humaines, responsabilisation accrue des chefs d’établissements, meilleure évaluation du système éducatif à travers l’inspection pédagogique), promotion de l’enseignement professionnel et technique en s’appuyant sur les collectivités territoriales, sensibilisation amplifiée des parents aux enjeux éducatifs, encadrement consolidé des étudiants dans le premier cycle universitaire afin de réduire l’échec universitaire et renforcement des compétences de l’administration scolaire.
Je crois personnellement que le système éducatif comorien est bien évidemment insatisfaisant mais certainement pas désespérant. J’ai même envie de dire qu’il fonctionne plutôt bien vu sa jeunesse et son manque de moyens humains et financiers. Un peu de réalisme tout de même : les systèmes scolaires performants s’appuient, le plus souvent, sur une longue expérience du système, sur des hommes et des femmes bien formés et expérimentés et sur des moyens financiers colossaux.
Notre pays a hérité de toutes les tares de l’ancien système éducatif français (revu plusieurs fois d’ailleurs) : trop archaïque, trop élitiste, trop généraliste et trop théorique. Il me semble qu’il faudrait l’alléger, lui fixer des objectifs précis et l’adapter au monde moderne. L’alléger : supprimer l’examen d’entrée en sixième (qui absorbe beaucoup d’argent inutilement), réduire la lourdeur du BEPC qui n’a plus le même intérêt qu’il y a trente ans (interroger par exemple les candidats seulement sur le français, les mathématiques et l’Histoire-Géographie.
On pourrait y ajouter éventuellement une langue vivante). Lui fixer des objectifs : décider par exemple que le primaire serait exclusivement consacré à la lecture et au calcul, le collège à la formation d’une culture générale de base (appelons-la formation du citoyen par exemple) et le lycée à la sélection des esprits capables d’abstraction (séries générales) et à la professionnalisation (séries professionnelles et techniques). L’adapter au monde moderne : introduire dès la sixième le numérique, renforcer l’enseignement de l’anglais et promouvoir chez les élèves comoriens l’esprit d’initiative et d’entreprise (arrêter de leur inculquer exclusivement l’esprit de fonctionnaire).
Tout cela nécessitera des hommes et des femmes compétents et déterminés, une volonté politique réelle et, bien sûr, beaucoup d’argent que nous devrons sortir de nos poches car il faudra bien, un jour, choisir entre les mariages somptueux et l’avenir de notre pays.
Nassurdine Ali Mhoumadi,
Docteur ès Lettres, Enseignant-Chercheur