France - Primaire de la droite et du centre : un certain regard d'Afrique
REVUE DE PRESSE. Pour les médias africains, au-delà du duel entre Juppé et Fillon, c'est l'élimination de Nicolas Sarkozy qui retient l'attention.
Depuis dimanche 20 novembre, les résultats du premier tour de la primaire de la droite et du centre qui ont donné François Fillon vainqueur à 44 % des voix sont abondamment commentés dans les médias en Afrique et sur les réseaux sociaux. S'il est vrai que le duel annoncé entre Alain Juppé et François Fillon ne passionne pas tellement la presse du continent, il en est tout autre de la défaite dès le premier tour de Nicolas Sarkozy. Comme une revanche, certains médias jouent le match retour, et jubilent quasiment sur le sort fait à l'ancien président qui affirmait à Dakar en juillet 2007 que « l'homme africain n'est pas suffisamment rentré dans l'histoire ».
C'est que la politique africaine de l'ex-chef de l'État a laissé des traces. En plus de ne l'avoir jamais dissocié de ce discours de Dakar, pour de nombreux commentateurs, Nicolas Sarkozy serait « l'architecte de l'invasion internationale de la Libye ». « Et son refus d'admettre avoir orchestré la mort de Kadhafi sur des bases fallacieuses passe également pour un manque d'humilité et une malhonnêteté qui font qu'il n'est pas fondamentalement différent des dirigeants africains qu'il se plairait pourtant à critiquer », écrit le site d'information guinéen Ledjely au lendemain des résultats. Allant jusqu'à soutenir que l'ancien président « n'a jamais réussi à infirmer les allégations de financement de sa campagne de 2007 par le guide libyen qu'il a fait assassiner quatre ans plus tard. Avec le recul, la crise postélectorale ivoirienne de 2011 est également imputée à l'ancien président français comme la meilleure illustration de la Françafrique qu'il avait pourtant promis de liquider ».
La défaite de Sarkozy vue d'Afrique
« Échoué », « éliminé », « merci les Français ! », commentent les internautes du continent. Il faut dire que beaucoup de moqueries ont tourné sur les réseaux sociaux dans un premier temps. Entre les blagues douteuses sur un Sarkozy demandant à Ali Bongo des conseils pour remonter ses scores, en référence à la victoire écrasante du président gabonais dans son fief du Haut-Ogouué à la présidentielle du 27 août dernier, on est revenu au bout de quelques heures à des analyses plus profondes sur l'impact de cette primaire sur la présidentielle de mai 2017 scrutée par une majorité d'Africains.
Pour «l'homme africain»: Sarkozy est sorti de l'histoire https://t.co/zu6j44dM23 #afrique pic.twitter.com/HMQSUZbQLZ— L'important (@Limportant_fr) 22 novembre 2016
Dans ce concours d'au revoir, quelques voix tentent de défendre le bilan de Nicolas Sarkozy : « Du temps de la Françafrique, nous avions des interlocuteurs pour régler en toute discrétion ce genre d'affaires », a confié un diplomate équato-guinéen à l'hebdomadaire Jeune Afrique , en référence aux nombreuses affaires qui mettent en difficulté le pays et mettent à mal ses relations avec la cellule africaine de l'Élysée. Plus directement, le diplomate a affirmé : « Chez Les Républicains, au moins, nous ne sommes pas dénigrés. Nicolas Sarkozy et François Fillon ont tous deux rendu visite au président, à l'hôtel Bristol, lors de la COP21 de Paris. » Pas sûr que ça remonte vraiment l'ancien président.
L'organisation de la primaire saluée
L'un des seuls points positifs reste l'organisation de la primaire, retient pour sa part le quotidien burkinabè Le Pays. « Dans la plupart des pays africains, les élites politiques n'ont pas le courage de se soumettre à ce jeu. Pourtant, cela serait de nature à tirer la qualité de la gouvernance vers le haut. Des primaires dans nos pays auraient, par exemple, permis de régler le problème de la multitude de candidatures à chaque présidentielle. En effet, si les candidats qui partagent quelque peu les mêmes grands principes, la même ligne politique se soumettaient à cet exercice, il y aurait, comme chez l'Oncle Sam et dans l'Hexagone, et ce, de façon démocratique, des regroupements utiles. Ce qui donnerait plus de place aux débats d'idées et constituerait une bouffée d'oxygène pour la démocratie à l'agonie dans bien des pays africains », se plaint le journal.
Méfiance envers les deux challengers Fillon et Juppé
Mais, derrière ces réactions, on s'interroge déjà. Alain Juppé est régulièrement pointé du doigt lorsqu'il s'agit de signifier la responsabilité de la France dans le génocide rwandais. En effet, à cette époque, Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères, de 1993 à 1995 . Le 28 mars dernier, le président rwandais, Paul Kagame, a déclaré en marge d'un entretien accordé à Jeune Afrique que « l'élection d'Alain Juppé lors de l'élection présidentielle française en 2017 risquerait fort de signifier la fin de toute relation entre la France et le Rwanda ». Trois jours plus tard, le maire de Bordeaux lui a indirectement répondu dans un tweet :
Faire procès à la France de porter une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda est une honte et une falsification historique.— Alain Juppé (@alainjuppe) 1 avril 2016
Et si l'ancien chef de la diplomatie de Jacques Chirac partait favori chez les Africains déclarant sur RFI qu'« il ferait de l'Afrique l'une des toutes premières priorités de la politique étrangère française », rien n'est moins sûr aujourd'hui, car l'homme ne dit rien sur les objectifs et les dossiers qui seront prioritaires. Mais le maire de Bordeaux insiste sur sa longue expérience, ses relations discrètes mais soutenues avec le continent, du Cameroun à l'Algérie en passant par le Gabon.
Depuis les années 80 auprès de Chirac, il a cultivé sa fibre africaniste. Une stratégie mise en place loin des réseaux de la Françafrique, qui s'appuie sur son entourage proche. « L'approche d'Alain Juppé est différente de celle de Nicolas Sarkozy, déclarait à L'Opinion son adjoint à la mairie et monsieur Afrique Pierre de Gaétan Njikam Mouliom (...). Il porte une relation nouvelle et tournée vers l'innovation, la formation, la jeunesse, les échanges économiques, la société civile, la mobilisation des collectivités locales autour de projets de partenariat. Nous mobilisons l'écosystème bordelais, notamment ses entreprises, ses universités et grandes écoles. »
Et que dire d'un François Fillon qui fut Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans alors que circule sur la Toile une vidéo datée du mois d'août dernier, dans son fief sarthois, où il vante les mérites de la colonisation ? Alors que Sablé-sur-Sarthe est aussi connue pour avoir été dirigée par l'un des premiers maires métis d'une commune en France métropolitaine, Raphaël Élizé, martiniquais, né esclave et affranchi à l'âge de 9 ans.
PAR VIVIANE FORSON
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Pierre De Gaétan Njikam Mouliom, l’homme qui murmure à l’oreille de Juppé https://t.co/aqmG4O9AO1 pic.twitter.com/eRoZFTme3o— Malibook_ML (@Malibooknews) 25 octobre 2016
Et que dire d'un François Fillon qui fut Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans alors que circule sur la Toile une vidéo datée du mois d'août dernier, dans son fief sarthois, où il vante les mérites de la colonisation ? Alors que Sablé-sur-Sarthe est aussi connue pour avoir été dirigée par l'un des premiers maires métis d'une commune en France métropolitaine, Raphaël Élizé, martiniquais, né esclave et affranchi à l'âge de 9 ans.
Qui gagnera le match africain ?
Plusieurs journaux ont analysé les résultats et ils déclarent au sujet de la politique africaine de la France sur ces quinze dernières années : « L'histoire politique récente de la France a fini de convaincre que la politique africaine de l'Élysée n'est pas nécessairement différente selon que le président est de gauche ou de droite », analyse d'emblée Boubacar Sanso Barry pour le site guinéen Ledjely. Poursuivant que « le soulagement que l'Afrique tire de l'élimination prématurée de Nicolas Sarkozy ne vient donc pas de l'hypothétique espoir que François Fillon ou Alain Juppé fasse mieux ou se comporte différemment à l'égard du continent africain ». Quoi qu'il en soit, l'Afrique devra se préparer à faire avec le vainqueur de ce deuxième et dernier tour de primaire entre François Fillon et Alain Juppé le 27 novembre.PAR VIVIANE FORSON
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