Quelle politique économique pour les Comores ?
Dans un texte publié par Al-watwan du vendredi 15 juillet 2016 intitulé « Avoir ou offrir », Paul-Charles Delapeyre propose à notre pays une véritable politique économique. D’abord l’homme puis son texte.
Paul-Charles Delapeyre est un militant du parti Juwa et un proche du président Sambi chargé d’ailleurs de sa communication. C’est un homme qui a des qualités politiques très rares aux Comores : il est fidèle (il continue de soutenir Sambi qui n’est plus au pouvoir) et loyal (il a combattu Azali de façon très musclée mais il s’est rangé derrière son parti quand celui-ci a décidé de soutenir celui-là lors de la dernière élection présidentielle). Et puis il semble avoir des convictions fortes (il assume pleinement une politique économique libérale). Pour toutes ces qualités, ce militant politique engagé a toute mon estime.
Que dit-il dans son texte ? Il commence d’abord par pourfendre l’Etat comorien en le traitant de « possessif », de « mesquin », de « vulgaire », de « petit épicier du village Comores » qui « vend du riz, des minutes de communication, des hydrocarbures et de la nationalité économique ». Il fustige ensuite, de façon à peine cachée, les rentiers que seraient les fonctionnaires comoriens. Pour lui, l’Etat comorien doit « offrir et non avoir » : renoncer aux entreprises publiques et proposer seulement de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’électricité et du travail. En sommes, l’Etat doit assurer uniquement des fonctions non marchandes : redistribution (construire des écoles, des hôpitaux et donner du travail), réglementation et régulation (produire les cadres juridiques propices à la création d’entreprises) !
Delapeyre séduit beaucoup par sa sincérité. Car il est bien sincère quand il assène tout cela. C’est un homme qui fait partie des possédants et qui milite dans un parti libéral (je veux dire de Droite). C’est en fait sinon un rentier du moins un bourgeois qui défend ses acquis ! Aucun étonnement donc.
Texte sincère mais dogmatique et naïf. Dogmatique car Delapeyre se montre très peu imaginatif : il nous débite le catéchisme libéral professé par Adam Smith et ses consorts (et relayé plus tard par Milton Friedman) qui idéalisent en fait le secteur privé et diabolisent les programmes et les planifications de l’Etat. On l’a bien compris depuis très longtemps : la pensée conservatrice croit à une liberté totale des marchés qui conduirait automatiquement à l’efficacité économique. Il s’agit ici, bel et bien, d’une sacralisation des marchés et d’une profanation de la puissance publique. On le sait aussi depuis bien longtemps que les libéraux n’aiment l’Etat que quand il privatise les entreprises publiques et accorde aux entreprises privées des aides financières ! Mais on sait depuis fort longtemps aussi que les marchés sont incapables de s’autoréguler, peuvent investir très peu, beaucoup polluer la planète, souffrent souvent de fortes fluctuations dans le niveau de l’activité économique, avec de longues périodes de chômage aux coûts économiques et sociaux incalculables (Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête).
Texte dogmatique assurément, mais texte naïf incontestablement aussi. Naïf car méconnaissant toutes les réalités économiques de ce pays. Comment oublier que l’élite économique comorienne est majoritairement vorace et malhonnête ? Affaiblir l’Etat, dans ce contexte, revient non seulement à faire de la société comorienne une jungle mais aussi livrer les plus vulnérables à des hommes sans scrupules ignorant l’intérêt général.
Inutile de s’inquiéter : je n’ai aucunement l’intention de substituer l’économie de marché (largement responsable de la grande amélioration des niveaux de vie depuis plus un siècle)) au communisme (qui a meurtri l’humanité). Non et mille fois non : je suis en train de proposer à la population comorienne la seule politique économique digne de ce nom car humaine (Jacques Attali, La Voie humaine). Je veux dire la social-démocratie. C’est la seule politique économique équilibrée. Car elle permet à la fois la création de richesses par l’initiative privée et l’affirmation d’un Etat fort, régulateur, limitant le champ des conflits d’intérêts. Politique économique équilibrée, mais politique économique intelligente surtout : la social-démocratie fait coopérer Etat et marchés, chacun comprenant les faiblesses de l’autre et prenant appui sur ses forces. Dans certains secteurs comme la sécurité et les retraites au demeurant, l’Etat peut largement mieux faire que les marchés (Joseph E. Stiglitz encore).
Le parti politique comorien qui propose la social-démocratie comme politique économique n’est ni l’UPDC (qui est en fait un ramassis d’individus sans idées ni vision ni projet) ni Juwa (qui est ultralibéral) mais bien la CRC (qui, lorsqu’il est aux affaires, fait toujours émerger une classe entrepreneuriale créatrice de richesses mais aussi renforce l’Etat en proposant des services sociaux : l’UDC en est le parfait exemple). Soutenir la Convention pour le Renouveau des Comores, c’est donc militer pour la protection des plus vulnérables par l’Etat et pour la création de richesses par l’initiative privée. Car c’est une évidence : il faut produire avant de redistribuer car, sinon, on ne se partage que la misère…
Nassurdine Ali Mhoumadi, Docteur ès Lettres et Arts