Trois décennies se sont écoulées depuis mon premier séjour à Anjouan. J’avais 16 ans et j’y étais pour participer au congrès du premier ann...
Trois décennies se sont écoulées depuis mon premier séjour à Anjouan. J’avais 16 ans et j’y étais pour participer au congrès du premier anniversaire de la révolution soilihiste. Anjouan fut déjà la rebelle et la ville de Ouani qui combattait déjà le capitalisme foncier incarna des plus belles manières la lutte contre les inégalités. C’est à Ouani que, du haut de mes 16 ans, je compris et fis miens les combats pour l’égalité, pour l’épanouissement de la femme, pour les libertés civiques en faveur de la jeunesse, contre les obscurantismes, contre la faim et la maladie.
Pardon chers lecteurs, de vous parler de cela aujourd’hui pendant que vous n’avez d’oreilles que pour la campagne présidentielle comorienne.
Excusez moi de vous parler d’Anjouan, en plein débat électoral, car, sur cette île, sur ce territoire de la République, au cœur de cette population majeure de la Nation comorienne, il y a justement quelque chose qui attire toujours mon attention.
Invité en janvier 2016 par les 20 Maires d’Anjouan et par l’Agence de coopération intercommunale Ndzuwani-Gold, ma mission pendant deux semaines était de former les maires et les cadres sur le renforcement des capacités techniques et l’organisation administrative communale. Tout un chantier qui m’a permis de découvrir tout au long des séquences pédagogiques une autre façon de pratiquer la décentralisation, donc une autre façon de penser le pays.
Les trois lois de décentralisation de 2011 ne sont pas perçues et pratiquées de la même manière selon que l’on est élu de Ngazidja, de Mwali ou de Ndzuwani.
Alors que l’Etat ne prend pas toutes ses dispositions pour permettre l’effectivité, surtout l’applicabilité des dispositions fiscales prévues par la loi de décentralisation, les élus anjouannais ont décidé d’avancer avec pragmatisme.
D’abord en créant l’agence de coopération intercommunale ; une sorte d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à la comorienne. Originalité que seuls les Maires et le gouverneur d’Anjouan ont su faire naître alors que la loi le permet pour tout le monde.
Ensuite en profitant de la disponibilité et l’expérience de leurs formateurs - Mradabi Ali et moi-même – pour trouver les solutions des blocages causés par le manque sinon le faible niveau des ressources fiscales. Et puisque les questions sont posées, les réponses seront trouvées et c’est ainsi que la décentralisation à Anjouan pourra avancer, pas à pas, modestement mais sûrement.
Je voulais faire de cette expérience avec les maires et les cadres anjouannais un exemple à suivre pour le pays.
Mes frères et sœurs anjouannais avec lesquels nous avons abordé et traité les principaux thèmes liés à la décentralisation et la gestion communale pendant deux semaines ont compris que la loi ne peut tout faire ni tout prévoir. Ils ont compris surtout que chacun, à son niveau, élu ou administré, l’on peut agir et faire avancer le pays plutôt que d’attendre que la puissance publique agisse au nom de tous.
De nos ateliers – sur la fiscalité propre, sur le principe de libre administration, sur le principe de la subsidiarité, sur la solidarité entre territoires riches et territoires sans recettes fiscales - des propositions sont nées pour que la décentralisation prenne sens dans la vie des administrés, aussi, pour éclairer le législateur sur le travail qui lui reste à faire et donc pour que la décentralisation joue pleinement son rôle de démocratie locale.
Car, nos élus de l’Ile Autonome d’Anjouan n’ont pas oublié que la décentralisation n’a de sens que si elle sert le développement des territoires. Comme ça Ils n’inventent pas l’eau tiède mais ils ont compris l’essentiel et agissent.
Vous comprenez mieux maintenant pourquoi Anjouan la Rebelle est mon Île de raison.
SAID HALIFA, Paris