Moroni - "Pas d'eau, pas d'électricité, pas de routes. Quarante ans d'indépendance dirigées par les hommes, voilà le résul...
Moroni - "Pas d'eau, pas d'électricité, pas de routes. Quarante ans d'indépendance dirigées par les hommes, voilà le résultat", lance la seule femme candidate à la présidentielle aux Comores, archipel musulman. En boubou parme, coiffe assortie et petits talons blancs, elle harangue la foule populaire au marché de Moroni.
"Moi, je suis le numéro 11 (sur les bulletins de vote). 11, c'est le numéro de Drogba, le buteur, le gagnant", explique, sous les applaudissements, Moinaecha Youssouf Djalali, en référence au footballeur ivoirien Didier Drogba.
A 54 ans, cette femme d'affaires franco-comorienne joue la carte du genre à fond face aux 24 candidats masculins briguant la fonction suprême. Sur ses affiches, elle se présente comme "la mère de l'archipel". Sa chanson de campagne le promet: "Moinaecha, c'est la chance pour la femme comorienne".
Photo d'archives ©habarizacomores |
"Le pays est presque tombé dans le coma. C'est le délabrement. A l'hôpital de Moroni, neuf nouveaux-nés sont décédés (il y a deux ans) dans des couveuses à cause des coupures d'électricité. La gente masculine a échoué", affirme-t-elle à l'AFP à quelques jours du premier tour de la présidentielle, dimanche.
"Si vous ne pouvez pas diriger le pays, lâchez le volant et confiez le moi", lance cette mère de famille aux "bulldozers" masculins de la politique et devant la foule du marché Volo Volo, majoritairement féminine.
Aux Comores, pays musulman de l'Océan Indien, prônant un islam tolérant, une seule femme occupe un poste ministériel, une autre siège parmi les 33 membres de l'Assemblée nationale.
Moinaecha Youssouf Djalali est la deuxième femme à se présenter à la présidentielle. En 2010, une professeur d'éducation physique, Zaharia Saïd Hamed, s'était lancée dans la course: elle avait obtenu moins de 1% des suffrages.
Le "conseiller spécial" de Moinaecha, un homme aussi corpulent qu'obéissant, l'appelle déjà "présidente". Elle ne figure pourtant pas parmi les favoris du scrutin.
- 4X4 rutilant -
"Depuis quarante ans, le pays est dirigé par les hommes et on n'a rien vu. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'une femme soit présidente", assure Dini Ridhoi, vendeur de légumes, résumant une opinion largement répandue dans cette société matriarcale.
"L'islam dit qu'une femme ne peut pas être devant", affirme pourtant Mouhamadi Soula Al Saïd, 20 ans, à son étal de tongs. "Déjà qu'avec un homme, ce pays n'arrive à rien, alors avec une femme !", enchaîne son voisin, Ayoubou Mohamed.
Dans les allées grouillantes du marché, résonne, au stand d'un marchand de CDs, le sermon religieux du grand mufti des Comores.
"Il n'y a pas de système de santé public. Même l'eau à l'hôpital, il faut l'acheter", s'indigne Tshoholé Soudjay, mère de cinq enfants. Au moins Moinaecha Youssouf Djalali "se préoccupe de nos problèmes de femmes", assure-t-elle, rappelant que la candidate a fait don en 2007 dans son village de Mbéni d'une propriété pour la transformer en hôpital, aujourd'hui géré par l'organisation Caritas.
Moinaecha Youssouf Djalali, qui affiche de lourds bijoux dorés, "ne nous ressemble pas", constate cependant une modeste cliente. "Elle est bien habillée."
C'est dans un rutilant 4X4 qu'elle est arrivée au marché, dans un concert assourdissant de klaxons produits par un petit cortège composé notamment d'un imposant Hummer couleur or.
Les dirigeants comoriens "possèdent des 4X4, ils achètent des maisons en Europe. Ils ne gouvernent que pour leur famille, pas pour la population comorienne. Ca me révolte", affirme Moinaecha Youssouf Djalali, qui vit pourtant elle-même en Europe, comme d'autres candidats.
Interrogée sur ses trois priorités, elle en avance, avec hésitation, au moins cinq: "le bien-être des Comoriens déjà, le développement et les infrastructures, la sécurité, la justice, la santé publique". Mais peine à élaborer à un projet concret.
Avant de faire campagne aux Comores, elle a tenu plusieurs meetings en France. Un passage quasi obligé pour tout candidat à la présidentielle aux Comores, ancienne colonie française.
La communauté comorienne en France, forte de quelque 300.000 personnes, n'a pas le droit de vote mais joue un rôle très influent dans ce micro Etat pauvre de 770.000 habitants.
C'est accompagnée d'une délégation d'une quinzaine de membres de la diaspora que Moinaecha Youssouf Djalali fait campagne sur l'archipel. "Elle a la capacité de changer le pays", affirme sans conviction l'un d'eux, avant de reconnaître que la candidate leur a payé le billet d'avion.
Par AFP avec habarizacomores.com