Le processus est engagé pour février, et l’investiture pour mai 2016. Mais le débat persiste sur l’application de l’article 13 de la consti...
Le processus est engagé pour février, et l’investiture pour mai 2016. Mais le débat persiste sur l’application de l’article 13 de la constitution, tendant à remettre en cause la pratique de la tournante, telle qu’elle est admise depuis 2003, par la cour constitutionnelle qui valide les candidatures. Or, l’intérêt national n’est pas dans l’interprétation que chacun fait de la constitution, selon son intérêt personnel, dans un pays où le droit écrit n’est pas respecté. L’intérêt national consiste à garantir la stabilité politique actuelle et la paix sociale, conditions sans lesquelles il ne peut y avoir un développement humain durable.
Les Comoriens, quel que soit leur niveau de culture politique, savent comment la tournante de 2016 doit se passer en Grande Comore pour les primaires et pour la suite. C’est cette pratique consensuelle du pouvoir donné à chaque île à tour de rôle, qui nous réussit parce qu’elle correspond à l’insularité de l’Etat comorien. On l’aime ou on l’aime pas, mais ça marche : voilà 15 ans de stabilité politique sans précédent.
Mohéli s’est battue pour la tournante, parce qu’elle veut aussi exercer le pouvoir national dont elle a été jusque-là exclue, alors qu’elle constitue une entité comme les autres îles. Elle a exercé son tour avec les autres îles en cédant les ministères clés (finances et diplomatie) à la Grande-Comore, le ministère de l’équipement, des travaux publics et la justice à Anjouan.
Le fait d’introduire des candidats anjouanais et Grand-comoriens dans la tournante de Mohéli, dérange dans la mesure où plus de 50% des électeurs de cette île, sont d’origine anjouanaise ; ils votent le candidat de leur région d’origine comme tout autre Comorien, surtout, lorsque ce dernier dispose des moyens financiers pour soulager la misère sociale d’un jour.
Les séparatistes d’Anjouan ont voulu la tournante pour les mêmes raisons (s’opposer à la confiscation du pouvoir centralisé à Moroni). Aujourd’hui, Anjouan n’a pas besoin de la tournante pour accéder au pouvoir national, puisqu’elle dispose d’un leader capable de rassembler les électeurs des trois îles. Que va-t-il se passer si demain, Anjouan n’a plus de leadeur national ? Va-t-elle exiger le retour de la tournante ? Ce n’est pas comme ça qu’on dispose de l’intérêt national pour un destin commun.
En définitive, la constitution des Comores peut être la plus mauvaise constitution du monde, mais elle assure l’équilibre politique de notre pays par l’alternance démocratique. La personne qui sera investie du pouvoir le 26 mai 2016, sait qu’après 5 ans, elle devra quitter la Maison de Bait-salama, indépendamment de sa volonté et de celle de son entourage politique immédiat. Qui peut dire mieux dans un pays où la culture citoyenne fait défaut ? Bien sûr que 5 ans ne sont pas suffisants pour réaliser quelque chose, mais d’autres ont eu jusqu’à 11 ans avant lui. Ils sont partis sans laisser d’héritage mémorable.
Cette alternance du pouvoir entre les îles (entités insulaires) exclut qu’un homme providentiel confisque le pouvoir et l’empêche de tourner. Il serait dangereux de passer outre cette donnée géographique et sociologique de l’insularité comorienne. Nous avons certes une cour constitutionnelle qui dira son mot ; mais il faut tirer la sonnette d’alarme et rester vigilant, face aux appétits de pouvoir des uns et des autres, lorsqu’ils ne respectent pas les règles du jeu politique.
Ce n’est pas tout. Maintenant que les Comores ont retrouvé la paix et la stabilité, qu’est-ce qu’on en fait, pour construire l’avenir, pour les futures générations et pour nos enfants ? Faut-il continuer à acheter les électeurs au prix de la misère sociale, ou plutôt, réformer ce système clientéliste et sa gouvernance ?
Il ne faut pas s’attendre à ce que la présidence tournante corrige toute seule, les dérives de la gouvernance actuelle : corruption, abus de pouvoir, escroquerie isolée ou en bande organisée, impunité etc. L’exercice du pouvoir par un clan et sa famille fait partie de la tradition comorienne. « Ino deyahatru ». Ce slogan détestable en vogue avec la tournante de Mohéli, est en fait l’arrogance des pratiques claniques consacrées mais non dites, qui constituent la trame de l’hypocrisie nationale.
Il faut donc réformer la gouvernance et démocratiser la présidence tournante. En effet, il n’est pas juste par exemple que les électeurs de Mohéli (5% de l’électorat national), choisissent seuls le ticket du futur président et ses vices présidents quand c’est le tour de l’île. Il faut donc remplacer les primaires par un premier tour, à l’issue de laquelle seraient désignés deux candidats et non trois. Tous les candidats devront faire campagne dans les trois îles où ils seront élus dès le premier tour.
Cette innovation n’est pas pour 2016, puisqu’il faudrait d’abord, modifier la constitution. Cette révision pourrait supprimer les vice-présidents qui en fait, ne sont que des ministres indéboulonnables jusqu’en fin de mandat. Il faut comme dans les années 1980, un premier ministre qui engage la responsabilité du gouvernement à l’assemblée. Ce qui permet aux députés de mieux contrôler l’action de l’exécutif.
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Enfin, il faudrait un gouvernement d’union nationale qui rassemble autour de la majorité présidentielle, le maximum de représentations politiques, pour engager des réformes qui autrement, n’auront pas le soutien nécessaire pour aboutir. C’est dans cet état d’esprit que la loi votée en 2013, sur le statut des partis politiques, oblige ces derniers à se regrouper soit dans la majorité présidentielle, soit dans l’opposition. Il appartient au nouveau chef d’Etat de s’engager pour une ouverture et des réformes.
DJABIR Abdou
Ancien candidat aux élections présidentielles de 2010
Ancien Président de la Commission des lois