La bousculade, qui a fait plus de 700 morts jeudi, fragilise le royaume saoudien, tenu pour responsable. L’Arabie Saoudite a renoué jeudi av...
La bousculade, qui a fait plus de 700 morts jeudi, fragilise le royaume saoudien, tenu pour responsable.
L’Arabie Saoudite a renoué jeudi avec les grandes tragédies qui, régulièrement, endeuillent le hadj, le grand pèlerinage de La Mecque. Cette année, ce sont près de 720 fidèles qui ont été tués et des centaines d’autres blessés - environ 900, selon des chiffres provisoires - dans la vallée de Mina, à quelques kilomètres de la ville sainte, lors du rituel de la lapidation de Satan, ce qui fait de cette catastrophe la plus meurtrière de ces vingt-cinq dernières années.
Quelles sont les circonstances du drame ?
Le mouvement de foule est survenu à l’intersection des rues 204 et 223, entre Mina et le site de Jamarat, où les pèlerins se doivent de jeter 49 ou 70 petits cailloux sur trois stèles représentant Satan. C’est la rencontre des fidèles dans la vallée de Mina, entre deux véritables marées humaines - la première quittant l’une des stèles, la seconde arrivant en sens inverse -, qui a provoqué la catastrophe. La collision s’est produite près du pont de Jamarat, érigé au cours de la dernière décennie pour un coût de plus d’un milliard de dollars et qui était censé améliorer la sécurité. D’un kilomètre de long, il ressemble à un parking et permet à 300 000 pèlerins d’accomplir le rituel.
La catastrophe survient au premier jour de l’Aïd al-Adha, la fête du Sacrifice et la plus importante de l’islam. Comme à l’accoutumée, les autorités saoudiennes, qui ont la charge de gérer le hadj, ont rejeté la faute sur les pèlerins eux-mêmes, leur reprochant un manque de discipline. «S’ils avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter cela. De nombreux pèlerins se mettent en mouvement sans respecter les horaires [fixés par les responsables de la gestion des rites du hadj, ndlr].C’est la raison principale de ce genre d’accident», a ainsi commenté le ministre de la Santé, Khaled al-Faleh, à la chaîne de télévision Al-Ekhbariya, après s’être rendu à Mina. «La grande chaleur et l’état de fatigue des pèlerins ont contribué au nombre important des victimes», a estimé, de son côté, le général Mansour al-Turki, le porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Les vidéos publiées en ligne, sur Twitter notamment, montrent de nombreux corps inertes jonchant le sol, recouverts ou non de draps blancs, certains empilés les uns sur les autres, ainsi que des affaires personnelles éparpillées, des chaussures et des parapluies dont les pèlerins se servent pour se protéger du soleil. On y découvre aussi une immense pagaille, avec des services d’urgence dépassés par l’ampleur de la catastrophe et des fidèles hagards, les hommes reconnaissables à leurs deux pièces de tissu blanc non cousues, et les femmes à l’habit couvrant leur corps à l’exception du visage et des mains. Quelque 100 000 policiers ont été déployés et 220 ambulances, selon un communiqué officiel. C’est le second accident en quelques jours qui survient pendant le hadj. Le 11 septembre, 109 personnes ont péri dans l’effondrement d’une énorme grue sur le chantier d’agrandissement de la Grande Mosquée à La Mecque.
C’est dans la vallée de Mina, lieu du rituel de lapidation, que se concentrent la majorité des drames qui ont endeuillé le hadj. Ces quinze dernières années, environ 3 500 pèlerins y sont morts lors de mouvements de foule.
L’incident le plus grave remonte au 2 juillet 1990, quand les systèmes de ventilation du tunnel de Mina, long d’un kilomètre, tombent tour à tour en panne. La chaleur devient vite insupportable pour les milliers de fidèles qui s’y trouvent et, rapidement, paniquent. Après avoir vainement tenté de minimiser le drame, le ministère saoudien de l’Intérieur annoncera un bilan de 1 426 morts. La plupart des accidentés ont été victimes d’hémorragies internes après avoir été piétinés.
Les bousculades se succéderont les années suivantes. En 1997, c’est un incendie provoqué par un réchaud à gaz qui avait ravagé des campements de toile dans la vallée de Mina, causant la mort de 343 fidèles. A chaque fois, le royaume est mis en cause pour son incapacité à organiser un pèlerinage suivi par 2 millions de personnes. En 1987, Riyad avait en revanche pu se défausser sur Téhéran. Cette année-là, 402 personnes, dont 275 Iraniens, avaient été tuées lors d’affrontements entre des pèlerins iraniens et des policiers saoudiens. Deux ans plus tard, des chiites koweïtiens étaient accusés d’avoir perpétré un double attentat aux abords de la Grande Mosquée. L’attaque avait fait un mort et 16 blessés. Quelques mois plus tard, la justice saoudienne fera exécuter 16 Koweïtiens accusés d’être les auteurs des attentats.
La catastrophe de jeudi survient à un très mauvais moment pour les autorités saoudiennes, engagées dans un double conflit politico-religieux : d’une part, avec l’Iran, qu’elles affrontent indirectement au Yémen, d’autre part contre l’Etat islamique qui, désormais, appelle ouvertement au renversement de la maison des Saoud. Tout accident survenu pendant le pèlerinage risque donc d’être exploité, en raison de sa puissance symbolique, contre la monarchie, d’autant que le roi s’est autoproclamé«le serviteur des deux saintes mosquées», La Mecque et Médine. Une décision qui s’inscrivait déjà dans le cadre de la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, née de la victoire de la révolution islamique.
Le revers de la médaille, c’est que tout incident grave qui survient pendant le hadj affecte indirectement le monarque et ses proches. Aussi, le prince héritier, Mohammed ben Nayef, a-t-il ordonné immédiatement, en sa qualité de chef de la Haute Commission du pèlerinage, une enquête sur les conditions de la bousculade, qui permettra de dédouaner la monarchie de toute responsabilité. Dès le drame connu, Téhéran, qui a recensé 90 victimes iraniennes, a rejeté la responsabilité de la tragédie sur l’Arabie Saoudite, via le ministre adjoint des Affaires étrangères.
L’agence Fars, proche des Gardiens de la révolution, a, de son côté, rapporté que le chargé d’affaires saoudien avait été convoqué et s’était vu remettre une protestation officielle. Nul doute que l’Etat islamique s’emploiera aussi à mettre en cause la responsabilité du roi Salmane et les siens dans le drame.
Jean-Pierre Perrin , Luc Mathieu - liberation
L’Arabie Saoudite a renoué jeudi avec les grandes tragédies qui, régulièrement, endeuillent le hadj, le grand pèlerinage de La Mecque. Cette année, ce sont près de 720 fidèles qui ont été tués et des centaines d’autres blessés - environ 900, selon des chiffres provisoires - dans la vallée de Mina, à quelques kilomètres de la ville sainte, lors du rituel de la lapidation de Satan, ce qui fait de cette catastrophe la plus meurtrière de ces vingt-cinq dernières années.
Quelles sont les circonstances du drame ?
Le mouvement de foule est survenu à l’intersection des rues 204 et 223, entre Mina et le site de Jamarat, où les pèlerins se doivent de jeter 49 ou 70 petits cailloux sur trois stèles représentant Satan. C’est la rencontre des fidèles dans la vallée de Mina, entre deux véritables marées humaines - la première quittant l’une des stèles, la seconde arrivant en sens inverse -, qui a provoqué la catastrophe. La collision s’est produite près du pont de Jamarat, érigé au cours de la dernière décennie pour un coût de plus d’un milliard de dollars et qui était censé améliorer la sécurité. D’un kilomètre de long, il ressemble à un parking et permet à 300 000 pèlerins d’accomplir le rituel.
A Mina, après la bousculade. Jeudi soir, le bilan était de 717 morts. Photo Reuters |
La catastrophe survient au premier jour de l’Aïd al-Adha, la fête du Sacrifice et la plus importante de l’islam. Comme à l’accoutumée, les autorités saoudiennes, qui ont la charge de gérer le hadj, ont rejeté la faute sur les pèlerins eux-mêmes, leur reprochant un manque de discipline. «S’ils avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter cela. De nombreux pèlerins se mettent en mouvement sans respecter les horaires [fixés par les responsables de la gestion des rites du hadj, ndlr].C’est la raison principale de ce genre d’accident», a ainsi commenté le ministre de la Santé, Khaled al-Faleh, à la chaîne de télévision Al-Ekhbariya, après s’être rendu à Mina. «La grande chaleur et l’état de fatigue des pèlerins ont contribué au nombre important des victimes», a estimé, de son côté, le général Mansour al-Turki, le porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Les vidéos publiées en ligne, sur Twitter notamment, montrent de nombreux corps inertes jonchant le sol, recouverts ou non de draps blancs, certains empilés les uns sur les autres, ainsi que des affaires personnelles éparpillées, des chaussures et des parapluies dont les pèlerins se servent pour se protéger du soleil. On y découvre aussi une immense pagaille, avec des services d’urgence dépassés par l’ampleur de la catastrophe et des fidèles hagards, les hommes reconnaissables à leurs deux pièces de tissu blanc non cousues, et les femmes à l’habit couvrant leur corps à l’exception du visage et des mains. Quelque 100 000 policiers ont été déployés et 220 ambulances, selon un communiqué officiel. C’est le second accident en quelques jours qui survient pendant le hadj. Le 11 septembre, 109 personnes ont péri dans l’effondrement d’une énorme grue sur le chantier d’agrandissement de la Grande Mosquée à La Mecque.
Quels sont les précédents ?
C’est dans la vallée de Mina, lieu du rituel de lapidation, que se concentrent la majorité des drames qui ont endeuillé le hadj. Ces quinze dernières années, environ 3 500 pèlerins y sont morts lors de mouvements de foule.
L’incident le plus grave remonte au 2 juillet 1990, quand les systèmes de ventilation du tunnel de Mina, long d’un kilomètre, tombent tour à tour en panne. La chaleur devient vite insupportable pour les milliers de fidèles qui s’y trouvent et, rapidement, paniquent. Après avoir vainement tenté de minimiser le drame, le ministère saoudien de l’Intérieur annoncera un bilan de 1 426 morts. La plupart des accidentés ont été victimes d’hémorragies internes après avoir été piétinés.
Les bousculades se succéderont les années suivantes. En 1997, c’est un incendie provoqué par un réchaud à gaz qui avait ravagé des campements de toile dans la vallée de Mina, causant la mort de 343 fidèles. A chaque fois, le royaume est mis en cause pour son incapacité à organiser un pèlerinage suivi par 2 millions de personnes. En 1987, Riyad avait en revanche pu se défausser sur Téhéran. Cette année-là, 402 personnes, dont 275 Iraniens, avaient été tuées lors d’affrontements entre des pèlerins iraniens et des policiers saoudiens. Deux ans plus tard, des chiites koweïtiens étaient accusés d’avoir perpétré un double attentat aux abords de la Grande Mosquée. L’attaque avait fait un mort et 16 blessés. Quelques mois plus tard, la justice saoudienne fera exécuter 16 Koweïtiens accusés d’être les auteurs des attentats.
Quelles sont les conséquences politiques pour le royaume saoudien ?
La catastrophe de jeudi survient à un très mauvais moment pour les autorités saoudiennes, engagées dans un double conflit politico-religieux : d’une part, avec l’Iran, qu’elles affrontent indirectement au Yémen, d’autre part contre l’Etat islamique qui, désormais, appelle ouvertement au renversement de la maison des Saoud. Tout accident survenu pendant le pèlerinage risque donc d’être exploité, en raison de sa puissance symbolique, contre la monarchie, d’autant que le roi s’est autoproclamé«le serviteur des deux saintes mosquées», La Mecque et Médine. Une décision qui s’inscrivait déjà dans le cadre de la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, née de la victoire de la révolution islamique.
Le revers de la médaille, c’est que tout incident grave qui survient pendant le hadj affecte indirectement le monarque et ses proches. Aussi, le prince héritier, Mohammed ben Nayef, a-t-il ordonné immédiatement, en sa qualité de chef de la Haute Commission du pèlerinage, une enquête sur les conditions de la bousculade, qui permettra de dédouaner la monarchie de toute responsabilité. Dès le drame connu, Téhéran, qui a recensé 90 victimes iraniennes, a rejeté la responsabilité de la tragédie sur l’Arabie Saoudite, via le ministre adjoint des Affaires étrangères.
L’agence Fars, proche des Gardiens de la révolution, a, de son côté, rapporté que le chargé d’affaires saoudien avait été convoqué et s’était vu remettre une protestation officielle. Nul doute que l’Etat islamique s’emploiera aussi à mettre en cause la responsabilité du roi Salmane et les siens dans le drame.
Jean-Pierre Perrin , Luc Mathieu - liberation