Said-Ahmed SAST : Les berceuses assassines – Editions KomEdit, 2007 – Vous ne serez pas le seul lecteur, encore moins le dernier à être c...
Said-Ahmed SAST : Les berceuses assassines – Editions KomEdit, 2007 –
Vous ne serez pas le seul lecteur, encore moins le dernier à être choqué par les images et l’indécente vérité mises au grand jour par les berceuses assassines. Nous l’avons tous été – par atavisme culturel ou religieux – dès le premier contact et progressivement à travers des passages crus devant lesquels cependant, après un bref moment de gêne, nous nous sommes mis à l’aise pour goûter à la saveur réaliste des faits « prélevés dans le microcosme comorien […] Ce sont des photographies instantanées, prises sur le vif, qui rendent compte des sociofacts apparus ces dernières années ».
SAST nous livre donc son recueil de Nouvelles choisies au hasard, dira-t-il, mais dont l’aspect anthropo-psychologique et la portée philosophique révèlent, par-delà les lignes, l’histoire des origines et le grand voyage de la retro-transhumance du peuple comorien. Il aurait pu écrire un livre d’histoire mais, racontant, il aurait donné l’impression de se situer dans le passé alors qu’à travers les berceuses assassines, il nous prend à témoin devant des réalités vivantes qui nous concernent tous, tous autant que nous sommes car si nous n’en sommes pas auteurs ou complices, nous en sommes victimes inéluctablement.
C’est ainsi qu’il nous plonge dans la matrice, la source dans laquelle il a puisé inconsciemment son inspiration et la verve. Tous les symboles sont là mais les grands symboles féminins sont dominants: la Terre (fécondée) « il était un pays, il était un archipel, il était une île, il était un quartier » et l’Eau (fécondante), ce liquide « où tous les gamins apprenaient les rudiments de la vie ». Nous sommes bien, et ce sans le moindre doute, au centre de la vie, c’est-à-dire au stade fœtal où, baignant dans l’insouciance, la société comorienne se laisse embarquer « sur une inconsciente djahazi, ce boutre démâté, voguant maladroitement et avec nonchalance à la merci des vagues, et au gré des caprices des Neptune, Djinn Bahr, et autres vampires marins ». La société idéale décrite par SAST est celle où chacun se sent seul, donc en sécurité et dans l’insouciance totale. La naissance est un traumatisme qui nous expose à une humanité immonde et qui nous déprave. Pis, l’Homme devient un loup pour l’Homme si bien que « les biberons sont infectés » dès le premier cri de la vie.
En naissant, le comorien foule une terre qui l’engloutit, loin d’en sortir puisque « prisonnier à perpétuité » L’état de nature a inspiré tant de philosophes classiques mais la spécificité de SAST, c’est de l’avoir associé à la réalité. Mais l’écrivain ne va pas sans exploiter les autres aspects du symbole-Eau de la Renaissance et de la Purification. La dernière Nouvelle est révélatrice d’une société qui a besoin de se plonger dans l’Eau pour en renaître purifiée et régénérée. Dans la résignation, le héros de SAST « prit le vieux pneu pourri, troué de partout, le tâta, le caressa, le renifla et le serra très fort contre lui, avant de partir avec. Il le roula ainsi jusqu’à la jetée de Kalawéni. Il le lança à la mer, enleva le sale boubou qu’il portait ce jour-là, garda son short rapiécé, jeta un regard vers la médina, et puis plongea » Ce passage présente le même sens : retour au néant d’une humanité ancienne, et naissance d’une nouvelle époque.
Révélée en français avec toutefois l’intention de l’auteur de se faire comprendre par tous, l’œuvre mérite sa place dans la littérature réaliste nationale, voire négro-africaine francophone puisqu’elle respecte la démarche d’une peinture de la société traditionnelle et le désenchantement du peuple face à des patrons cyniques et ubuesques. Lire les berceuses assassines, c’est oser voir défiler le film de notre existence, c’est-à-dire le retour à la bestialité dans tous ces aspects violents et vils. C’est aussi un geste patriotique car avec un peu de chance, à la fin de la lecture, nous aurons l’impression de souhaiter un changement positif dans notre propre façon de gérer et d’éduquer.
Vous ne serez pas le seul lecteur, encore moins le dernier à être choqué par les images et l’indécente vérité mises au grand jour par les berceuses assassines. Nous l’avons tous été – par atavisme culturel ou religieux – dès le premier contact et progressivement à travers des passages crus devant lesquels cependant, après un bref moment de gêne, nous nous sommes mis à l’aise pour goûter à la saveur réaliste des faits « prélevés dans le microcosme comorien […] Ce sont des photographies instantanées, prises sur le vif, qui rendent compte des sociofacts apparus ces dernières années ».
SAST nous livre donc son recueil de Nouvelles choisies au hasard, dira-t-il, mais dont l’aspect anthropo-psychologique et la portée philosophique révèlent, par-delà les lignes, l’histoire des origines et le grand voyage de la retro-transhumance du peuple comorien. Il aurait pu écrire un livre d’histoire mais, racontant, il aurait donné l’impression de se situer dans le passé alors qu’à travers les berceuses assassines, il nous prend à témoin devant des réalités vivantes qui nous concernent tous, tous autant que nous sommes car si nous n’en sommes pas auteurs ou complices, nous en sommes victimes inéluctablement.
C’est ainsi qu’il nous plonge dans la matrice, la source dans laquelle il a puisé inconsciemment son inspiration et la verve. Tous les symboles sont là mais les grands symboles féminins sont dominants: la Terre (fécondée) « il était un pays, il était un archipel, il était une île, il était un quartier » et l’Eau (fécondante), ce liquide « où tous les gamins apprenaient les rudiments de la vie ». Nous sommes bien, et ce sans le moindre doute, au centre de la vie, c’est-à-dire au stade fœtal où, baignant dans l’insouciance, la société comorienne se laisse embarquer « sur une inconsciente djahazi, ce boutre démâté, voguant maladroitement et avec nonchalance à la merci des vagues, et au gré des caprices des Neptune, Djinn Bahr, et autres vampires marins ». La société idéale décrite par SAST est celle où chacun se sent seul, donc en sécurité et dans l’insouciance totale. La naissance est un traumatisme qui nous expose à une humanité immonde et qui nous déprave. Pis, l’Homme devient un loup pour l’Homme si bien que « les biberons sont infectés » dès le premier cri de la vie.
En naissant, le comorien foule une terre qui l’engloutit, loin d’en sortir puisque « prisonnier à perpétuité » L’état de nature a inspiré tant de philosophes classiques mais la spécificité de SAST, c’est de l’avoir associé à la réalité. Mais l’écrivain ne va pas sans exploiter les autres aspects du symbole-Eau de la Renaissance et de la Purification. La dernière Nouvelle est révélatrice d’une société qui a besoin de se plonger dans l’Eau pour en renaître purifiée et régénérée. Dans la résignation, le héros de SAST « prit le vieux pneu pourri, troué de partout, le tâta, le caressa, le renifla et le serra très fort contre lui, avant de partir avec. Il le roula ainsi jusqu’à la jetée de Kalawéni. Il le lança à la mer, enleva le sale boubou qu’il portait ce jour-là, garda son short rapiécé, jeta un regard vers la médina, et puis plongea » Ce passage présente le même sens : retour au néant d’une humanité ancienne, et naissance d’une nouvelle époque.
Révélée en français avec toutefois l’intention de l’auteur de se faire comprendre par tous, l’œuvre mérite sa place dans la littérature réaliste nationale, voire négro-africaine francophone puisqu’elle respecte la démarche d’une peinture de la société traditionnelle et le désenchantement du peuple face à des patrons cyniques et ubuesques. Lire les berceuses assassines, c’est oser voir défiler le film de notre existence, c’est-à-dire le retour à la bestialité dans tous ces aspects violents et vils. C’est aussi un geste patriotique car avec un peu de chance, à la fin de la lecture, nous aurons l’impression de souhaiter un changement positif dans notre propre façon de gérer et d’éduquer.
IMAM Abdillah, Maître ès Lettres françaises et francophones