L’écrivain marseillais Salim Hatubou nous a quittés brutalement le 31 mars 2015, emporté par une crise cardiaque à 42 ans. Un choc pour tou...
L’écrivain marseillais Salim Hatubou nous a quittés brutalement le 31 mars 2015, emporté par une crise cardiaque à 42 ans. Un choc pour tous ceux qui l’ont connu, un grand chagrin pour ses lecteurs.
Ce fabuleux conteur, d’origine comorienne, s’était rapidement imposé, durant sa, trop courte, mais prolixe carrière, comme l’un des pionniers de la littérature comorienne.
En 1999, la première fois que j’ai rencontré Salim à Marseille, il animait un atelier d’écriture à destination des plus jeunes. J’étais jeune journaliste à La Marseillaise, lui avait déjà trois romans à son actif. Je l’avais interwievé au sujet de son dernier livre « L’odeur du béton », dédié à la mémoire d’Ibrahim Ali, jeune comorien assassiné par les colleurs d’affiche du Front National.
Il me parla de sa petite enfance aux Comores, des douleurs de l’exil, de sa révolte face au racisme, à la misère et l’ignorance… Il dénonçait la ghettoïsation des quartiers Nord de Marseille, lui l’enfant « poussé sur le béton » du quartier « La Solidarité ». Il dénonçait avec la même force « les pseudos-traditions claustrophobes et chaotiques » des différentes communautés issues de l’immigration. Au fil de ses ouvrages, des salons du livre, en rencontres, notre conversation perdura et une amitié se tissa…
Avec son premier roman « Le sang de l’obéissance », le tout jeune homme qu’il était alors, avait fait une virulente critique du « Anda » (grand mariage comorien), et des mariages forcés, ce qui lui avait valu les foudres des conservateurs. Il riait en me racontant que ces adversaires les plus hostiles étaient précisément ceux qui n’avaient jamais lu aucun de ses livres. Ce « Marseillais des Comores ou Comorien de Marseille » comme il se plaisait à le souligner, parlait avec le même amour de Marseille, sa ville d’adoption, que des Îles de la Lune (Les Comores) qui l’avaient vu naître.
Citoyen du monde, c’est sans concession qu’il dénonçait corruption et discrimination, qu’elles soient hexagonales ou comoriennes. Il travaillait sans relâche à transmettre l’éducation, la culture et l’histoire. Il aimait les traditions qui construisent, et œuvrait à se libérer des coutumes aliénantes.
Alors que le patrimoine oral des Comores était en perdition faute de mobilisation des gouvernements et de la population, occupée à survivre dans un contexte social troublé, Salim Hatubou a continue de se rendre régulièrement au pays pour recueillir à la source les contes traditionnels qu’il retranscrivait.
Le Salim conteur leur redonnait alors vie dans les festivals, les bibliothèques, les écoles de France et du monde… Il a à ce titre par deux fois bénéficié d’une bourse d’écriture du Centre National du Livre ainsi que de deux Missions Stendhal du Ministère des Affaires Etrangères Français, notamment pour effectuer des recherches sur l’épidémie de choléra qui a emporté sa mère en 1975.
Il me confia un jour que c’est précisément cette toute première blessure, la disparition de sa maman, qu’il l’avait poussé à écrire, comme pour parler à la « belle absente ».
En 2003, parti sur les traces de l’histoire de sa mère avec le photographe Jean-Pierre Vallorani, des Comores à Zanzibar, il publie un superbe recueil de poésies illustrées aux Editions Françoise Truffaut. Et ce ne sont autres que les célèbres Ken Loach et Alain Mabanckou qui, touchés par son talent, le préfaceront.
Ecrivain engagé, il honnissait de la même manière les intégrismes de tous bords. Auteur de nombreux ouvrages, plusieurs fois récompensés, Salim Hatubou a très vite été enseigné dans les écoles françaises et comoriennes (Chifchif et la reine des diables, Trois contes vagabonds, Marâtre, Métro Bougainville, Hassanati…). Toujours très pédagogue, il a été le pont entre la culture comorienne et française qui manquait à Marseille.
Ces derniers temps, il me disait son désarroi face à la percée de l’extrême-droite, qui 20 ans après la mort d’Ibrahim Ali, n’a cessé de gangréner Marseille. Dans « l’Odeur du béton », il écrivait : « Sur les murs de la ville, la haine s’affiche, « Dehors les étrangers ! Les Français d’abord ! La France aux Français » Marseille, elle, regarde la nuit tomber dans le cœur des hommes et s’inquiète. Alors, elle raconte son Histoire, celle des différentes tribus qui l’ont enfantée ou qu’elle a enfantées, elle ne sait pas trop, la belle Phocéenne. Elle ne pleure pas, Marseille, mais regarde simplement les vaseux souiller ses murs. (1)»
Ce 31 mars 2015, la belle phocéenne a perdu avec Salim Hatubou l’un de ses enfants. Ce poète à la conscience aiguë de l’altérité nous laisse en héritage une œuvre précieuse tant pour la Provence, la France, la Méditerranée, que pour les Comores et l’Océan Indien.
Je suis sûre qu’aujourd’hui il est enfin devenu « l’oisillon de son enfance dont les battements d’ailes disent le nom de tous les nôtres (2)» et qu’il dort à présent comme il le souhaitait auprès de sa maman « sa belle-absente », « bercé par ses berceuses d’antan ». Désormais notre bel-absent, il continuera à briller à travers son œuvre.
Par Fanny Tell
Ce fabuleux conteur, d’origine comorienne, s’était rapidement imposé, durant sa, trop courte, mais prolixe carrière, comme l’un des pionniers de la littérature comorienne.
En 1999, la première fois que j’ai rencontré Salim à Marseille, il animait un atelier d’écriture à destination des plus jeunes. J’étais jeune journaliste à La Marseillaise, lui avait déjà trois romans à son actif. Je l’avais interwievé au sujet de son dernier livre « L’odeur du béton », dédié à la mémoire d’Ibrahim Ali, jeune comorien assassiné par les colleurs d’affiche du Front National.
Il me parla de sa petite enfance aux Comores, des douleurs de l’exil, de sa révolte face au racisme, à la misère et l’ignorance… Il dénonçait la ghettoïsation des quartiers Nord de Marseille, lui l’enfant « poussé sur le béton » du quartier « La Solidarité ». Il dénonçait avec la même force « les pseudos-traditions claustrophobes et chaotiques » des différentes communautés issues de l’immigration. Au fil de ses ouvrages, des salons du livre, en rencontres, notre conversation perdura et une amitié se tissa…
Avec son premier roman « Le sang de l’obéissance », le tout jeune homme qu’il était alors, avait fait une virulente critique du « Anda » (grand mariage comorien), et des mariages forcés, ce qui lui avait valu les foudres des conservateurs. Il riait en me racontant que ces adversaires les plus hostiles étaient précisément ceux qui n’avaient jamais lu aucun de ses livres. Ce « Marseillais des Comores ou Comorien de Marseille » comme il se plaisait à le souligner, parlait avec le même amour de Marseille, sa ville d’adoption, que des Îles de la Lune (Les Comores) qui l’avaient vu naître.
Citoyen du monde, c’est sans concession qu’il dénonçait corruption et discrimination, qu’elles soient hexagonales ou comoriennes. Il travaillait sans relâche à transmettre l’éducation, la culture et l’histoire. Il aimait les traditions qui construisent, et œuvrait à se libérer des coutumes aliénantes.
Alors que le patrimoine oral des Comores était en perdition faute de mobilisation des gouvernements et de la population, occupée à survivre dans un contexte social troublé, Salim Hatubou a continue de se rendre régulièrement au pays pour recueillir à la source les contes traditionnels qu’il retranscrivait.
Le Salim conteur leur redonnait alors vie dans les festivals, les bibliothèques, les écoles de France et du monde… Il a à ce titre par deux fois bénéficié d’une bourse d’écriture du Centre National du Livre ainsi que de deux Missions Stendhal du Ministère des Affaires Etrangères Français, notamment pour effectuer des recherches sur l’épidémie de choléra qui a emporté sa mère en 1975.
Il me confia un jour que c’est précisément cette toute première blessure, la disparition de sa maman, qu’il l’avait poussé à écrire, comme pour parler à la « belle absente ».
En 2003, parti sur les traces de l’histoire de sa mère avec le photographe Jean-Pierre Vallorani, des Comores à Zanzibar, il publie un superbe recueil de poésies illustrées aux Editions Françoise Truffaut. Et ce ne sont autres que les célèbres Ken Loach et Alain Mabanckou qui, touchés par son talent, le préfaceront.
Ecrivain engagé, il honnissait de la même manière les intégrismes de tous bords. Auteur de nombreux ouvrages, plusieurs fois récompensés, Salim Hatubou a très vite été enseigné dans les écoles françaises et comoriennes (Chifchif et la reine des diables, Trois contes vagabonds, Marâtre, Métro Bougainville, Hassanati…). Toujours très pédagogue, il a été le pont entre la culture comorienne et française qui manquait à Marseille.
Ces derniers temps, il me disait son désarroi face à la percée de l’extrême-droite, qui 20 ans après la mort d’Ibrahim Ali, n’a cessé de gangréner Marseille. Dans « l’Odeur du béton », il écrivait : « Sur les murs de la ville, la haine s’affiche, « Dehors les étrangers ! Les Français d’abord ! La France aux Français » Marseille, elle, regarde la nuit tomber dans le cœur des hommes et s’inquiète. Alors, elle raconte son Histoire, celle des différentes tribus qui l’ont enfantée ou qu’elle a enfantées, elle ne sait pas trop, la belle Phocéenne. Elle ne pleure pas, Marseille, mais regarde simplement les vaseux souiller ses murs. (1)»
Ce 31 mars 2015, la belle phocéenne a perdu avec Salim Hatubou l’un de ses enfants. Ce poète à la conscience aiguë de l’altérité nous laisse en héritage une œuvre précieuse tant pour la Provence, la France, la Méditerranée, que pour les Comores et l’Océan Indien.
Je suis sûre qu’aujourd’hui il est enfin devenu « l’oisillon de son enfance dont les battements d’ailes disent le nom de tous les nôtres (2)» et qu’il dort à présent comme il le souhaitait auprès de sa maman « sa belle-absente », « bercé par ses berceuses d’antan ». Désormais notre bel-absent, il continuera à briller à travers son œuvre.
Par Fanny Tell