Les Comoriens ont toujours émigré : en Afrique de l’Est, à Madagascar et en France. Aujourd’hui, ils partent en Afrique pour se faire soign...
Les Comoriens ont toujours émigré : en Afrique de l’Est, à Madagascar et en France. Aujourd’hui, ils partent en Afrique pour se faire soigner (Egypte, Madagascar, Maurice), poursuivre des études (Madagascar, Egypte, Maroc, Sénégal…) ou trouver un emploi (France ou Qatar). Mais quand on parle de diaspora aujourd’hui, on pense d’abord à celle qui ramène de l’argent aux Comores : celle qui réside en France.
Cette population comorienne qui habite massivement à Paris, Marseille, Lyon, Nice et Dunkerque, qui compte au moins cent à cent cinquante mille âmes (Abdou Katibou, « Les Migrations comoriennes en France », 2011) constitue la première source d’entrée de devises aux Comores (Banque de France, 2005) et ses transferts d’argent représentent vingt-quatre pour cent du PIB du pays et trois cent quarante-six pour cent de l’aide au développement (BAD, 2008). Le montant de ces transferts est évalué aujourd’hui à plus de 80 millions d’euros. Cette population expatriée a réclamé le droit de vote à l’Etat comorien depuis l’élection de Mohamed Taki Abdoulkarim. Une loi le lui accordant a été votée sous Azali Assoumani (en octobre 2005) mais c’est Ikililou Dhoinine qui, semble-t-il, vient de la promulguer : le 9 avril, l’ambassade des Comores à Paris en a fait l’annonce et le conseiller chargé de la diaspora parcourt les grandes villes françaises pour en faire la promotion.
Je le dis sans ambigüité : c’est une excellente nouvelle pour la démocratie comorienne, une très bonne mesure de ce gouvernement. Nous pouvons féliciter le ministre des affaires étrangères et le président de la République.
Deux raisons principales ont retardé, me semble-t-il, la mise en application de cette loi qui a déjà presque dix ans : un manque de volonté politique et une absence de moyens financiers. Manque de volonté politique car les politiques comoriens ont très peur de cet électorat difficilement manipulable : ils ne peuvent en effet ni lui proposer un contrat fictif à la fonction publique ni un billet de banque en échange de son bulletin de vote ! Absence de moyens financiers car l’organisation d’une élection coûte si cher qu’à chaque fois que les Comores en organisent, ils sont obligés de solliciter l’aide de ses partenaires. Est-il utile de faire remarquer que depuis l’organisation des dernières élections le gouvernement comorien peine à verser les salaires des fonctionnaires ?
L’acquisition du droit de vote par la diaspora est une excellente nouvelle pour le pays en général et pour la diaspora en particulier parce que c’est étrangement en France que se dessine partiellement l'avenir des Comores : les milliers de Comoriens qui y vivent, continuent à se former et à travailler pour eux mais aussi – et surtout devrais-je dire peut-être – pour les Comores ! On y rencontre aujourd’hui des Comoriens entrepreneurs, cadres supérieurs, intellectuels de très haut niveau, des professionnels divers, des agents de la fonction publique, des acteurs du tissu associatif... Et tout ce monde n’aspire qu’à une chose : servir les Comores.
Cette mesure heureuse du président de la République ne doit pas cependant être une manipulation politique. Car comment peut-on octroyer un droit de vote à la diaspora, à quelques mois de l’élection du prochain président de la République et des gouverneurs, sans déterminer clairement les moyens de sa mise en application ? Comment croire que les listes électorales seront prêtes d’ici les prochaines échéances électorales ? Comment être sûr du vote des autres villes que Paris ? En un mot comme en mille, comment peut-on imaginer qu’un gouvernement qui ne maîtrise plus rien à défaut d’argent puisse trouver en quelques mois les ressources financières nécessaires à l’organisation de ces élections en France ?
Je crains fort que cette histoire ne soit qu’une belle tromperie ( Ikililou Dhoinine n’ayant plus rien à apporter au pays et étant incapable de régler ses problèmes, accorde un droit nouveau à ses concitoyens qui ne lui coûte pas trop cher au demeurant !) ou une pure manipulation pilotée par ceux qui pensent en bénéficier. Car dans la configuration actuelle, ceux qui peuvent voter sont ceux qui habitent dans la région parisienne, qui sont majoritairement de Mboudé et Hamahamet. Et les autres, tous les autres, en seraient exclus !
Si le président de la République veut que cette avancée démocratique ne soit pas un recul, s’il veut dissiper les doutes et les inquiétudes, il faut qu’il arrête immédiatement la précipitation, prenne le temps de la réflexion et implique la diaspora (dans toute sa diversité intellectuelle, politique et géographique) dans la mise en application de ce droit nouveau car, après tout, elle en est tout de même la première concernée.
Nassurdine Ali Mhoumadi
Dr ès Lettres, enseignant et essayiste