«Saint Suffrage universel, priez pour nous», dixit l’Allemand Karl Marx La formule de Karl Marx sur la sanctification du suffrage unive...
«Saint Suffrage universel, priez pour nous», dixit l’Allemand Karl Marx
La formule de Karl Marx sur la sanctification du suffrage universel est volontairement ironique. Cette ironie est d’autant plus décapante et corrosive que le suffrage universel est considéré comme la panacée démocratique universelle, et en son temps, Sir Winston Churchill, grand amateur de belles formules, disait: «La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’Histoire». En même temps, le suffrage universel, un des vecteurs de la démocratie, peut être gravement perverti. Aux Comores, pour avoir le multipartisme et des élections multipartites, il a fallu un très long combat, et ce long combat a fait des morts qu’on a tendance à oublier.
Il a fallu qu’Abdoulkader Hamissi et d’autres meurent assassinés au nom du combat pour l’État de Droit et de la démocratie, même limités aux Comores à l’acceptation de la palabre politicienne, mais pour que les Anjouanais, du dimanche 25 janvier au dimanche 22 février 2015, envoient au Parlement, la piteuse prétendue représentation nationale, le criminel notoire Abou Achirafi Ali Bacar, «le Pablo Escobar comorien», le deuxième plus grand criminel comorien de tous les temps. Le message que les Anjouanais ont envoyé à l’humanité entière est un message fait de sang, de larmes, de larmes de sang, de souffrances et de mort, parce que le criminel Abou Achirafi Ali Bacar résume tout ça. Anjouan vient de créer le plus horrible des antécédents parlementaires: l’élection d’un criminel dans une Assemblée parlementaire nationale.
Qu’on se dise tout de suite une chose: des délinquants, on en voit dans le Parlement de certains pays, mais pas de criminels. Or, Abou Achirafi Ali Bacar n’est pas un simple délinquant, mais un criminel confirmé: il a falsifié la signature du Président Ikililou Dhoinine pour les besoins de son trabendo de passeports au Moyen-Orient. Il a monté un trabendo parallèle de passeports au Moyen-Orient qui lui a rapporté 8 milliards de francs comoriens. Dans l’assassinat du Lieutenant-colonel Combo Ayouba, on le retrouve en train de faire de la subornation de témoins, de dissimulation et destruction de preuves cruciales et déterminantes, de nominations de faux experts en criminologie et criminalistique.
On le retrouve également dans l’assassinat du Docteur Assad Saïd-Omar, qui détenait des preuves révélant l’innocence du Général Salimou Mohamed Amiri et l’implication d’autres personnes. Dans la même affaire, on le voit en train de participer à l’exfiltration des mercenaires de Mouammar Kadhafi qui ont tué Combo Ayouba, en train de réaliser l’exfiltration de leurs armes ayant servi à l’assassinat de cet officier.
Qui ne connaît pas la valeur de la présomption d’innocence? Pour autant, il faudra rappeler qu’en octobre 2012, Abou Achirafi Ali Bacar a quitté la Direction nationale de la Sûreté du Territoire (DNST), dont il était le chef, pour aller en résidence surveillée. En résidence surveillée parce que c’est un criminel de luxe et qui ressemble à une bombe géante, capable d’exploser et d’éclabousser un tas de complices situés au cœur de l’appareil d’État. Ce criminel est donc devenu Député. Il a participé à des assassinats et à des vols grandioses et est devenu Député.
La mafia vient d’entrer au Parlement et elle fait oublier les méfaits de petites frappes comme Hassan Ali Tabibou et autres délinquants qui se sont illustrés au cours de la législation précédente, de sinistre mémoire républicaine. Parlant de Charles-Maurice Talleyrand-Périgord appuyé sur Joseph Fouché, François-René de Châteaubriand avait écrit dans ses Mémoires d’outre-tombe: «Tout à coup, une porte s’ouvre: entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, Monsieur de Talleyrand soutenu par Monsieur Fouché». Ce 6 juillet 1815, Talleyrand-Périgord était ministre des Affaires étrangères et le Roi de France venait de nommer Joseph Fouché ministre de la Police. Or, Abou Achirafi Ali Bacar est à la fois le vice et le crime. Cet homme est une honte nationale, un deuil pour les Comores, une malédiction pour tout un pays et tout un peuple.
Curieusement, nonobstant l’incongruité criminelle de la situation, à l’élection du «Pablo Escobar comorien», les Comoriens n’ont manifesté aucune surprise, ni indignation, parce que les Comores sont devenues la plus grande usine de recyclage des criminels. La chose est vécue comme relevant de la normalité. L’analyste politique Saïd-Omar Allaoui nous donne une explication très logique et cohérente de la descente aux enfers qui a conduit au Parlement un criminel de la carrure d’Abou Achirafi Ali Bacar: «Aux Comores, toutes les fonctions de l’État ont connu une dégradation, une désacralisation, une érosion, une dépréciation et enfin une banalisation. Les fonctions étatiques ont perdu leur prestige traditionnel.
Au cours de la dernière législature, l’Assemblée de l’Union des Comores comptait quelques cadres de valeur: le Docteur Abdou Djabir, Maître Ibrahim Ali Mzimba, l’ancien Premier ministre Bianrifi Tarmindhi, le Colonel Abderemane Ahmed Abdallah, etc. Seulement, ces cadres de valeur n’ont pas exercé leur magistère au sein de l’Assemblée au point de faire peur aux plus minables. Il fallait qu’en voyant ces grandes personnalités agir au sein de l’Assemblée, les bras cassés disent: “Mon Dieu, avec de telles personnalités dans ce Parlement, qu’est-ce que je suis venu faire ici? Je n’ai pas ma place ici. Je ne peux pas rivaliser avec de tels cadres dans ce Parlement. Comment ferais-je pour fuir d’ici tout de suite? Ce lieu n’est pas fait pour moi”. Or, le Député sans formation, ni dignité, ni stature qui arrive au Parlement, voit les gens qui devaient l’effrayer par leurs talents et leurs compétences se comporter en simples Députés du cru. Dès lors, il prend de l’assurance et se dit: “Ah! C’est donc ça, le fameux Parlement? Mais, pourquoi, je trouve que rien ne s’y passe? Les gens qui devaient m’impressionner ne m’impressionnent pas. Ils sont très quelconques. Je suis à ma place ici. J’y suis très à l’aise”».
Compte tenu des crimes dans lesquels Abou Achirafi Ali Bacar est impliqué, il ne fallait même pas accepter sa candidature. Le refus de la candidature de ce voleur doublé d’un assassin et d’un manipulateur n’aurait ému personne aux Comores. En 1992, en France, le flamboyant Bernard Tapie avait eu ce mot: «Si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des salaud». Aux Comores, tout le monde sait qu’Abou Achirafi Ali Bacar est un criminel, mais il serait incorrect de juger ses électeurs, dans un pays où le vote sociologique et consanguin est devenu la règle. En effet, nombreux sont ceux qui, aux Comores, voteraient pour un cousin ou un frère sortant juste de prison.
Ce que dit l’analyste politique Saïd-Omar Allaoui à ce sujet vaut la remarque: «Quelles sont les fonctions d’une Assemblée parlementaire? Ces fonctions sont essentiellement au nombre de deux: le vote de la Loi et le contrôle de l’activité gouvernementale. Or, lors de la campagne pour les dernières élections législatives, nous avons entendu les candidats décliner des programmes incluant la construction de routes, écoles et hôpitaux, pendant que le peuple applaudissait. Mais, où ces candidats vont-ils trouver l’argent pour financer ces projets sans queue, ni tête? Quand un peuple croit que son Député a les moyens de construire des infrastructures, alors que ledit Député ne dispose d’aucun budget, pourquoi ne voterait-il pas pour un Abou Achirafi Ali Bacar, l’homme qui va voter les lois de la République avec lesquelles il a ou aura des problèmes? Nous avons un grave problème aux Comores, et malheureusement, nous ne nous en soucions pas. Un homme accusé de choses aussi graves et qui fait son entrée au Parlement de la nation, c’est quelque chose qui m’horrifie et qui devait horrifier tous les autres Comoriens, mais à qui le dire?».
Abou Achirafi Ali Bacar est un criminel, et un «bon» criminel est celui qui fait peur. Or, Abou Achirafi Ali Bacar fait peur. Depuis le régime politique d’Ahmed Sambi, il est impliqué dans tellement d’affaires criminelles avec de telles complicités qu’il est devenu intouchable. On ne met pas en prison un tel criminel sans exposer ses complices à de graves risques. Alors, on élude ses responsabilités multiples dans de multiples scandales. Pour un homme qui a détourné quelque 8 milliards de francs comoriens à qui on demande de payer une caution de 8 millions de francs et qui, en fin de compte, n’en paie que 4 millions, on s’aperçoit qu’on se moque des Comoriens sans leur faire la moindre politesse. Et, dans les travées de l’Assemblée de l’Union des Comores, un criminel notoire et décomplexé va parler de la Loi. Il va légiférer.
Par ARM
© lemohelien – Dimanche 8 mars 2015.
