Docteur en Droit, futur avocat, Delamour Maba Dali incarne l’abnégation nécessaire pour réussir. Un exemple à suivre par la jeunesse mahora...
Docteur en Droit, futur avocat, Delamour Maba Dali incarne l’abnégation nécessaire pour réussir. Un exemple à suivre par la jeunesse mahoraise en manque de repères. Interview.
Mayotte Hebdo: Monsieur Delamour Maba Dali, comment, en quelques mots, vous présenteriez-vous à nos lecteurs?
Delamour Maba Dali: Je suis originaire de Petite-Terre, de Dzaoudzi-Labattoir précisément. J’ai été d’abord élève à Labattoir III puis V. Après l’examen d’entrée en 6ème, je suis entré au collège Bouéni M’Titi et j’ai passé mon baccalauréat au lycée de Petite-Terre. Après mon «bac», je me suis inscrit à l’Université de Bourgogne, où j’ai eu tous mes diplômes de Droit, du DEUG à une Maîtrise en Carrières judiciaires et Sciences criminelles, un Master II de Droit public/privé, protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales et un Doctorat. J’ai rédigé une Thèse intitulée: «L’assimilation ou la départementalisation d’une collectivité territoriale française atypique: le cas de Mayotte». Le jury m’a félicité, m’attribuant la plus haute distinction universitaire, la mention «Très honorable», et l’autorisation de publication de la Thèse en l’état. Actuellement, je suis inscrit dans la plus prestigieuse École de formation du Barreau, celle de Paris, où nous sommes plus de 2.064 à prétendre au certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA).
M.H.: Quelles personnes vous ont le plus marqué jusqu’à présent dans votre vie?
D.M.D.: Tout d’abord mon père, homme politique et tribun, très apprécié par les partis politiques, le RPR et le MPM. Il m’emmenait souvent dans les meetings politiques; je n’avais que cinq, six ans. Le jour de son départ du RPR pour le MPM, tous ses leaders étaient démoralisés. Lors de ses interventions, il me lançait toujours un «Delamour, prends tes responsabilités». Il me faisait comprendre par là qu’à l’âge adulte, je ne devrai pas oublier le combat pour la départementalisation et son corollaire: l’égalité. Ambitieusement, il me voyait ingénieur ou ministre alors qu’aucune des deux perspectives ne m’intéressait pourtant. En revanche, je vais dans son sens puisque j’ai commencé à plaider la cause de nos citoyens à travers ma Thèse. L’autre figure emblématique à m’avoir marqué, c’est Henry Jean-Baptiste, grand homme à l’éloquence envoûtante.
Il a eu le courage de défendre les intérêts de Mayotte en la plaçant sur le rail du Droit commun et de la départementalisation. On le voyait souvent à la tribune de l’Assemblée, prendre position dans les médias nationaux aussi. J’appelle cela du courage politique: oser ce que les autres n’osent pas, là où les autres n’osent pas. Enfin, j’admire Younoussa Bamana. Il faisait passer des messages péremptoires à travers son humour prononcé. Je me souviens de son discours au Conseil général de Mayotte en présence du ministre de l’Outremer, Jean-Jacques Queyranne. Il lui avait dit: «Si l’État ne construit pas une piste longue, la prochaine fois je sauterai lorsqu’Air austral survolera La Réunion». C’était sa façon de faire comprendre que la piste longue était une nécessité absolue pour Mayotte. C’était dans les années 2000.
M.H.: Quels sont vos souvenirs de l’île aux parfums?
D.M.D.: Je suis créole et j’adore la cuisine métissée. J’ai fait une partie de mes recherches à l’île de La Réunion. Nos mamans à Mayotte sont des expertes culinaires; elles nous donnent envie de manger plus qu’à satiété. Je suis un fervent admirateur de la faune et flore de Mayotte. Mayotte possède une richesse naturelle exceptionnelle qu’il faut préserver et inscrire au patrimoine mondial de l’Humanité, notamment le lac Dziani, que je n’ai de cesse de fréquenter lorsque je suis en vacances. J’adore ce magnifique lagon à couper le souffle. Ce que les Réunionnais sont parvenus à faire, les Mahorais doivent être capables de le faire. Il faut préserver la culture mahoraise, en perdition; je pense aux musiques et danses. De même, la langue mahoraise doit être sauvegardée et enseignée dans les écoles. La langue devrait constituer une fierté et non une honte, c’est un atout considérable. Les Réunionnais, les Antillais ou les Corses sont intelligents, ils font tout pour que leurs cultures soient préservées et leur langue enseignée dans les écoles. Ce n’est pas parce qu’un enfant parle sa langue maternelle, en l’occurrence le shimaore, que cela constitue un handicap; bien au contraire, cela sera un atout majeur pour lui en renforçant son identité.
M.H.: Comment présenteriez-vous l’île de Mayotte, d’où vous êtes originaire, aux métropolitains?
D.M.D.: L’île recèle d’énormes atouts naturels: elle possède le plus grand et le plus beau lagon au monde, limité par une barrière récifale presque continue, coupée par une dizaine de passes. La biodiversité de l’île est exceptionnelle; que d’espèces rares! Mayotte est parfumée par l’ylang-ylang et d’autres fleurs typiquement mahoraises comme le mawa. Ce sont là des atouts considérables pour faire faire venir des touristes «haut de gamme» sur notre île.
M.H.: Vous résidez actuellement en métropole et vous connaissez bien, en particulier, la Bourgogne. Est-ce votre région préférée?
D.M.D.: J’ai passé plus de cinq ans en Bourgogne pour suivre mes études. C’est ma région d’adoption. Je suis le seul Mahorais à être allé jusqu’au Doctorat en Droit dans cette université de qualité qu’est celle de Dijon. La Bourgogne est magnifique et le Maire François Rebsamen a su rendre sa ville agréable avec un centre joliment aménagé.
M.H.: Que diriez-vous de la métropole aux Mahorais qui ne sont jamais allés en métropole? Par quoi seraient-ils, d’après vous, le plus surpris?
D.M.D.: Celle ou celui qui n’a jamais voyagé doit profiter de l’occasion pour partir à la découverte. Les voyages revigorent ou vivifient l’esprit. Je conseille aux étudiants qu’ils suivent d’abord une spécialité à Mayotte. Il faut réfléchir à deux fois avant de rejoindre l’Hexagone, où les études sont difficiles. En revanche, l’Europe offre un marché de l’emploi intéressant que nous n’avions pas auparavant. Il faut que le Mahorais sorte de son cocon familial. Il doit acquérir une autre vision du monde, enrichir son capital intellectuel, culturel, linguistique. Je dirais aux jeunes: «Ayez du culot, du courage. Saisissez votre chance. La langue ne doit pas constituer un frein pour aller vous installer ailleurs, aux États-Unis ou en Allemagne. Une fois cette expérience internationale acquise, vous reviendrez peut-être à Mayotte, mais avec une expérience de terrain. Peut-être serez-vous un jour le premier ministre d’origine mahoraise! Mayotte est trop exiguë pour offrir de l’emploi à tous les diplômés». En 2020, avec une population de plus de 300.000 âmes, deux postulats se présentent: ce sont les «meilleurs éléments» ou bien les «assistés» qui seront à Mayotte.
M.H.: Pouvez-vous nous parler précisément de ce long chemin parcouru en Droit pour arriver au Doctorat? D’où est née cette passion?
D.M.D.: Depuis mon enfance, je suis toujours animé par l’idée de justice; j’abhorre les injustices de toute forme (sociale, familiale, étatique…). Et l’arme la plus efficace pour combattre l’injustice, ce n’est pas la violence, c’est le Droit. J’ai compris que sans le Droit, je ne pouvais rien faire, alors j’ai naturellement choisi cette voie. Par ailleurs, un évènement est venu renforcer cette conviction. Lorsque j’étais lycéen, j’ai été victime d’une tentative d’homicide. À la suite de ce tragique évènement, j’ai déposé plainte sans constitution de partie civile auprès du parquet; celui-ci n’a pas daigné donner suite à ma requête. Et c’est ce qui m’a incité, après mon baccalauréat, à suivre des études de Droit. Il ne me reste plus que le CAPA pour aider les autres; notre déontologie nous oblige à exercer ce métier avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. En deux mots: passion et désintéressement.
M.H.: Quelle a été votre motivation dans le choix du sujet de votre Thèse ? Pouvez-vous nous en parler en termes profanes?
D.M.D.: Si j’ai voulu traiter du sujet de l’assimilation ou la départementalisation, c’est que, comme l’a dit Érasme dans son Éloge de la Folie, «Plus l’amour est parfait, plus grande est la folie et plus complet est le bonheur». Je n’ai pas uniquement choisi de faire cette Thèse par passion, mais plutôt pour dénoncer les injustices de l’État français à l’égard de la population de Mayotte. C’est pourquoi mon sujet de Thèse s’intitule bien «L’assimilation ou la départementalisation d’une collectivité territoriale française atypique : le cas de Mayotte». Derrière ces concepts d’assimilation et de départementalisation, il y a l’idée de justice, d’égalité. Le combat pour la départementalisation de Mayotte a été rude, long, complexe et harassant. En effet, les Mahorais réclamaient la départementalisation depuis 1958, mais ils étaient confrontés à deux types d’injustice: les injustices émanant des autorités territoriales comoriennes, qui avaient refusé la motion des élus de Mayotte à l’Assemblée territoriale des Comores, et celles de l’État français, qui a refusé la départementalisation jusqu’en mars 2011. Les injustices continuent, car nous sommes loin de l’égalité républicaine, présente pourtant dans notre Constitution.
M.H.: La «coopération régionale» est une locution qui recouvre quelle signification pour vous en termes juridiques, économiques voire politiques?
D.M.D.: La coopération régionale avec les contrées voisines est une bonne chose. La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 fait de la France une République décentralisée. Cette décentralisation peut se faire entre les collectivités territoriales françaises elles-mêmes ou entre les collectivités territoriales ultramarines et les entités étatiques ou régionales voisines. Il faut que Mayotte mette à profit ces instruments juridiques pour se promouvoir. Les conflits institutionnels de Mayotte avec les Comores sont désuets. Il faut penser maintenant à l’avenir: construire un marché commun pour remédier aux problèmes des surcoûts de production, de la raréfaction des produits, des emplois aussi… Une coopération régionale est possible avec La Réunion, Madagascar, les pays d’Afrique de l’Est, les Comores, les Seychelles, l’île Maurice… Reste à construire un grand «pays de l’océan Indien».
M.H.: Quel message général souhaiteriez-vous faire passer aux résidents de Mayotte et en particulier aux jeunes?
D.M.D.: «Gardez espoir! Croyez en vous! Vous avez du potentiel. Nous avons tous des compétences, des connaissances, un savoir-faire. Faites un état de lieux de votre situation avec des professionnels qui vous aideront (assistant social, conseillers divers...)». Aux jeunes qui sont à la rue, de reprendre leurs études, de suivre des formations, de rechercher de l’emploi et d’arrêter les actes de violences. Alcool et drogues ne résolvent pas les problèmes. Cela pousse à commettre des actes qu’en toute lucidité on ne commet pas. Il faut que les violences sur les personnes et les biens à Mayotte cessent; cela altère l’image de ce paradis de l’océan Indien. Battez-vous, mais au sens noble du terme. Construisons ensemble cette île, je suis persuadé qu’on réussira. Ce qu’il faut absolument bannir, ce sont les expressions: «Je ne peux pas», «c’est impossible». Ayez confiance en vous! Osez! Il faut aussi que nos élus, les institutions de la République, respectent le principe de la méritocratie à Mayotte et arrêtent leur clientélisme. Mettez les gens aux postes qui leur conviennent pour faire avancer cette île. Pour les postes techniques, mettez les gens compétents. De cette manière alors, Mayotte progressera.
M.H.: En ce qui vous concerne personnellement, envisagez-vous à terme une carrière politique locale ou de représentation nationale?
D.M.D.: Pour faire de la politique, il faut avoir du courage, des convictions, de la patience, ne pas être autiste. Il faut surtout être honnête, intègre. Il ne faut pas faire de la politique pour servir ses intérêts narcissiques, mais pour l’intérêt général. Surtout pendant les campagnes électorales, arrêtez les promesses à profusion. Donner de l’argent, des denrées alimentaires aux électeurs pendant les campagnes électorales, ça s’appelle de la corruption et c’est passible de sanctions pénales. Occupez-vous plutôt de ces jeunes désœuvrés, désorientés qui vous lancent des appels aux secours à répétition, en vain. Le jour où je me sentirai prêt et que la population viendra me chercher pour défendre ses intérêts, alors je verrai. La politique, c’est comme le métier d’avocat, ce doit être un combat permanent sur le terrain.
Propos recueillis par Jacques Girauld
Mayotte Hebdo n°697, Mayotte, vendredi 27 mars 2015, p. 4.
Interview transmise par mon grand ami Delamour Maba Dali.
© www.lemohelien.com – Vendredi 27 mars 2015.
Mayotte Hebdo: Monsieur Delamour Maba Dali, comment, en quelques mots, vous présenteriez-vous à nos lecteurs?
Delamour Maba Dali: Je suis originaire de Petite-Terre, de Dzaoudzi-Labattoir précisément. J’ai été d’abord élève à Labattoir III puis V. Après l’examen d’entrée en 6ème, je suis entré au collège Bouéni M’Titi et j’ai passé mon baccalauréat au lycée de Petite-Terre. Après mon «bac», je me suis inscrit à l’Université de Bourgogne, où j’ai eu tous mes diplômes de Droit, du DEUG à une Maîtrise en Carrières judiciaires et Sciences criminelles, un Master II de Droit public/privé, protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales et un Doctorat. J’ai rédigé une Thèse intitulée: «L’assimilation ou la départementalisation d’une collectivité territoriale française atypique: le cas de Mayotte». Le jury m’a félicité, m’attribuant la plus haute distinction universitaire, la mention «Très honorable», et l’autorisation de publication de la Thèse en l’état. Actuellement, je suis inscrit dans la plus prestigieuse École de formation du Barreau, celle de Paris, où nous sommes plus de 2.064 à prétendre au certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA).
M.H.: Quelles personnes vous ont le plus marqué jusqu’à présent dans votre vie?
D.M.D.: Tout d’abord mon père, homme politique et tribun, très apprécié par les partis politiques, le RPR et le MPM. Il m’emmenait souvent dans les meetings politiques; je n’avais que cinq, six ans. Le jour de son départ du RPR pour le MPM, tous ses leaders étaient démoralisés. Lors de ses interventions, il me lançait toujours un «Delamour, prends tes responsabilités». Il me faisait comprendre par là qu’à l’âge adulte, je ne devrai pas oublier le combat pour la départementalisation et son corollaire: l’égalité. Ambitieusement, il me voyait ingénieur ou ministre alors qu’aucune des deux perspectives ne m’intéressait pourtant. En revanche, je vais dans son sens puisque j’ai commencé à plaider la cause de nos citoyens à travers ma Thèse. L’autre figure emblématique à m’avoir marqué, c’est Henry Jean-Baptiste, grand homme à l’éloquence envoûtante.
Il a eu le courage de défendre les intérêts de Mayotte en la plaçant sur le rail du Droit commun et de la départementalisation. On le voyait souvent à la tribune de l’Assemblée, prendre position dans les médias nationaux aussi. J’appelle cela du courage politique: oser ce que les autres n’osent pas, là où les autres n’osent pas. Enfin, j’admire Younoussa Bamana. Il faisait passer des messages péremptoires à travers son humour prononcé. Je me souviens de son discours au Conseil général de Mayotte en présence du ministre de l’Outremer, Jean-Jacques Queyranne. Il lui avait dit: «Si l’État ne construit pas une piste longue, la prochaine fois je sauterai lorsqu’Air austral survolera La Réunion». C’était sa façon de faire comprendre que la piste longue était une nécessité absolue pour Mayotte. C’était dans les années 2000.
M.H.: Quels sont vos souvenirs de l’île aux parfums?
D.M.D.: Je suis créole et j’adore la cuisine métissée. J’ai fait une partie de mes recherches à l’île de La Réunion. Nos mamans à Mayotte sont des expertes culinaires; elles nous donnent envie de manger plus qu’à satiété. Je suis un fervent admirateur de la faune et flore de Mayotte. Mayotte possède une richesse naturelle exceptionnelle qu’il faut préserver et inscrire au patrimoine mondial de l’Humanité, notamment le lac Dziani, que je n’ai de cesse de fréquenter lorsque je suis en vacances. J’adore ce magnifique lagon à couper le souffle. Ce que les Réunionnais sont parvenus à faire, les Mahorais doivent être capables de le faire. Il faut préserver la culture mahoraise, en perdition; je pense aux musiques et danses. De même, la langue mahoraise doit être sauvegardée et enseignée dans les écoles. La langue devrait constituer une fierté et non une honte, c’est un atout considérable. Les Réunionnais, les Antillais ou les Corses sont intelligents, ils font tout pour que leurs cultures soient préservées et leur langue enseignée dans les écoles. Ce n’est pas parce qu’un enfant parle sa langue maternelle, en l’occurrence le shimaore, que cela constitue un handicap; bien au contraire, cela sera un atout majeur pour lui en renforçant son identité.
M.H.: Comment présenteriez-vous l’île de Mayotte, d’où vous êtes originaire, aux métropolitains?
D.M.D.: L’île recèle d’énormes atouts naturels: elle possède le plus grand et le plus beau lagon au monde, limité par une barrière récifale presque continue, coupée par une dizaine de passes. La biodiversité de l’île est exceptionnelle; que d’espèces rares! Mayotte est parfumée par l’ylang-ylang et d’autres fleurs typiquement mahoraises comme le mawa. Ce sont là des atouts considérables pour faire faire venir des touristes «haut de gamme» sur notre île.
M.H.: Vous résidez actuellement en métropole et vous connaissez bien, en particulier, la Bourgogne. Est-ce votre région préférée?
D.M.D.: J’ai passé plus de cinq ans en Bourgogne pour suivre mes études. C’est ma région d’adoption. Je suis le seul Mahorais à être allé jusqu’au Doctorat en Droit dans cette université de qualité qu’est celle de Dijon. La Bourgogne est magnifique et le Maire François Rebsamen a su rendre sa ville agréable avec un centre joliment aménagé.
M.H.: Que diriez-vous de la métropole aux Mahorais qui ne sont jamais allés en métropole? Par quoi seraient-ils, d’après vous, le plus surpris?
D.M.D.: Celle ou celui qui n’a jamais voyagé doit profiter de l’occasion pour partir à la découverte. Les voyages revigorent ou vivifient l’esprit. Je conseille aux étudiants qu’ils suivent d’abord une spécialité à Mayotte. Il faut réfléchir à deux fois avant de rejoindre l’Hexagone, où les études sont difficiles. En revanche, l’Europe offre un marché de l’emploi intéressant que nous n’avions pas auparavant. Il faut que le Mahorais sorte de son cocon familial. Il doit acquérir une autre vision du monde, enrichir son capital intellectuel, culturel, linguistique. Je dirais aux jeunes: «Ayez du culot, du courage. Saisissez votre chance. La langue ne doit pas constituer un frein pour aller vous installer ailleurs, aux États-Unis ou en Allemagne. Une fois cette expérience internationale acquise, vous reviendrez peut-être à Mayotte, mais avec une expérience de terrain. Peut-être serez-vous un jour le premier ministre d’origine mahoraise! Mayotte est trop exiguë pour offrir de l’emploi à tous les diplômés». En 2020, avec une population de plus de 300.000 âmes, deux postulats se présentent: ce sont les «meilleurs éléments» ou bien les «assistés» qui seront à Mayotte.
M.H.: Pouvez-vous nous parler précisément de ce long chemin parcouru en Droit pour arriver au Doctorat? D’où est née cette passion?
D.M.D.: Depuis mon enfance, je suis toujours animé par l’idée de justice; j’abhorre les injustices de toute forme (sociale, familiale, étatique…). Et l’arme la plus efficace pour combattre l’injustice, ce n’est pas la violence, c’est le Droit. J’ai compris que sans le Droit, je ne pouvais rien faire, alors j’ai naturellement choisi cette voie. Par ailleurs, un évènement est venu renforcer cette conviction. Lorsque j’étais lycéen, j’ai été victime d’une tentative d’homicide. À la suite de ce tragique évènement, j’ai déposé plainte sans constitution de partie civile auprès du parquet; celui-ci n’a pas daigné donner suite à ma requête. Et c’est ce qui m’a incité, après mon baccalauréat, à suivre des études de Droit. Il ne me reste plus que le CAPA pour aider les autres; notre déontologie nous oblige à exercer ce métier avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. En deux mots: passion et désintéressement.
M.H.: Quelle a été votre motivation dans le choix du sujet de votre Thèse ? Pouvez-vous nous en parler en termes profanes?
D.M.D.: Si j’ai voulu traiter du sujet de l’assimilation ou la départementalisation, c’est que, comme l’a dit Érasme dans son Éloge de la Folie, «Plus l’amour est parfait, plus grande est la folie et plus complet est le bonheur». Je n’ai pas uniquement choisi de faire cette Thèse par passion, mais plutôt pour dénoncer les injustices de l’État français à l’égard de la population de Mayotte. C’est pourquoi mon sujet de Thèse s’intitule bien «L’assimilation ou la départementalisation d’une collectivité territoriale française atypique : le cas de Mayotte». Derrière ces concepts d’assimilation et de départementalisation, il y a l’idée de justice, d’égalité. Le combat pour la départementalisation de Mayotte a été rude, long, complexe et harassant. En effet, les Mahorais réclamaient la départementalisation depuis 1958, mais ils étaient confrontés à deux types d’injustice: les injustices émanant des autorités territoriales comoriennes, qui avaient refusé la motion des élus de Mayotte à l’Assemblée territoriale des Comores, et celles de l’État français, qui a refusé la départementalisation jusqu’en mars 2011. Les injustices continuent, car nous sommes loin de l’égalité républicaine, présente pourtant dans notre Constitution.
M.H.: La «coopération régionale» est une locution qui recouvre quelle signification pour vous en termes juridiques, économiques voire politiques?
D.M.D.: La coopération régionale avec les contrées voisines est une bonne chose. La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 fait de la France une République décentralisée. Cette décentralisation peut se faire entre les collectivités territoriales françaises elles-mêmes ou entre les collectivités territoriales ultramarines et les entités étatiques ou régionales voisines. Il faut que Mayotte mette à profit ces instruments juridiques pour se promouvoir. Les conflits institutionnels de Mayotte avec les Comores sont désuets. Il faut penser maintenant à l’avenir: construire un marché commun pour remédier aux problèmes des surcoûts de production, de la raréfaction des produits, des emplois aussi… Une coopération régionale est possible avec La Réunion, Madagascar, les pays d’Afrique de l’Est, les Comores, les Seychelles, l’île Maurice… Reste à construire un grand «pays de l’océan Indien».
M.H.: Quel message général souhaiteriez-vous faire passer aux résidents de Mayotte et en particulier aux jeunes?
D.M.D.: «Gardez espoir! Croyez en vous! Vous avez du potentiel. Nous avons tous des compétences, des connaissances, un savoir-faire. Faites un état de lieux de votre situation avec des professionnels qui vous aideront (assistant social, conseillers divers...)». Aux jeunes qui sont à la rue, de reprendre leurs études, de suivre des formations, de rechercher de l’emploi et d’arrêter les actes de violences. Alcool et drogues ne résolvent pas les problèmes. Cela pousse à commettre des actes qu’en toute lucidité on ne commet pas. Il faut que les violences sur les personnes et les biens à Mayotte cessent; cela altère l’image de ce paradis de l’océan Indien. Battez-vous, mais au sens noble du terme. Construisons ensemble cette île, je suis persuadé qu’on réussira. Ce qu’il faut absolument bannir, ce sont les expressions: «Je ne peux pas», «c’est impossible». Ayez confiance en vous! Osez! Il faut aussi que nos élus, les institutions de la République, respectent le principe de la méritocratie à Mayotte et arrêtent leur clientélisme. Mettez les gens aux postes qui leur conviennent pour faire avancer cette île. Pour les postes techniques, mettez les gens compétents. De cette manière alors, Mayotte progressera.
M.H.: En ce qui vous concerne personnellement, envisagez-vous à terme une carrière politique locale ou de représentation nationale?
D.M.D.: Pour faire de la politique, il faut avoir du courage, des convictions, de la patience, ne pas être autiste. Il faut surtout être honnête, intègre. Il ne faut pas faire de la politique pour servir ses intérêts narcissiques, mais pour l’intérêt général. Surtout pendant les campagnes électorales, arrêtez les promesses à profusion. Donner de l’argent, des denrées alimentaires aux électeurs pendant les campagnes électorales, ça s’appelle de la corruption et c’est passible de sanctions pénales. Occupez-vous plutôt de ces jeunes désœuvrés, désorientés qui vous lancent des appels aux secours à répétition, en vain. Le jour où je me sentirai prêt et que la population viendra me chercher pour défendre ses intérêts, alors je verrai. La politique, c’est comme le métier d’avocat, ce doit être un combat permanent sur le terrain.
Propos recueillis par Jacques Girauld
Mayotte Hebdo n°697, Mayotte, vendredi 27 mars 2015, p. 4.
Interview transmise par mon grand ami Delamour Maba Dali.
© www.lemohelien.com – Vendredi 27 mars 2015.