Et si les Comoriens décidaient enfin de se dire la vérité sur une catastrophe humaine? Ce dimanche 18 janvier 2015, il a beaucoup été qu...
Et si les Comoriens décidaient enfin de se dire la vérité sur une catastrophe humaine?
Ce dimanche 18 janvier 2015, il a beaucoup été question du visa français entre les Comores et Mayotte, une île qui, selon la terminologie politique, diplomatique et «patriotique» officielle comorienne «est comorienne et le restera à jamais». Ce visa est instauré le 18 janvier 1995 par la France, et donc ce 18 janvier 2015, on «célébrait» son 20ème anniversaire. Comme il y a eu environ 20.000 morts et portés disparus (eux aussi sont morts) en 20 ans dans le bras de mer séparant Anjouan de Mayotte, une arithmétique rapide nous permet de constater que depuis l'instauration de ce visa en 1995, on assiste en moyenne à la mort dans l'océan de 1.000 personnes par an. Même à l'échelle des grandes puissances démographiques comme la Chine et l'Inde, ce chiffre est horrible et morbide.
Un mort est un déjà un mort de trop. Il est donc insupportable de faire le décompte macabre de ceux qui meurent dans l'océan. 20.000 morts en 20 ans, ça fait beaucoup, ça fend le cœur. Il y a eu donc une manifestation, Place de l'Indépendance à Moroni, ce dimanche 18 janvier 2015 pour se recueillir et prier à la mémoire de tous ces morts. Il fallait le faire, au nom de l'humanité qui nous unit. Pour autant, les Comoriens évitent les questions essentielles sur ce dossier sur lequel se croisent la politique, la sociologie et la diplomatie, la vérité et le mensonge, le vrai et le faux, la simulation et la dissimulation, le patriotisme sincère et la récupération politicienne par les «bons et vrais Comoriens», la lucidité politique et la myopie politicienne. Les Comoriens meurent au large mais on ne nous dit pas pourquoi ils meurent. On ne parle que du visa du 18 janvier 1995. Dans la foulée, il ne se trouve personne pour expliquer aux gens pourquoi les Comoriens fuient un pays qui n'est pas en guerre, ni soumis à la guerre, ni victime de la famine.
Les Comores ont toutes les apparences de la normalité, mais il ne s'agit pas d'un pays normal parce que c'est un pays paisible que fuit une population également paisible. Cette contradiction n'est relevée par personne puisqu'il faut tout jeter sur le visa de la discorde. Ce visa est devenu un exutoire de la colère des Comoriens. Mais, se focaliser sur lui en oubliant le reste est une lourde erreur parce qu'il est un effet et non une cause.
En effet, ce qui tue, ce n'est pas le visa, mais les conditions de vie dramatiques sur la partie indépendante des Comores: Anjouan, Mohéli et Grande-Comore. Depuis les premiers mois de l'indépendance des Comores, les Comoriens fuient leur pays. On se souvient de l'affaire du Tritonis, le bateau comorien qui, sous le régime politique d'Ali Soilihi, avait été «volé» au port de Mutsamudu pour une fuite incroyable vers Mayotte. Quelques mois après l'accession des Comores à l'indépendance, les Comoriens fuyaient leur pays par mer vers Mayotte. Naturellement, les Mahorais s'amusaient en disant cruellement: «Regardez-les. Ils ont voulu l'indépendance et aujourd'hui, ils la fuient. Et si nous aussi avions choisi l'indépendance, vers où fuiraient-ils et où iraient-ils se réfugier?». L'ironie est terrible. Naturellement, à Moroni, on ne répond pas à cette question gênante. On préfère dire que «le Comorien est chez lui à Mayotte et n'a pas besoin d'un visa pour aller chez lui puisque Mayotte est comorienne et le restera à jamais». Or, jusqu'à preuve du contraire, Mayotte est sous administration française, une administration voulue par les Mahorais, qui ne dénoncent aucune «occupation» sur leur île, et n'ont créé aucun mouvement de libération nationale puisqu'il n'y a aucune armée d'occupation à Mayotte. Ce sont les Mahorais qui, après avoir subi toutes sortes d'humiliations et avanies sous l'autonomie interne, ont constaté que certaines îles de l'archipel des Comores étaient plus égales que d'autres et que certains Comoriens, selon leur appartenance insulaire, étaient plus égaux que d'autres.
D'ailleurs, cette «égalité à géométrie variable» est restée la règle parce que le mépris entre Comoriens selon leur appartenance insulaire est resté la règle. Mayotte a choisi la solution du rattachement à la France pour des raisons qu'on peut qualifier de «réalistes», et il s'agit d'un réalisme économique. Ceci est d'autant plus vrai que le Mahorais n'est pas plus francophile que les habitants des autres îles de l'archipel des Comores, mais réaliste. D'ailleurs, quand, en février 1997, éclata la grande crise séparatiste à Anjouan, le maître mot de cette aberration était le «rattachisme», un néologisme renvoyant au projet de «rattachement» l'île à la France, donc à sa recolonisation pure et simple. Dans aucune autre ancienne colonie française, on n'avait assisté à une chose pareille.
Qu'est-ce qui se passe alors? Ce qui se passe est très simple. Dès le début, les Comores ont raté leur indépendance. À cause de l'incompétence criminelle et de la corruption des dirigeants comoriens, celle-ci n'a pas tenu ses promesses, et plus les années passent, plus on se rend compte que la situation économique et sociale se dégrade dans la partie indépendante des Comores. L'École publique est morte et enterrée. La santé est malade. Le pays est plongé dans le noir, faute d'électricité. Le pays a soif. Le pays a faim. Le téléphone est aléatoire. L'Internet est resté un luxe. La route n'existe plus. Il n'y a aucune infrastructure qui fonctionne. Il faut vendre des passeports à des inconnus à l'étranger pour pouvoir payer les salaires des fonctionnaires. Les écarts de revenus entre «les élites» et la base populaire sont restés abyssaux.
Tout un pays souverain vit sous perfusion internationale. Ici et là, les crypto-sambistes disent avec haine que «le Président Ikililou Dhoinine est coupable de haute trahison parce qu'il a bradé Mayotte», alors que l'origine du mal se retrouve dans la déclaration unilatérale d'indépendance du 6 juillet 1975, à un moment où le pays était divisé sur les incertitudes sur Mayotte et qu'il fallait l'unir avant de passer à la phase de l'indépendance.
Au surplus, il est un problème que les «bons et vrais Comoriens» éludent: les Comoriens sont-ils forcés par une tierce personne et sont-ils obligés d'aller à Mayotte au péril de leur vie? Pourquoi se croient-ils obligés d'y aller? Ils vont y faire quoi? Il y a aussi le problème de l'équilibre démographique, dans la mesure où Mayotte a connu l'expansion démographique la plus rapide de l'archipel et ne peut pas héberger tous les déçus de l'indépendance comorienne. Si rien n'était fait pour contrôler les flux migratoires vers cette île, aujourd'hui, elle croulerait sous le poids de toute une population et elle aurait été incapable de maintenir celle-ci sur son sol, sans provoquer des dégâts énormes. Donc, pour arrêter la mort au large, les Comoriens doivent commencer par améliorer toutes les conditions de la gouvernance dans leur pays.
Ce n'est donc pas le visa du 18 janvier 1995 qui tue, mais le mal-vivre aux Comores. C'est en fuyant une misère organisée que les Comoriens meurent au large. C'est ce mal-vivre aux Comores qui tue et non une mesure administrative qu'on appelle «visa». Le mal-vivre est la cause, et le visa l'effet. Le visa est la partie visible de l'iceberg. Et c'est parce qu'on confond tout que le dossier n'évolue pas. Il est donc temps d'arrêter l'hypocrisie et d'ouvrir les yeux sur une réalité hautement mortelle.
ARM
© www.lemohelien.com – Mardi 20 janvier 2015.
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