INTERVIEW. Candidat au secrétariat général de l'OIF*, le Mauricien veut ajouter l'économie aux dimensions culturelle et d'influe...
INTERVIEW. Candidat au secrétariat général de l'OIF*, le Mauricien veut ajouter l'économie aux dimensions culturelle et d'influence de la francophonie.
*OIF : Organisation internationale de la Francophonie
Source : Le Point Afrique
Le Point Afrique Afrique : Plus que
deux semaines pour l'élection du Secrétaire général de l'Organisation
internationale de la francophonie (OIF) à Dakar. Vous êtes le candidat
de la région océan Indien pour le poste de Secrétaire général de l'OIF.
Quelle est la pertinence de la francophonie pour cette partie du monde ?
Jean-Claude de L'Estrac : L'Indianocéanie
est un espace francophone. Le français est la langue de communication
intra régionale que Maurice partage avec Madagascar, les Seychelles, les
Comores et la Réunion. Ce lien est fondé sur l'histoire commune du
peuplement de nos îles.
Alors que
l'hégémonie de l'anglais s'amplifie au Nord, la francophonie, bien
implantée sur le continent africain, a intérêt à s'ouvrir davantage sur
l'océan Indien ainsi que sur l'Afrique orientale et australe. L'océan
Indien est un des nouveaux poumons du monde, sur le plan de la
biodiversité et de l'environnement, mais aussi pour la croissance
mondiale car il est à la croisée de deux immenses pôles économiques
émergents que sont l'Asie et l'Afrique. L'océan Indien est clairement
un nouvel atout pour la francophonie.
Qu'apporte la région Océan Indien à la francophonie ?
Elle
apporte une civilisation originale, sa mosaïque culturelle, son
expérience de la gestion de la diversité. Par l'histoire entremêlée de
son peuplement, nos îles sont riches de diversités linguistiques,
ethniques et religieuses. Nous les avons gérées de manière apaisée et
sans tension majeure. L'Indianocéanie est une région de grande tolérance
et de coexistence pacifique. La question de la tolérance est un enjeu
fondamental de notre temps. Cette expérience heureuse de l'Indianocéanie
peut être utile à l'ensemble de l'espace francophone. C'est d'ailleurs
sur la base de ce constat que je propose au sein de l'organisation
internationale de la francophonie, la création d'un Observatoire des
diversités que je vois comme un outil mis à la disposition de nos Etats
pour renforcer leurs capacités à comprendre et à gérer les différences.
Vous
avez fait des propositions qui visent à donner une nouvelle impulsion à
l'OIF. Pourriez-vous expliquer la réflexion qui a mené à leur
formulation ?
Mes propositions se
situent dans le droit fil de la stratégie validée déjà par les chefs
d'Etats et de gouvernement. Chacun reconnait que l'OIF a connu jusqu'ici
deux périodes assez distinctes : au tout début une francophonie plutôt
culturelle qui est devenue, d'ailleurs, la matrice de toute
l'organisation. Ensuite sous l'impulsion du président Diouf, la
francophonie a exercé ce que le Secrétaire général appelle un 'magistère
d'influence' sur le plan politique en s'investissant dans la promotion
de la démocratie, des droits humains, de l'observation des élections,
avec des résultats extrêmement encourageants. Ce sont aujourd'hui les
deux piliers de la francophonie. L'OIF doit les conserver. Ce qui a été
entrepris par le président Diouf au plan politique est, plus que jamais,
nécessaire à la francophonie, notamment dans son identité africaine.
Cependant, chacun reconnait, les chefs d'Etat et de gouvernement en
premier, la nécessité impérieuse d'ajouter à ces deux piliers, celui de
l'économie. Je fais une proposition concrète pour inviter les acteurs de
la francophonie à se focaliser sur l'industrialisation. Je l'ai appelée
une "arme de construction massive".
Pourquoi cette proposition tournée vers l'économie ?
Je
suis persuadé que c'est par l'industrialisation que l'Afrique, déjà en
croissance, réussira un développement véritablement durable et dans
l'équité sociale. L'industrialisation veut dire création d'emplois,
valeur ajoutée, création de richesse et richesse partagée. Les
conditions sont, aujourd'hui, réunies pour un véritable partenariat
entre la francophonie de l'OCDE et les entreprises africaines et
asiatiques émergentes qui, sous l'impulsion des pouvoirs politiques,
aspirent désormais à transformer sur place les nombreuses ressources
naturelles que nos pays francophones du Sud possèdent afin d'ajouter de
la valeur et de créer des emplois pour les jeunes et les femmes.
Votre proposition vise donc à transformer une organisation culturelle en agence de développement...
Ce
que je propose est une évolution, pas une transformation. Soyons précis
sur cette proposition d'une agence de promotion de l'industrialisation.
Elle s'appuie sur les deux piliers existants. Il n'y aura pas
d'industrialisation sans la stabilité politique et la paix sociale.
C'est un préalable. Mais la francophonie n'assurera son avenir et sa
pérennisation qu'à la condition qu'elle apparaisse utile à la jeunesse
francophone, qu'elle apporte des réponses à ses préoccupations. Que
cherchent les jeunes francophones ? Le moyen de se former, d'accéder à
l'emploi et à la mobilité dans un espace plus large.
La
démocratie et la stabilité politique sont d'importants facteurs de
développement. Comment la francophonie peut-elle y contribuer ?
Redisons-le
: Il n'y aura pas de développement économique sans stabilité politique
ni sans paix sociale. La question de la gestion de la diversité sera
l'axe principal de mon action. Il faut développer des mécanismes
d'alerte pour la gestion des crises. Trop d'organismes internationaux
sont des organisations-pompiers. Ils se déploient quand l'incendie a
éclaté. Nous n'avons pas suffisamment développé des mécanismes
d'expertise, en amont, ni développé des outils d'alerte précoce.
Les Africains se sentiraient-ils lésés si un des leurs n'était pas élu secrétaire général de l'OIF ?
La
francophonie est née en terre africaine, c'est une idée du président
Senghor à laquelle le président Bourguiba, de Tunisie, a beaucoup
contribué. Je viens d'ailleurs d'apprendre à Tunis que l'OIF donne le
nom de l'ancien héros de l'indépendance tunisienne à l'une des salles de
son siège à Paris. C'est un hommage mérité. Le président Diori du Niger
a également contribué à la Francophonie. Le passé de la francophone
s'enracine à l'évidence en terre africaine et son avenir est en Afrique,
ne serait-ce d'ailleurs qu'en raison de la démographie. C'est en
Afrique que va se trouver le plus grand nombre de locuteurs francophones
à l'horizon de 2050. Compte tenu du poids de l'Afrique au sein de
l'OIF, compte tenu du fait que la francophone est un rêve africain, il
serait judicieux que l'organisation démontre cette présence africaine.
Depuis la création du poste de Secrétaire général, les Africains
francophones considèrent qu'il existe, ce qu'ils appellent, le " Pacte
de Hanoï ". Ils cherchent à s'assurer que le secrétaire général soit un
Africain. A condition, bien entendu, que les Africains trouvent un
consensus entre eux. Nous sommes plusieurs Africains à briguer le poste.
Cependant, je ne doute pas que la sagesse africaine va prévaloir et
que, sous l'impulsion de nos aînés, l'Afrique présentera finalement une
candidature unique.
Où se situe la région océan Indien dans ce débat ?
L'Indianocéanie est africaine et francophone. La Commission de l'océan
Indien, que j'ai créé il y a 34 ans, est une organisation
intergouvernementale africaine connectée à toutes les organisations
africaines du continent, l'Union africaine, le Comesa, la SADC, l'Igad,
la Communauté de l'Afrique de l'Est. Tous les pays de la région
individuellement sont, géographiquement et politiquement, parties
intégrantes de l'Afrique. Nous sommes Africains de préférence. Nous
avons choisi de l'être. Notre africanité est revendiquée et assumée. Et
nous sommes aussi de l'Asie. Nous sommes des peuples-ponts, des nations
de synthèse et de consensus.
Source : Le Point Afrique