Elle était comment, étudiante, votre nouvelle ministre de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur ? À 20 ans, Najat Val...
Elle était comment, étudiante, votre nouvelle ministre de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur ? À 20 ans, Najat Vallaud-Belkacem marchait dans les pas de sa grande sœur, en étudiant le droit à l’université d’Amiens. Elle nous l'avait raconté en 2012.
Vos parents suivaient-ils votre scolarité ?
Vous aviez intégré l’idée qu’il fallait réussir à l’école…
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire du droit après le bac ?
Pourquoi avez-vous choisi Sciences po ?
Étiez-vous financièrement indépendante pendant vos études ?
Qu’est-ce qui a déclenché votre entrée en politique ?
Étiez-vous un peu effrayée à l’idée d’être au premier plan ?
Au cours de votre ascension politique, très rapide, avez-vous fait face à des difficultés particulières du fait d’être jeune, femme et issue de l’immigration ?
Comment avez-vous réagi lorsque votre légitimité a pu être remise en cause ?
Ne vivez-vous jamais votre rythme de travail comme une contrainte ?
Votre entrée au gouvernement a-t-elle changé votre vie ?
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes gens qui souhaitent s’engager en politique ?
Cela peut passer par un engagement associatif…
Que vous reste-t-il de vos années lycée ?
J’étais au lycée Delambre, à Amiens
(80), où j’ai passé un bac économique et social. Quand je me replonge
dans ces années-là, la première chose qui me revient, ce sont mes
premiers émois amoureux et le souvenir de garçons que je trouvais
mignons et auxquels je n’arrivais pas à parler… J’étais plutôt réservée.
Mais j’ai gardé deux très bonnes amies de l’époque.
Vous souvenez-vous particulièrement de certains professeurs ?
Je me souviens d’une professeure
d’espagnol. Elle avait accepté que je m’invite officieusement dans ses
cours pour faire une troisième langue, alors qu’on n’avait droit qu’à
deux langues. Ensuite, ce sont mes professeurs d’allemand dont je me
rappelle. J’ai fait des années d’allemand, mais que je ne sais rien dire
d’autre que "Ich liebe dich" !
Vos parents suivaient-ils votre scolarité ?
Mes parents ont toujours été soucieux
que nous, les sept enfants de la famille, investissions pleinement les
études. Ils regardaient attentivement les bulletins, vérifiaient nos
devoirs, prenaient au sérieux les réunions avec les professeurs.
Vous aviez intégré l’idée qu’il fallait réussir à l’école…
L’école a toujours été un plaisir.
Pour moi, ce n’était pas une prison. J’avoue que j’étais plutôt une
fille sage, d’une affligeante banalité ! Mes premières évasions étaient
littéraires, par les romans.
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire du droit après le bac ?
J’étais très hésitante au lycée. Je
suis la deuxième dans la famille, et ma sœur aînée, qui a un an et demi
de plus que moi, m’a toujours un peu ouvert la voie. Avec elle, j’étais à
la fois dans une relation de compétition et de respect. Elle faisait du
droit et a réussi à me convaincre que c’était ce qu’il y avait de plus
enrichissant, donc je suis restée à Amiens, en licence de droit. J’ai
ensuite rejoint Paris pour intégrer Sciences po.
Pourquoi avez-vous choisi Sciences po ?
Cela s’est fait sur un coup de tête.
Je me suis dit que je n’allais pas suivre ma sœur jusqu’à la fin des
temps et que c’était le moment ou jamais de prendre un autre chemin. Je
sentais que ça allait devenir pénible d’être toujours en compétition,
d’autant qu’elle était brillante et que je la voyais s’orienter vers une
belle carrière d’avocate. Un jour, j’ai poussé la porte d’un CIO
[centre d’information et d’orientation, NDLR] et lu une plaquette
vantant les mérites de Sciences po que je ne connaissais pas du tout. Je
me suis dit : "C’est génial, cette école généraliste où on n’est pas
obligé d’avoir une idée de carrière toute faite, où l’on peut encore
envisager plein de choses !"
Étiez-vous financièrement indépendante pendant vos études ?
Pendant la licence, j’étais logée chez
mes parents. Je n’ai pas travaillé, mais j’étais très engagée dans la
vie associative, en tant que bénévole à Pharmaciens sans frontières et
dans une association de quartier d’aide aux devoirs pour les enfants.
Pendant mes études à Sciences po, j’étais boursière et logée en
résidence universitaire, mais j’ai toujours travaillé à côté. C’est pour
cela que la question du travail étudiant m’interpelle beaucoup. J’ai eu
la chance inouïe d’avoir des jobs étudiants toujours en lien avec mes
études, comme assistante parlementaire. Cela me prenait beaucoup de
temps, autour de deux jours à temps plein par semaine, mais l’avantage
avec Sciences po, c’est qu’on peut s’organiser, on n’est pas dans une
école où les créneaux de cours sont figés.
Vous commencez votre vie professionnelle dans un cabinet d’avocats…
Pendant mes études à Sciences po, j’ai
fait un stage dans un cabinet d’avocats et on m’a proposé d’y rester
comme juriste. Je garde encore de très bonnes relations avec ce cabinet
où je ne suis restée que trois ans. Mon travail consistait, en dernière
instance, à vérifier que les décisions rendues par des tribunaux de
première instance et de cour d’appel n’étaient pas en contradiction avec
la Constitution et avec d’autres jurisprudences. C’était assez monacal.
À un moment, j’ai eu envie d’essayer quelque chose où le côté sociable
avait plus de place. C’est à cette époque que j’ai rencontré Gérard
Collomb, le maire de Lyon, qui m’a proposé de travailler à ses côtés.
Qu’est-ce qui a déclenché votre entrée en politique ?
Le premier déclic, qui a entraîné mon
adhésion au parti socialiste, c’est l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au
second tour de l’élection présidentielle, le 21 avril 2002. Le second
déclic, pour porter moi-même un discours politique, a été plus diffus.
En travaillant auprès de Gérard Collomb, j’ai pu voir de quelle manière,
dans la gestion d’une ville, on pouvait soit favoriser le
vivre-ensemble, soit au contraire segmenter la population entre les
riches et les pauvres. C’est ce qui m’a donné envie d’être en capacité
de prendre moi-même, un jour, des décisions politiques. Ensuite,
Jean-Jacques Queyranne, tête de liste aux régionales en 2004, m’a
proposé de figurer sur sa liste. À l’époque, je n’étais pas sûre de moi.
Autant cela me plaisait de préparer la décision politique en coulisses
en travaillant pour un élu, autant pour faire de la politique en tant
que telle, je pensais qu’il fallait avoir une appétence. Et ne pas être
quelqu’un de réservé comme je le suis à la base… Jean-Jacques Queyranne a
su me convaincre de l’intérêt de ma présence, tout en ajoutant que je
n’avais "aucune chance d’être élue parce que [j’étais] très bas sur la
liste et que [j’allais] juste vivre une première expérience de campagne
de l’intérieur". Contre toute attente, j’ai été élue.
Étiez-vous un peu effrayée à l’idée d’être au premier plan ?
Prononcer des discours a dû m’effrayer
un peu… Mais, en même temps, j’étais sortie de ma réserve pendant la
campagne, où j’étais plongée dans le grand bain en allant à la rencontre
des gens sur les marchés, dans les gares, etc. Au-delà de ça, le fait
de devoir parler au nom des autres quand on est élue change aussi la
donne. Et finalement, quelques années plus tard, je deviendrai
porte-parole du gouvernement !
Au cours de votre ascension politique, très rapide, avez-vous fait face à des difficultés particulières du fait d’être jeune, femme et issue de l’immigration ?
La politique, même si c’est beaucoup
moins vrai qu’avant, reste réservée à des hommes quinquagénaires. C’est
un milieu dans lequel les femmes, les jeunes et les gens issus de
l’immigration sont perçus comme des OVNI. Et ceux qui ont la chance de
cumuler le tout, comme moi, sont des super-OVNI ! On se dit généralement
que ceux qui ne remplissent pas toutes les cases ont dû bénéficier d’un
coup de pouce. On devrait, au contraire, se dire que les moins
légitimes sont ceux qui remplissent toutes les cases. Et que ceux qui
ont réussi à être là, alors qu’ils n’en remplissent aucune, sont les
plus légitimes.
Comment avez-vous réagi lorsque votre légitimité a pu être remise en cause ?
Au début, j’ai pu avoir le sentiment
d’être considérée comme étant là pour "faire joli" sur la photo et j’ai
été dans une tentative de légitimation permanente. Cela ne s’est pas
manifesté par un repli sur moi-même, mais en travaillant plus que les
autres, pour prouver à ceux qui doutaient que j’étais bien là pour faire
quelque chose. À ce moment-là, de 2004 à 2006, j’ai pris une longueur
d’avance, en abattant un boulot de dingue ! Je pense que c’est pour cela
que je suis là où je suis aujourd’hui. Des choses sont alors devenues
naturelles pour moi, comme ne plus avoir de week-ends, consacrer
énormément de temps au terrain, faire avancer les dossiers, ne pas être
élue juste pour faire de la représentation. Je pense qu’on est tous
capables de résister à des situations qu’on n’oserait pas imaginer. La
vie m’a offert l’opportunité de le démontrer.
Ne vivez-vous jamais votre rythme de travail comme une contrainte ?
Je le vis souvent comme une
contrainte. Et d’autant plus depuis que j’ai des enfants, parce que le
temps n’a plus la même valeur. C’est pour cela que le discours
antiparlementariste me déplaît foncièrement. La politique est un monde
de contraintes d’abord. Il faut donc être porteur d’exemplarité. Quand
il y a des conflits d’intérêts, par exemple, ce sont des situations qui
concernent des individus. Ceux qui s’imaginent que la politique est un
truc de mondanités se trompent. C’est un sacerdoce. Sachant tout cela,
même quand je suis devenue ministre, je n’ai pas eu les grands yeux
brillants de l’enfant qui ouvre ses cadeaux à l’égard de la politique.
Votre entrée au gouvernement a-t-elle changé votre vie ?
Mon rythme était déjà soutenu : il
faudrait trouver un qualificatif au-dessus pour parler de ma cadence
aujourd’hui. Je suis non seulement ministre mais, également,
porte-parole du gouvernement. Je suis à temps plein sur un sujet
passionnant, les droits des femmes, un ministère qui n’existait plus
depuis vingt-six ans, avec des chantiers en friches depuis des années. À
cela, ajoutez le rôle de porte-parole, qui nécessite d’être informé de
tout ce que fait le gouvernement pour pouvoir être en mesure de répondre
sur tout. C’est très absorbant et cela entraîne quelques tensions. On
n’est jamais vraiment dans l’insouciance, ni dans la tranquillité. Même
le week-end, il faut être scotché en permanence à l’actualité pour ne
pas être pris au dépourvu.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes gens qui souhaitent s’engager en politique ?
Il faut être révolté pour faire de la
politique. Je leur conseillerais donc de se concentrer d’abord sur une
injustice, une révolte, de défendre des convictions, de porter des
projets…
Cela peut passer par un engagement associatif…
Je trouve qu’on ne le valorise pas
assez dans une société. C’est merveilleux, parce que cela fait sortir du
chacun pour soi. C’est le vivre-ensemble, l’intérêt général, le fait de
pouvoir se saisir de thématiques qui ne concernent pas que le pas de sa
porte. Et puis, cela vous construit beaucoup. Quelle que soit la
fonction que vous exercez, bénévole de base, trésorier ou président,
cela vous donne des responsabilités. Lorsque j’étais bénévole et que je
vérifiais que les médicaments n’étaient pas périmés pour les envoyer
dans le tiers-monde, je pense que je me serai sentie très coupable d’en
laisser passer un. Vous n’êtes pas seulement là pour vous-même. Ce sens
de la responsabilité est identique en politique.
Biographie express 1977 : naissance au Maroc. 1982 : arrivée en France (à Amiens, 80). 1995 : bac ES. 1998 : licence de droit. 2000 : diplômée de Sciences po, puis juriste dans un cabinet d’avocats parisien. 2003 : chargée de mission auprès de Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon (69). 2004 : élue conseillère régionale Rhône-Alpes. 2007 : porte-parole de Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle. 2009 : secrétaire nationale du Parti socialiste en charge des questions de société. 2011 : porte-parole de François Hollande pendant la campagne présidentielle. 2012 : ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement Ayrault. |