Les confidences publiques de Hamada Madi Boléro à l’Assemblée nationale

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Une conférence de presse pour convaincre sur la viabilité de l’espoir aux Comores. Peut-on, quand on est une autorité comorienne de premie...

Une conférence de presse pour convaincre sur la viabilité de l’espoir aux Comores.
Peut-on, quand on est une autorité comorienne de premier plan, s’adresser à une brochette de gens sérieux, dont des journalistes aguerris, expliquer de manière concise et précise ce qui se passe aux Comores, tout en faisant passer un message d’espoir qui tranche singulièrement avec le flot verbal qu’affectionnent ceux qui croient que la crédibilité de l’homme d’État est fonction du nombre de kilomètres de son discours? Hamada Madi Boléro, Directeur du Cabinet du Président chargé de la Défense, vient de réussir cet exercice. Avec brio. Ça s’est passé ce jeudi 10 juillet 2014, quand il a animé une conférence de presse dans les règles de l’art, à l’Assemblée nationale française, à Paris. La conférence a été organisée par l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE) et par l’Institut Nelson Mandela, et avait pour modérateur Emmanuel Dupuy de l’IPSE, qui maîtrisait parfaitement les enjeux de la conférence et a dirigé celle-ci d’une main de maître. D’entrée de jeu, Emmanuel Dupuy rappela le souvenir des Comoriens morts en France au cours de la Première Guerre mondiale et pour qui les Comores et la France ont élevé un monument qui sera inauguré samedi 19 juillet dans l’Oise, en présence de Hamada Madi Boléro et du secrétaire d’État français aux Anciens Combattants. Il procéda à la présentation de Hamada Madi Boléro, rappelant qu’au Maroc, désormais, des experts reconnaissent sa grande compétence en matière de lutte contre le terrorisme. Nous présentons les questions qui ont été posées à Hamada Madi Boléro et proposons une synthèse de ses réponses.
  
Emmanuel Dupuy: Vous avez fait des travaux universitaires sur «Le fédéralisme et le Droit international». Qui plus est, vous êtes diplômé de l’Institut ukrainien des Relations internationales. Quel regard portez-vous sur la crise ukrainienne-criméenne, notamment eu égard à l’expérience du référendum de 1975 qui vit l’île de Mayotte choisir la France plutôt que les Comores?

Hamada Madi Boléro: J’ai l’impression que les dirigeants occidentaux ne comprennent pas la Russie. Dans les télévisions occidentales, on dit trop de bêtises. Mais, on refuse de s’interroger sur la vocation européenne de l’Ukraine. Depuis l’éclatement de la grande crise ukrainienne, la Russie fait tout pour établir un parallèle entre la Crimée et Mayotte. Or, si l’affaire de Mayotte résulte d’un processus dedécolonisation, ce n’est pas le cas de l’Ukraine. Le référendum d’autodétermination des Comores en date du 22 décembre 1974 relève de l’aberration et on doit s’interroger sur la validité du référendum d’autodétermination de la Crimée. En la matière, il y a de l’hypocrisie car au moment de la décolonisation des Comores en 1975, l’URSS n’avait pas soutenu le principe d’un État comorien composé de 4 îles. Pourquoi donc la Russie d’aujourd’hui instrumentalise-t-elle le dossier de Mayotte à ses propres fins? Les Comores ne soutiennent donc pas la Russie, mais l’Ukraine.

Roger N’Gbama: Face aux multiples difficultés politiques (instabilité), économiques (économie de rentes), démographiques (taux de croissance 2,6 %, densité 309 habitants au km²), sociales (45% des pauvres, insuffisance alimentaire et des infrastructures), comment, dès lors, expliquer les performances économiques encourageantes (taux de croissance 4 %) de ces dernières années?

Hamada Madi Boléro: En économie, il faut dépasser le cadre annuel. Il est plus prudent de privilégier le long terme. Nous avons changé de gouvernance aux Comores. Le Président Ikililou Dhoinine a lancé un ambitieux programme d’assainissement de l’économie et des finances publiques. Nous avons obtenu du Fonds monétaire international (FMI) des satisfecit, des encouragements et la reconnaissance des efforts que nous déployons pour rendre plus viables et crédibles l’économie et les finances publiques comoriennes. Nous persévérons dans les projets de réformes. Nos partenaires multilatéraux nous accompagnent dans nos efforts quotidiens pour une meilleure gouvernance aux Comores.

Marcel Elom Toble: Compte tenu de difficultés économiques endémiques, sur quelles perspectives de développement comptez-vous? Quelle est la position du gouvernement comorien sur les gisements pétroliers découverts au niveau du canal de Mozambique?

Hamada Madi Boléro: Les Comores sont un petit pays pauvre et insulaire. Nous devons penser à tout. Nous avons des problèmes spécifiques en tant que pays membre de la Commission de l’océan Indien, de l’Union africaine, de la Ligue des États arabes, de l’Organisation de la Conférence islamique... Nous sommes le seul pays de l’océan Indien ayant une population musulmane à 100%. Notre indépendance est inachevée. Donc, pour mieux gérer le dossier du pétrole aux Comores, nous sommes entrés en concertation avec la France, Madagascar et la Tanzanie. Nous ne voulons pas de divisions insulaires ou villageoises comoriennes sur le pétrole. La présidence tournante doit se limiter aux modalités d’élection du Président de la République et non à la gestion du pétrole, et cette matière première ne doit pas devenir une source de divisions et de haines entre Comoriens.

Roger N’Gbama: À l’aune de ces éléments de réponses, quelles sont les priorités actuelles pour le gouvernement comorien: la politique intérieure ou la politique extérieure?

Hamada Madi Boléro: Nous combinons nos efforts pour réussir sur les deux tableaux car les Comores restent tributaires de l’environnement interne et de l’environnement international. Désormais, au début de chaque année, chaque ministre présente ses objectifs pour l’année qui commence, et nous en évaluons les résultats lors d’un séminaire gouvernemental.

Roger N’Gbama: Quelle stratégie avez-vous pour faire de l’Union des Comores un pays émergent?

Hamada Madi Boléro: Nous privilégions la rigueur et le sérieux.

Amadou Ba: Il s’est tenu à Malabo, il y a quelques jours, le Sommet de l’Union africaine. Y a été évoquée, entre autres, la perspective de l’élection, à Dakar, en novembre prochain, du successeur d’Abdou Diouf, à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Parmi les 4 candidats jugés les plus sérieux, figure l’actuel Président de la Commission de l’océan Indien (COI), le Mauricien Jean-Claude de L’Estrac. Madagascar et les Seychelles lui ont déjà apporté leur soutien. Qu’en est-il des Comores?

Hamada Madi Boléro: Les Comores sont membres de plusieurs organisations régionales: Commission de l’océan Indien, Union africaine et Ligue des États arabes. Donc, nous ne pouvons pas nous exprimer sur le sujet tout de suite. Nous réservons notre réponse. Nous écoutons les uns et les autres. Nous en parlerons le 26 juillet 2014, lors de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la COI à Moroni.

Marcel Elom Toble: La Force Africaine en Attente (FAA) ou Eastern African Stand-by Force EASF, l’ex-EASTBRIG, a son quartier général à Addis-Abeba, en Éthiopie. Après l’Ouganda et le Burundi, c’est au tour des Comores de diriger, à partir de mars 2014 et pour deux ans, cette brigade sous-régionale. L’Ambassadeur Ismaïl Chanfi, ancien secrétaire général du ministère des Relations extérieures en est ainsi son troisième commandant. Celle-ci peut-elle jouer un rôle dans la sécurisation des Comores et de quelles forces disposent-elles en son sein?

Hamada Madi Boléro: Nous sommes pour l’intégration de l’Afrique. En matière de Défense, l’intégration africaine doit commencer au niveau subrégional. Nous devons bien réaliser la régionalisation de la Défense. Lors de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine tenue à Malabo, en Guinée Équatoriale, les chefs d’État est-africains avaient organisé une conférence dans la conférence, pour parler de la Défense et de la sécurité en Afrique de l’Est, en évoquant le rôle de la Force est-africaine. Dans le cas particulier des Comores, notre pays est traumatisé par le mercenariat et a peur de la piraterie maritime, puisque les pirates de Somalie s’aventurent jusqu’aux Comores, où ils avaient même capturé un bateau. Nous suivons avec attention le travail d’Ismaïl Chanfi.

Emmanuel Dupuy: Alors que l’implication de votre pays est forte au sein de l’EASF, vous n’appartenez à aucune des communautés économiques régionales qui structurent à la fois l’offre sécuritaire et assure la cohésion économique au niveau subrégional. Vous n’appartenez ainsi ni à la SADC (Southern African Development Community), ni à l’IGAD (Intergovernmental Authority on Development). N’y a-t-il pas là un paradoxe, notamment eu égard au fait que vous avez montré votre détermination à jouer un rôle plus significatif dans d’éventuelles opérations de maintien de la paix subrégionales, panafricaines, onusiennes (du moins était-ce à l’ordre du jour, 28 juin dernier à Malabo)?

Hamada Madi Boléro: Les Comores privilégient les opportunités régionales et coopèrent en matière de Défense avec la France et les États-Unis. Les Comores ne peuvent pas être membres de toutes les organisations régionales. Nous privilégions l’efficacité.

Amadou Ba: Parmi les menaces qui pèsent sur l’Archipel, figure celui du maintien de la souveraineté de votre État dans vos eaux territoriales, eu égard notamment au fléau de la pêche illégale, de la contrebande (narcotrafic dans le Canal du Mozambique) et de la piraterie maritime, au regard des excursions de plus en plus méridionales des pirates somaliens. La France a, quant à elle, pris la menace très au sérieux, en déployant à Mayotte, plusieurs patrouilleurs de fabrication Raidco(RIB 11-Gendarmerie; RPB 20). Quels moyens, comptez-vous mettre en œuvre pour y faire face?

Hamada Madi Boléro: Les Comores et la France travaillent ensemble contre la piraterie maritime et contre d’autres formes de délinquances en haute mer. Ce vendredi 11 juillet 2014, les Comores négocient à Saint-Denis de la Réunion. Par ailleurs, les Comores coopèrent avec le Sultanat d’Oman pour la mise en place des garde-côtes dans notre pays.

Question: Croyez-vous pouvoir récupérer un jour l’île de Mayotte? Et avec quels moyens?

Hamada Madi Boléro: Mayotte a toujours été comorienne. Des Comoriens des trois autres îles sont de nationalité française. Nous revendiquons l’appartenance de Mayotte à l’État des Comores, mais nous devons faire en sorte de ne pas froisser la sensibilité de Mahorais, qui ont fait un choix, même discutable au regard des sentiments des autres Comoriens et du Droit international public. Dialoguons avec la France et les Mahorais, et certains Français sont pour la réintégration de Mayotte dans son giron comorien. Les Comores n’ont pas de problèmes parce que Mayotte est au sein de l’Archipel des Comores. Moroni est à quelques kilomètres de Mamoudzou, qui est à des milliers de kilomètres de Paris. La France doit respecter la résolution 1514 (XV), adoptée en 1960 alors que les Comores n’étaient pas encore un État. Cette résolution pose le problème fort crucial de l’indivisibilité des territoires coloniaux au moment de leur accession à l’indépendance. J’ai de la famille à Mayotte. Une partie de la famille de ma mère est originaire de Mayotte. Mais, quand je veux aller à Mayotte, je dois produire un visa français. Ça ne me rend pas pessimiste pour autant car, quand j’étudiais en Ukraine, je passais souvent en Allemagne et je voyais souvent des Berlinois demander un visa pour passer d’une partie de Berlin à une autre partie de la ville. Aujourd’hui, l’Allemagne est réunie. Donc, les Comores seront réunies un jour. Aujourd’hui, nous assistons à la mort d’au moins 5 personnes qui partent d’Anjouan vers Mayotte. Pour autant, les Comores coopèrent avec la France. Par ailleurs, je suis optimiste car Mayotte ne pourra jamais oublier ses affinités avec le reste des Comores. La polygamie est, par exemple, une pratique comorienne et non française. Pourtant elle est présente à Mayotte. Sur certains sujets, Mayotte est plus comorienne que les trois autres îles.

Question: Les Comores veulent-elles récupérer les îles Glorieuses après Mayotte?

Hamada Madi Boléro: Nous ne voulons pas parler des îles Glorieuses avant d’avoir réintégré Mayotte dans le giron comorien. Le Président Jacques Chirac avait même parlé d’un système d’administration franco-comorienne sur les îles Glorieuses. Les choses bougent.

Question: Et quelle est la place des Mahorais dans ce dossier de Mayotte?

Hamada Madi Boléro: On n’a jamais demandé aux Corses, Bretons et Basques s’ils voulaient rester Français. La France, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, doit respecter le Droit international public et envisager et respecter les Comores dans l’unité.

Emmanuel Dupuy: Que représente pour vous le défilé de soldats comoriens aux Champs-Élysées le 14 juillet 2014?

Hamada Madi Boléro: C’est une présence symbolique, la reconnaissance de la participation des Comores à la Première Guerre mondiale, aux côtés de la France. En plus de trois soldats comoriens qui vont présenter le drapeau comorien, il y aura quatre jeunes Comoriens. Quatre comme les quatre îles de l’Archipel des Comores. J’y tenais beaucoup. C’est symbolique.

ARM: Certains Comoriens vous reprochent votre pragmatisme, qui vous incite à négocier avec la France sur Mayotte, vous accusant d’être un «vendu». Est-ce que ces gens-là ont une Armée pour chasser la France de Mayotte et pour obliger les Mahorais à oublier la France du jour au lendemain?

Hamada Madi Boléro: Laissons ces gens-là diriger le pays pendant une seule journée pour qu’ils comprennent les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Nous ne pouvons pas ne pas ne pas tenir compte de la sensibilité des Mahorais. Nous sommes confrontés à de graves problèmes humains, à des morts en haute mer, et nous devons négocier tout de suite, dans l’attente d’une solution globale et définitive sur Mayotte. Je négocie, mais en personne responsable et pragmatique. Je crois en la négociation et non au bavardage de véranda.

ARM: Quand vous avez signé la Convention de coopération judiciaire avec la France en juin 2013, certains vous ont encore critiqué. Or, grâce à cette Convention, les Comores ont pu accéder à des dossiers judiciaires en France qui permettent d’établir les responsabilités sur la tentative de coup d’État du 19 avril 2013. Un nom circule déjà. Pouvons-nous espérer que c’est la fin de l’impunité aux Comores en matière de coup d’État? Allez-vous arrêter cet individu et le jeter en prison?

Hamada Madi Boléro: Plus personne ne pourra tenter de déstabiliser les Comores et venir se cacher en France. Maintenant, sur le plan juridique, nous avons la possibilité de venir le faire traduire en Justice en France.

Mohamed Larbi: Je suis Tunisien, et la Tunisie était très impliquée dans la coopération culturelle avec les Comores, surtout dans l’enseignement de l’arabe et du français. D’où ma question: quel est l’état de la francophonie aux Comores aujourd’hui?

Hamada Madi Boléro: Tous les Comoriens de ma génération ont bénéficié de l’enseignement des professeurs tunisiens. Pour ce qui est de la francophonie, elle se porte très bien dans notre pays. D’ailleurs, il y a toujours un ministère en charge de la Francophonie aux Comores.

Jeune Afrique: L’article 46 du Traité instituant la Cour africaine des Droits de l’Homme pose le principe de l’immunité totale des chefs d’État africains en cas de graves violations des droits humains. Quelle est la position des Comores sur la question?

Hamada Madi Boléro: La position des Comores se prépare. Toutefois, je peux dire que l’impunité n’est jamais une bonne chose, et l’Afrique en a beaucoup souffert.

Emmanuel Dupuy: En 2016, allez-vous soutenir la candidature d’Azali Assoumani?

Hamada Madi Boléro: Je ne réponds pas à cette élection.

Emmanuel Dupuy: Êtes-vous candidat à l’élection présidentielle de 2016?

Hamada Madi Boléro: En vertu du caractère tournant de la présidence, le prochain chef d’État comorien doit être originaire de la Grande-Comore. Moi, je suis de Mohéli et je ne serai pas candidat.

Propos recueillis par ARM
© www.lemohelien.com – Vendredi 11 juillet 2014.
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