Pour la styliste franco-comorienne, la reconnaissance progresse. Elle vient d'ouvrir un corner dans le grand magasin BHV Marais à Paris....
Pour la styliste franco-comorienne, la reconnaissance progresse. Elle vient d'ouvrir un corner dans le grand magasin BHV Marais à Paris.
Plus habituée à des défilés dans le calendrier off de la Fédération de la Couture, Sakina M'Sa vient d'entrer dans un nouvel univers : celui des Grands magasins de la capitale française. Installée à Paris, non dans le Triangle d'or mais à la Goutte d'or, dans le 18e arrondissement, la créatrice Sakina M'Sa est à la tête d'une entreprise d'insertion qui vit la mode autrement. Dans sa boutique-atelier, se côtoient les lignes couture et prêt à porter made in France. Débordante d'énergie, elle travaille la crêpe de laine, l'organza ou le coton, inspirée par le théâtre et la danse.
Elevée par une grand-mère animiste à Ngazidja aux Comores, elle s'envole à l'âge de sept ans pour rejoindre ses parents à Marseille. L'aventure commence avec une affiche, sur la Canebière, de Tadeusz Kantor, un grand metteur en scène polonais. "Il présentait une pièce au théâtre des Bernardines. J'ai même fait le mur pour aller la voir. Je suis tombée en émoi devant ce personnage et ses vêtements. A la sortie, j'étais très touchée : le vêtement s'est imposé à moi mais je ne savais pas encore si cela allait être dans la mode ou dans un autre domaine", explique Sakina M'Sa. Devenue punk à l'adolescence, elle réalise "que le look peut isoler mais aussi permettre d'intégrer un groupe ou exprimer une protestation". En gagnant le concours de la Biennale des Jeunes Créateurs d'Europe et de la Méditerranée, elle a la possibilité d'étudier à l'Institut supérieur de la mode de Marseille pendant deux ans. Diplôme en poche, elle file à Paris mais ne parvient pas à décrocher un stage dans une maison de Haute couture. Lucide, elle avoue que "le fait de ne pas avoir obtenu de stage comme je l'aurais souhaité m'a permis d'être libre, d'inventer ma manière de travailler et de prendre confiance en moi".
Elle choisit de créer un atelier de médiation culturelle. De fait, elle construit le tissu social autour du vêtement et de l'identité en Seine Saint Denis. Au pied des tours, elle organise des défilés de mode citoyens qui remportent un vif succès. La mairie de Bagnolet lui propose de l'aider à monter une structure d'insertion liée à la couture haut de gamme et le tempo s'accélère, "une acheteuse des Galeries Lafayette me fait confiance et tout s'est enchaîné : collections, distribution à l'international, défilés à Paris et non plus en banlieue, création de la marque Sakina M'Sa en 2002". En résidence au Centquatre à Paris, le passé industriel de ce lieu l'inspire au même titre que le peintre Klein : "Je me disais que beaucoup d'ouvriers devaient être en bleu de travail. Je me suis tout de suite attachée à cette toile de coton bleue, en me disant que c'est aussi une manière de rendre hommage à mes parents qui sont des ouvriers et à tout ces gens de l'ombre qui font la lumière d'une société". De collection en collection, ce bleu est devenu sa signature, tout comme l'upcycling. "Nous devons devenir éco-responsable donc nous récupérons des bleus et des chutes de tissus des grandes maisons de couture pour créer d'autres types de vêtements. Cela nous rend très heureux!", poursuit-elle.
Ses origines comoriennes influencent sa conception d'une mode éthique ouverte sur ceux qui subissent l'exclusion sociale : "C'est la solidarité africaine, on n'a pas besoin d'être dans la démonstration. J'ai choisi d'appliquer dans mon travail et dans mes produits les valeurs que mes racines africaines m'ont apporté. Le travail solidaire, la mutualisation, c'est vraiment l'Afrique! Je l'ai vu chez les femmes de ma famille qui étaient sacrément douées pour le système D et pour le partage", dit-elle. Alors Sakina M'Sa multiplie les projets sociaux : par exemple en s'engageant depuis 2010 dans la mise en place d'une fashion week à la maison d'arrêt des femmes de Fleury Mérogis. "La beauté est révélatrice de l'estime de soi, même en prison. On organise pour les détenues une journée maquillage, une journée coiffure puis des professionnels leur apprennent à marcher comme des mannequins. En fin de semaine, elles clôturent l'évènement en défilant et ça leur rappelle qu'elles sont des femmes comme les autres, qui ont aussi besoin de se sentir belles".
L'année dernière, l'Institut français l'avait nommé commissaire du concours "L'Afrique est à la mode". Elle porte sur les stylistes africains un regard plein d'estime. "L'Afrique a besoin d'eux, du rôle que peut jouer l'économie de la mode dans le développement. Ces créateurs authentiques, modernes et non exotiques, touchent le marché international en permettant à l'Afrique de retrouver ses lettres de noblesse", explique-t-elle. Sa plus grande fierté est "d'avoir réussi à réaliser un projet qui allie les trois piliers du développement durable : la médiation culturelle, l'insertion sociale et le recyclage" dont il est question dans son Manifeste pour un écosystème de la mode au XXIe siècle. Arthur Rimbaud, l'un de ses poètes préférés, n'écrivait-il pas : "C'est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante ?". Sakina semble s'en être inspirée. Tant mieux.
REGARDEZ cet extrait de défilé organisé par Sakina dans une prison
Le Point.fr
Plus habituée à des défilés dans le calendrier off de la Fédération de la Couture, Sakina M'Sa vient d'entrer dans un nouvel univers : celui des Grands magasins de la capitale française. Installée à Paris, non dans le Triangle d'or mais à la Goutte d'or, dans le 18e arrondissement, la créatrice Sakina M'Sa est à la tête d'une entreprise d'insertion qui vit la mode autrement. Dans sa boutique-atelier, se côtoient les lignes couture et prêt à porter made in France. Débordante d'énergie, elle travaille la crêpe de laine, l'organza ou le coton, inspirée par le théâtre et la danse.
Des Comores à Marseille, un chemin de construction identitaire
Elevée par une grand-mère animiste à Ngazidja aux Comores, elle s'envole à l'âge de sept ans pour rejoindre ses parents à Marseille. L'aventure commence avec une affiche, sur la Canebière, de Tadeusz Kantor, un grand metteur en scène polonais. "Il présentait une pièce au théâtre des Bernardines. J'ai même fait le mur pour aller la voir. Je suis tombée en émoi devant ce personnage et ses vêtements. A la sortie, j'étais très touchée : le vêtement s'est imposé à moi mais je ne savais pas encore si cela allait être dans la mode ou dans un autre domaine", explique Sakina M'Sa. Devenue punk à l'adolescence, elle réalise "que le look peut isoler mais aussi permettre d'intégrer un groupe ou exprimer une protestation". En gagnant le concours de la Biennale des Jeunes Créateurs d'Europe et de la Méditerranée, elle a la possibilité d'étudier à l'Institut supérieur de la mode de Marseille pendant deux ans. Diplôme en poche, elle file à Paris mais ne parvient pas à décrocher un stage dans une maison de Haute couture. Lucide, elle avoue que "le fait de ne pas avoir obtenu de stage comme je l'aurais souhaité m'a permis d'être libre, d'inventer ma manière de travailler et de prendre confiance en moi".
Sakina veut "faire une mode belle qui parle aux gens"
Elle choisit de créer un atelier de médiation culturelle. De fait, elle construit le tissu social autour du vêtement et de l'identité en Seine Saint Denis. Au pied des tours, elle organise des défilés de mode citoyens qui remportent un vif succès. La mairie de Bagnolet lui propose de l'aider à monter une structure d'insertion liée à la couture haut de gamme et le tempo s'accélère, "une acheteuse des Galeries Lafayette me fait confiance et tout s'est enchaîné : collections, distribution à l'international, défilés à Paris et non plus en banlieue, création de la marque Sakina M'Sa en 2002". En résidence au Centquatre à Paris, le passé industriel de ce lieu l'inspire au même titre que le peintre Klein : "Je me disais que beaucoup d'ouvriers devaient être en bleu de travail. Je me suis tout de suite attachée à cette toile de coton bleue, en me disant que c'est aussi une manière de rendre hommage à mes parents qui sont des ouvriers et à tout ces gens de l'ombre qui font la lumière d'une société". De collection en collection, ce bleu est devenu sa signature, tout comme l'upcycling. "Nous devons devenir éco-responsable donc nous récupérons des bleus et des chutes de tissus des grandes maisons de couture pour créer d'autres types de vêtements. Cela nous rend très heureux!", poursuit-elle.
Ses collections sont empreintes d'éthique, de solidarité et d'africanité
Ses origines comoriennes influencent sa conception d'une mode éthique ouverte sur ceux qui subissent l'exclusion sociale : "C'est la solidarité africaine, on n'a pas besoin d'être dans la démonstration. J'ai choisi d'appliquer dans mon travail et dans mes produits les valeurs que mes racines africaines m'ont apporté. Le travail solidaire, la mutualisation, c'est vraiment l'Afrique! Je l'ai vu chez les femmes de ma famille qui étaient sacrément douées pour le système D et pour le partage", dit-elle. Alors Sakina M'Sa multiplie les projets sociaux : par exemple en s'engageant depuis 2010 dans la mise en place d'une fashion week à la maison d'arrêt des femmes de Fleury Mérogis. "La beauté est révélatrice de l'estime de soi, même en prison. On organise pour les détenues une journée maquillage, une journée coiffure puis des professionnels leur apprennent à marcher comme des mannequins. En fin de semaine, elles clôturent l'évènement en défilant et ça leur rappelle qu'elles sont des femmes comme les autres, qui ont aussi besoin de se sentir belles".
Son trépied : médiation culturelle, insertion sociale, recyclage
L'année dernière, l'Institut français l'avait nommé commissaire du concours "L'Afrique est à la mode". Elle porte sur les stylistes africains un regard plein d'estime. "L'Afrique a besoin d'eux, du rôle que peut jouer l'économie de la mode dans le développement. Ces créateurs authentiques, modernes et non exotiques, touchent le marché international en permettant à l'Afrique de retrouver ses lettres de noblesse", explique-t-elle. Sa plus grande fierté est "d'avoir réussi à réaliser un projet qui allie les trois piliers du développement durable : la médiation culturelle, l'insertion sociale et le recyclage" dont il est question dans son Manifeste pour un écosystème de la mode au XXIe siècle. Arthur Rimbaud, l'un de ses poètes préférés, n'écrivait-il pas : "C'est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante ?". Sakina semble s'en être inspirée. Tant mieux.
REGARDEZ cet extrait de défilé organisé par Sakina dans une prison