Avoir le bac avec 7,5/20 de moyenne, c’est possible ? La réponse est oui. Professeur de mathématiques, correcteur du bac dans les jurys d’...
Avoir le bac avec 7,5/20 de moyenne, c’est possible ? La réponse est
oui. Professeur de mathématiques, correcteur du bac dans les jurys
d’examen d’Ile-de-France ces dix dernières années, j’ai été témoin à
plusieurs reprises de ce fait.
En théorie, chacun sait qu’un candidat ayant une moyenne inférieure à 8/20 aux premières épreuves ne sera pas convoqué aux oraux de rattrapages. Et pourtant...
Les jurys d’examen, souverains dans leurs décisions d’octroyer ou non
le diplôme préféré des Français, ont le droit de faire preuve de
clémence à l’égard de certains candidats en augmentant artificiellement
leurs moyennes. Les responsables politiques et éducatifs souhaitent en
effet que le taux de réussite au bac soit le plus élevé possible, et il
s’agit aussi par ce biais de rendre les résultats nationaux plus
homogènes en soutenant intentionnellement certains quartiers, villes ou
régions. On ne peut leur en vouloir, même si les moyens employés peuvent
paraître douteux.
Ce procédé est légal et la note de service 98-075 du 2 avril 1998 du Bulletin Officiel en atteste. Ce texte oblige les jurys d’examen à consulter le dossier de l’élève avant de statuer. Il précise :
Comment augmenter une moyenne dans un jury ?
Le jeu est intéressant et il surprend plus d’un professeur novice. Après délibération, le président demande à l’assemblée qu’un professeur accepte de majorer sa note. Chacun dans sa matière relit laborieusement la copie du malheureux, grimace, hésite… La note d’un prof, c’est sacré. Accepter de la changer, c’est admettre qu’on a évalué de façon aléatoire ou imparfaite.
Un 8 ? Un 10 ? Après tout, ce n’est pas si mal ce qu’il a écrit
celui-là… Comme il faut bien que quelqu’un se sacrifie, je lève la main
pour la cinquième fois de la séance. Le président est embarrassé et ne
souhaite pas que ce soit toujours les mêmes qui changent leurs notes, ça
pourrait alors ressembler à ce que c’est : une foire aux bonus.
Alors on présente ce tour de passe-passe avec un fond pédagogique en cherchant – parfois désespérément – la matière où la nouvelle note passerait le « moins mal ». Ça ne sert à rien et personne ne le saura jamais, c’est juste pour soulager notre conscience.
Bonne nouvelle : le prof de sciences physiques a levé la main. Il se propose d’augmenter sa note de deux points et, pour ne pas paraître un vendu aux yeux de ses collègues, se justifie ainsi :
Grâce à de beaux coefficients, il a maintenant une moyenne de 8,02. Il n’en saura jamais rien. A lui désormais de montrer ses compétences le jour de l’oral. La tâche sera difficile, mais qu’on se rassure : les examinateurs auront le même dossier scolaire sous les yeux lors des sessions de rattrapage.
Un autre élève avec des notes rigoureusement identiques et des appréciations peu glorieuses sur son livret se verra proposer un tour gratuit : « Recalé ».
Personne ne culpabilisera ni ne relira sa copie : il n’avait qu’à pas faire suer ses profs toute l’année. Son dossier sera posé sur la petite pile des futurs redoublants.
La note minimale d’étude de dossier n’existe pas légalement. Certains jurys vont se pencher sur les livrets des élèves qui ont une moyenne comprise entre 7,5/20 et 8/20 à l’issue du premier tour.
Il y a quelques années, j’ai assisté à cette pratique dans deux jurys des Hauts-de-Seine. D’autres ne le feront pas ou débuteront leur étude à 7,8 de moyenne (toujours dans les Hauts-de-Seine) voire 7,9, me dit une collègue parisienne. Sans seuil légal, il est bien naturel que chaque jury fixe le sien. Comment ce seuil est-il décidé ? C’est un mystère et je ne connais pas un collègue qui en sache plus que moi.
Ces marchandages de notes me paraissent injustes et remettent en cause la notion même d’évaluation du bac puisque sans seuil éliminatoire, pourquoi noter un élève ?
Si on conserve le mode actuel d’évaluation, je ne suis pas opposé aux octrois de bonus, mais il faudrait alors fixer le même seuil pour tous et surtout définir la notion de mérite. Aujourd’hui, les jurys ne récompensent que les élèves scolaires, dociles et laborieux sans tenir compte d’autres qualités ou capacités fondamentales attendues dans leurs vies d’adultes : la sociabilité, la curiosité, la créativité, le partage, la solidarité, le respect...
Les professeurs reconnaissent bien volontiers ces qualités à l’occasion des conseils de classe ou des réunions avec les parents. Mais dès lors qu’on s’occupe du bac, ces considérations se volatilisent, cachées derrière l’imposante carrure de la note. Dommage.
Ce petit tour de magie est aussi utilisé pour les candidats ayant entre 9,5 et 10 de moyenne. On donnera un petit coup de pouce aux malchanceux méritants : et hop ! Un point en anglais, un point en philo et la moyenne passe à 10,01. « Reçu ! » Pour désengorger les oraux de rattrapages ?
10/20, c’est justement la moyenne que vous avez eue au bac ? Quelle chance… Dans le doute, remerciez le prof inconnu qui vous a sans doute fait un joli cadeau.
En théorie, chacun sait qu’un candidat ayant une moyenne inférieure à 8/20 aux premières épreuves ne sera pas convoqué aux oraux de rattrapages. Et pourtant...
Clémence et toute-puissance
Making of
Bertrand Galliot, 42 ans, est professeur de mathématiques et il assure la direction pédagogique de LesBonsProfs.com où des enseignants testent de nouveaux formats pour apprendre : des vidéos, des exercices interactifs. Il a publié plusieurs témoignages sur Rue89. Rue89
Ce procédé est légal et la note de service 98-075 du 2 avril 1998 du Bulletin Officiel en atteste. Ce texte oblige les jurys d’examen à consulter le dossier de l’élève avant de statuer. Il précise :
« Si le jury estime, à l’examen du livret scolaire, que le candidat mérite d’atteindre ce seuil (d’admissibilité, d’admission ou de mention), il relève la note d’une ou de plusieurs épreuves, orales ou écrites. »Bien évidemment, la question du mérite n’est pas explicitée dans ce texte, ni la valeur de la moyenne minimale qui conduit à une étude approfondie du cas de l’élève.
Comment augmenter une moyenne dans un jury ?
Le jeu est intéressant et il surprend plus d’un professeur novice. Après délibération, le président demande à l’assemblée qu’un professeur accepte de majorer sa note. Chacun dans sa matière relit laborieusement la copie du malheureux, grimace, hésite… La note d’un prof, c’est sacré. Accepter de la changer, c’est admettre qu’on a évalué de façon aléatoire ou imparfaite.
Une foire aux bonus
Bulletin Officiel
Une note de service du bulletin officiel parue le 2 avril 1998 précise :
« Les décrets portant règlement des baccalauréats général et technologique font obligation aux jurys de ne délibérer qu’après l’examen du livret scolaire de chaque candidat. Cet examen doit être particulièrement attentif lorsqu’un candidat, à l’issue des épreuves du premier groupe, totalise un nombre de points proche du seuil de l’admissibilité ou du seuil de l’admission ou du seuil d’une mention. Si le jury estime, à l’examen du livret scolaire, que le candidat mérite d’atteindre ce seuil, il relève la note d’une ou plusieurs épreuves, orales ou écrites. Il convient alors de choisir les épreuves pour lesquelles l’écart constaté entre les résultats de l’année scolaire et le résultat obtenu est le plus important. »
« Les décrets portant règlement des baccalauréats général et technologique font obligation aux jurys de ne délibérer qu’après l’examen du livret scolaire de chaque candidat. Cet examen doit être particulièrement attentif lorsqu’un candidat, à l’issue des épreuves du premier groupe, totalise un nombre de points proche du seuil de l’admissibilité ou du seuil de l’admission ou du seuil d’une mention. Si le jury estime, à l’examen du livret scolaire, que le candidat mérite d’atteindre ce seuil, il relève la note d’une ou plusieurs épreuves, orales ou écrites. Il convient alors de choisir les épreuves pour lesquelles l’écart constaté entre les résultats de l’année scolaire et le résultat obtenu est le plus important. »
Alors on présente ce tour de passe-passe avec un fond pédagogique en cherchant – parfois désespérément – la matière où la nouvelle note passerait le « moins mal ». Ça ne sert à rien et personne ne le saura jamais, c’est juste pour soulager notre conscience.
Bonne nouvelle : le prof de sciences physiques a levé la main. Il se propose d’augmenter sa note de deux points et, pour ne pas paraître un vendu aux yeux de ses collègues, se justifie ainsi :
« L’élève a eu 8 mais il aurait pu avoir 10 s’il n’avait pas fait cette stupide faute de signe. C’est pas croyable de faire des erreurs pareilles en terminale ! »L’honneur est sauf. Chacun compatit pour notre bon élève sauvé du naufrage et nous lui accordons notre clémence avec une bienveillance princière.
Grâce à de beaux coefficients, il a maintenant une moyenne de 8,02. Il n’en saura jamais rien. A lui désormais de montrer ses compétences le jour de l’oral. La tâche sera difficile, mais qu’on se rassure : les examinateurs auront le même dossier scolaire sous les yeux lors des sessions de rattrapage.
Qu’en est-il des agités, des affreux ?
Un autre élève avec des notes rigoureusement identiques et des appréciations peu glorieuses sur son livret se verra proposer un tour gratuit : « Recalé ».
Personne ne culpabilisera ni ne relira sa copie : il n’avait qu’à pas faire suer ses profs toute l’année. Son dossier sera posé sur la petite pile des futurs redoublants.
La note minimale d’étude de dossier n’existe pas légalement. Certains jurys vont se pencher sur les livrets des élèves qui ont une moyenne comprise entre 7,5/20 et 8/20 à l’issue du premier tour.
Il y a quelques années, j’ai assisté à cette pratique dans deux jurys des Hauts-de-Seine. D’autres ne le feront pas ou débuteront leur étude à 7,8 de moyenne (toujours dans les Hauts-de-Seine) voire 7,9, me dit une collègue parisienne. Sans seuil légal, il est bien naturel que chaque jury fixe le sien. Comment ce seuil est-il décidé ? C’est un mystère et je ne connais pas un collègue qui en sache plus que moi.
Le mérite. Oui, mais lequel ?
Ces marchandages de notes me paraissent injustes et remettent en cause la notion même d’évaluation du bac puisque sans seuil éliminatoire, pourquoi noter un élève ?
Si on conserve le mode actuel d’évaluation, je ne suis pas opposé aux octrois de bonus, mais il faudrait alors fixer le même seuil pour tous et surtout définir la notion de mérite. Aujourd’hui, les jurys ne récompensent que les élèves scolaires, dociles et laborieux sans tenir compte d’autres qualités ou capacités fondamentales attendues dans leurs vies d’adultes : la sociabilité, la curiosité, la créativité, le partage, la solidarité, le respect...
Les professeurs reconnaissent bien volontiers ces qualités à l’occasion des conseils de classe ou des réunions avec les parents. Mais dès lors qu’on s’occupe du bac, ces considérations se volatilisent, cachées derrière l’imposante carrure de la note. Dommage.
10 de moyenne, vraiment ?
Ce petit tour de magie est aussi utilisé pour les candidats ayant entre 9,5 et 10 de moyenne. On donnera un petit coup de pouce aux malchanceux méritants : et hop ! Un point en anglais, un point en philo et la moyenne passe à 10,01. « Reçu ! » Pour désengorger les oraux de rattrapages ?
10/20, c’est justement la moyenne que vous avez eue au bac ? Quelle chance… Dans le doute, remerciez le prof inconnu qui vous a sans doute fait un joli cadeau.