Le raccourci menant à la confusion entre la cause et les effets de la mort au large. Ce dimanche 26 janvier 2014, j'ai suivi avec ...
Le raccourci menant à la confusion entre la cause et les effets de la mort au large.
Ce dimanche 26 janvier 2014, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt et attention l'interview que Maître Fahmi Saïd Ibrahim, Président du Parti de l'Entente comorienne (PEC) et chef de la diplomatie comorienne de juin 2010 à juin 2011, a accordée à Boniface Vignon de Radio France Internationale (RFI). Le passage de cette interview consacré à l'inextricable dossier de Mayotte a particulièrement retenu mon attention car il ne correspond pas du tout à la vision que je me fais de cette affaire par trop compliquée, et n'arrive pas à me convaincre sur ce que doit être le rôle de la diplomatie dans un État moderne, en tant qu'activité étatique essentiellement basée sur la négociation.
D'emblée, Fahmi Saïd Ibrahim affirme: «Nous sommes extrêmement gênés par cette affaire car elle déstabilise toute la région autour des Comores. C'est vrai, Mayotte est admise aujourd'hui comme étant une île européenne, mais nous le regrettons et nous rappelons que le Droit international est aux côtés des Comores et que Mayotte est comorienne, aux yeux non seulement du Droit comorien mais aussi du Droit international. Ce qui est prioritaire pour nous maintenant, c'est de sauver la vie. Les Comores, on ne le dit pas suffisamment, c'est le plus grand cimetière dans l'océan Indien, au niveau des eaux territoriales comoriennes. La seule manière de stopper ceci, c'est d'enlever le "Visa Balladur", tel que nous le souhaitons avec tous les Comoriens». Là, il y a un problème car ce qui tue les Comoriens entre Anjouan et Mayotte, ce n'est pas le visa, mais les conditions de vie déplorables aux Comores, qui poussent une partie de la population à aller au rendez-vous avec la mort. Les Comoriens sont conscients du caractère hautement mortel de leur voyage d'Anjouan vers Mayotte, mais ils font le choix de mourir en tentant quelque chose plutôt que de mourir les bras croisés. Cette misère qui provoque les départs vers la mort est causée par les autorités comoriennes et non par la France, et ce d'autant plus que la France n'a obligé personne à se rendre à Mayotte.
Toujours, selon Fahmi Saïd Ibrahim, «10.000 morts, c'est quand même excessif. Nous appelons à tous les humanistes de France de s'allier à cette cause et à ne pas accepter que cela puisse continuer. On parle effectivement de facilités. Certaines personnes peuvent plus obtenir des visas pour aller à Mayotte. Mais, en réalité, ça sera les médecins et les avocats et une certaine frange de la population qui bénéficiera de ce visa, mais pas la population comorienne qui, elle, est désireuse d'aller chez elle, rencontrer leur famille, aller se faire soigner, et ça ne changera strictement rien. Les gens ont tendance à enfreindre la Loi imposée par la France en voulant s'installer parce que justement la France ne veut pas que les Comoriens y aillent chez eux. Je suis certain que s'il y avait cette liberté de circulation, les Comoriens ne resteraient pas plus à Mayotte qu'à Moroni». Ah bon? Les Comoriens veulent aller se faire soigner à Mayotte? Mais, qu'est-ce qui empêche les autorités comoriennes de faire fonctionner un bon système de Santé publique aux Comores, où la PNAC a été tuée, où l'Hôpital El Maarouf est devenu une poubelle géante et un mouroir à ciel ouvert? Les 15.000 Comoriens morts entre Anjouan et Mayotte ne sont pas les victimes d'un visa français, mais celle de l'incurie et de la concussion des autorités comoriennes, qui connaissent les fabricants des embarcations de la mort, le nom et l'adresse des passeurs. Or, rien n'est fait contre eux.
Que faire alors? Négocier avec la France? Fahmi Saïd Ibrahim a une idée sur le sujet: «J'ai entendu le Président Ikililou, et il soutenait qu'il y avait des discussions qui avaient lieu avec Paris et que la Constitution lui donnait parfaitement le droit d'engager ces négociations avec Paris. Nous n'avons jamais contredit le Président Ikililou. C'est une disposition constitutionnelle. Il a effectivement le droit d'engager cette discussion, mais ça, c'est le volet constitutionnel qui lui donne ce droit. Ce que nous avons déploré, c'est que tout ceci se fasse dans l'opacité totale et que la classe politique comorienne ait été complètement mise de côté. Certes, le Président a le pouvoir d'engager des discussions, mais pour que celles-ci soient crédibles, il lui fallut encore les rendre légitimes en associant la classe politique comorienne, les élus comoriens. Je pense que dans la forme, il aurait dû impliquer tout le monde dans cette discussion». D'accord, pour la transparence; certains exécutifs nationaux associent leur Parlement à la procédure de conclusion des traités, mais uniquement au niveau de la ratification, quand il est demandé au pouvoir législatif de donner son accord ou non sur un traité conclu par l'exécutif. Pour le reste, il vaut mieux se référer à Richard Nixon, pour qui, «la diplomatie n'est pas un bazar d'Orient». Boniface Vignon lui-même signale à Fahmi Saïd Ibrahim que «vous étiez ministre des Affaires étrangères il n'y a pas si longtemps que ça, ces négociations, vous les avez menées sans consulter la classe politique comorienne». En effet, la «diplomatie de la cachotterie» a été constatée même lorsque Fahmi Saïd Ibrahim avait, le 27 septembre 2010, signé avec Hervé Morin, alors ministre français de la Défense, un accord rénové instituant un partenariat de Défense entre les Comores et la France.
Par ailleurs, le Président de la République a entièrement le droit de choisir en toute liberté les personnes qui doivent négocier avec la France sur le dossier de Mayotte. Du reste, si on devait réunir la classe politique comorienne pour adopter une ligne de conduite, 1.000 ans de palabres ne suffiraient pas pour adopter une position commune, car le dossier de Mayotte est un dossier à caractère territorial, et rien ne soulève plus de passions qu'une affaire territoriale.
Mais, il y a plus grave, quand Fahmi Saïd Ibrahim déclare: «J'avais posé un préalable. J'avais expliqué à Paris que le signal fort que nous attendons de la France, c'est la suppression du "Visa Balladur" et non un aménagement qui ne concernera pas la population. On ne pouvait pas, nous, décemment, au mépris du peuple comorien, négocier avec le gouvernement français. Voilà pourquoi j'ai refusé tout simplement de négocier avec Paris pendant les 12 mois que j'étais au ministère des Affaires étrangères». Pour comprendre la gravité du propos, il faut lire un livre d'Histoire de la diplomatie. N'importe lequel. Quand on en a un entre les mains, on apprend que jadis, pour faire avancer la négociation, on prenait des otages et on avait recours à l'ultimatum. L'un des grands apports de l'Islam à la diplomatie a été le rejet de l'ultimatum dans les négociations: on ne négocie pas en posant des préalables à la négociation. Si les Comores pouvaient exiger de la France et obtenir d'elle la suppression du visa d'entrer à Mayotte avant l'engagement de la négociation, à quoi aurait donc servi la diplomatie, puisque des résultats ont été obtenus avant l'engagement de la négociation?
En réalité, rien ne se décide avant la négociation, et tout se passe lors de la négociation car les parties peuvent faire des propositions et des contrepropositions. Très souvent dans les pays sous-développés, des négociations traînent pendant des années uniquement à cause des petites et grandes conditions posées par une partie: «Désarmez d'abord, on négocie après». Quand on a passé deux décennies et demie de sa vie à travailler sur la diplomatie, on n'approuve pas un ex-ministre des Affaires étrangères qui fait du refus de négocier un exploit personnel. Aujourd'hui, les diplomates comoriens qui négocient avec la France sont insultés et traités de «vendus». N'oublions pas que longtemps, la diplomatie était confondue avec la négociation. Dans la Convention de Vienne du 18 avril 1961, la négociation se trouve en bonne place.
Les Comores doivent admettre que Mayotte est une île qui a choisi d'elle-même de rester sous le giron de la France, et cela, non pas parce qu'elle est plus francophile que les autres îles, mais parce qu'elle avait subi, sous l'autonomie interne, beaucoup d'humiliations, et considérait que les Comoriens des autres îles les humiliaient trop. Aujourd'hui, au sein même des trois îles sous administration comorienne, le sentiment d'humiliation renaît, et cette fois, à la Grande-Comore, où la candidature au poste de chef de l'État telle qu'annoncée par Ahmed Sambi est considérée comme l'humiliation d'un Anjouanais envers toute la Grande-Comore comme le même Ahmed Sambi et ses hommes avaient humilié toute l'île de Mohéli en 2010. C'est une belle façon de revendiquer le retour de Mayotte dans le giron des Comores.
Par ARM
© lemohelien – Lundi 27 janvier 2014.