Comores - Mayotte fait rarement la "Une" de la presse internationale. Pourtant, dans cette île de l’océan Indien restée toujour...
Comores - Mayotte
fait rarement la "Une" de la presse internationale. Pourtant, dans
cette île de l’océan Indien restée toujours sous colonisation française
(et dont les Comores continuent de réclamer la souveraineté), des drames
humains se produisent régulièrement, sans que cela suscite, au niveau
international, autant d’émoi qu’à Lampedusa, en octobre dernier.
Les
statistiques parlent d’elles-mêmes : plus de deux cents Comoriens
périssent chaque année en mer en tentant de rejoindre Mayotte, tandis
que quatorze mille autres sont reconduits à la frontière - dont de
nombreux mineurs. La faute à ce visa Balladur (du nom de l’ancien
Premier ministre français) instauré en janvier 1995 pour, disait-on
alors à Paris, ‘‘juguler l’immigration illégale des Comoriens à
Mayotte’’ .
Conséquence : des embarcations de fortune (appelées localement "kwassa kwassa") pleines à ras bord font régulièrement naufrage dans le bras de mer qui sépare Anjouan de l’île au lagon, distante de seulement 70 km.
Les mauvaises conditions météorologiques, l’absence de contrôle technique de ces canots de pêche et la surcharge sont souvent à l’origine de ces désastres. Certaines organisations de défense des droits de l’homme avaient été jusqu’à accuser, il y a quatre ans, la police française de percuter volontairement ces embarcations. Selon un rapport en date de 2009 de l’association Migrants de Mayotte, " la multiplication des naufrages coïncide avec l’intensification des contrôles en mer et principalement avec la mise en place d’un plan radar consistant à confier l’organisation de la lutte contre la migration en provenance d’Anjouan à la police de l’air et des frontières" .
Il faut dire que "le voyage de Mayotte" est un commerce florissant
dans la partie indépendante des Comores. On ne compte plus le nombre de
passeurs, d’éclaireurs et autres intermédiaires qui interviennent dans
la chaîne d’organisation de ces traversées périlleuses. Le trajet se
négocie entre 200 et 300 euros. "Et au cas où l’embarcation est
interceptée par la police et contrainte à faire demi-tour, il n’y a pas
de remboursement" , témoigne Said Ali, un jeune trentenaire au chômage,
qui a tenté trois fois l’aventure.
Si Mayotte est aujourd’hui considérée comme un eldorado au point d’attirer autant d’immigrés (on y trouve aussi des Burundais et des Congolais), c’est essentiellement parce que la France injecte, en moyenne, près de 600 millions d’euros chaque année au titre d’aides et de subventions diverses, soit 3 500 euros par habitant. L’île, qui compte moins de 200 000 habitants, bénéficie de nombreuses prestations sociales : revenu de solidarité active, allocations familiales, allocations de rentrée scolaire, allocations aux adultes handicapés, allocations logement à caractère familial, etc. Elle dispose surtout de structures sanitaires de meilleure qualité. Et le niveau de vie est dix fois plus élevé que dans le reste de l’archipel des Comores.
A partir de janvier 2014, suite au référendum de départementalisation de mars 2009, Mayotte deviendra Région ultrapériphérique de l’Europe (RUP) et pourra accéder aux fonds européens, au même titre que la Réunion, la Guyane et la Martinique. Un formidable appel d’air pour les candidats à l’immigration. " Cette relative prospérité de l’île, située au cœur d’une région classée parmi les plus pauvres du monde, favorise un important mouvement de population. Malheureusement, en lieu et place d’un contrôle de ce flux migratoire, la France a choisi de mener une politique répressive" , regrette Youssouf Moussa, ancien professeur de physique-chimie, l’un des rares indépendantistes locaux que nous avons pu contacter.
A
Mayotte, "la patrie des droits de l’homme" est clairement accusée de
s’asseoir sur ses valeurs, de faire de l’île "un territoire de non-droit
et d’installer un Guantanamo bis (un Mayotanamo, devrait-on dire) dans
l’océan Indien", avait écrit en mars dernier le quotidien comorien
"Al-Watwan", proche du gouvernement.En cause, une circulaire du
ministre français de l’Intérieur publiée en juillet 2012, qui interdit
le placement en Centre de rétention administrative (CRA) des mineurs
sauf… à Mayotte. Le Comité intermouvements auprès des évacués (Cimade)
avait évalué à 5 389 le nombre d’enfants retenus en 2010 sur l’île.
Cette mesure de Manuel Valls avait suscité un tollé général au sein des
organismes de défense des droits de l’homme, voire au-delà. Même le
Défenseur des droits, Dominique Baudis, n’avait pas manqué de critiquer
cette circulaire, toujours en vigueur.
Pire,
ces enfants d’immigrés sont privés du droit à l’éducation. En mars
dernier, dans le village de Mzouazia, 57 d’entre eux "ont été retirés de
force de leur école" pour la simple raison que leurs parents étaient
des sans-papiers. Un collectif dénommé "Citoyens indignés" avait alors
dénoncé un procédé "qui rappelle les sombres heures de la France de
Vichy". "J’ai quatre enfants. J’avais inscrit les deux premiers à
l’école, mais au bout de trois ans, j’ai décidé de les en exclure vu les
insultes et les menaces dont ils étaient la cible. Ils sont là, à la
maison. Je n’ai pas un autre choix", nous confie Mariama, 35 ans, qui
vit à Mayotte depuis sept ans.
Chaque semaine, plus d’une centaine de Comoriens sont expulsés manu militari vers les autres îles, mais la plupart y retournent un ou deux mois plus tard par des moyens détournés.
En 2011, l’Etat comorien, non content de "cette chasse aux Comoriens sur une portion de notre territoire" , avait décidé de ne plus autoriser l’atterrissage de tout appareil ramenant "des clandestins" à Anjouan. Piquée au vif, l’ambassade de France à Moroni, capitale de l’archipel, avait suspendu, en guise de représailles, la délivrance de visa aux ressortissants comoriens. Le bras de fer n’aura duré que quelques semaines.
Les négociations entre les Comores et la France pour régler "ce contentieux regrettable" - comme le qualifiait déjà François Mitterrand - qui dure depuis trente-huit ans, butent souvent sur la suppression du visa Balladur.Une mission de sénateurs français, qui s’était rendue à Mayotte en juillet 2012 avait proposé des aménagements dans la délivrance du fameux sésame "pour ouvrir un espace de circulation à l’intérieur des Comores", avait déclaré le sénateur UMP Christian Cointat. Mais, depuis, rien n’a bougé.
La rencontre entre François Hollande et son homologue comorien, Ikililou Dhoinine, en octobre 2012 à Kinshasa (RD Congo) lors du sommet de la Francophonie, avait permis de renouer le dialogue. Les deux chefs d’Etat se sont ensuite vus en juin dernier à l’Elysée.
C’est au cours de ce dernier tête-à-tête que le Haut-Conseil paritaire (HCP), un organe chargé de poursuivre les discussions au niveau des techniciens, a été mis en place. Jusqu’ici, il n’a pas encore fait preuve de son utilité.
Mohamed Inoussa (st.)
Lu sur lalibre.be
Conséquence : des embarcations de fortune (appelées localement "kwassa kwassa") pleines à ras bord font régulièrement naufrage dans le bras de mer qui sépare Anjouan de l’île au lagon, distante de seulement 70 km.
Les mauvaises conditions météorologiques, l’absence de contrôle technique de ces canots de pêche et la surcharge sont souvent à l’origine de ces désastres. Certaines organisations de défense des droits de l’homme avaient été jusqu’à accuser, il y a quatre ans, la police française de percuter volontairement ces embarcations. Selon un rapport en date de 2009 de l’association Migrants de Mayotte, " la multiplication des naufrages coïncide avec l’intensification des contrôles en mer et principalement avec la mise en place d’un plan radar consistant à confier l’organisation de la lutte contre la migration en provenance d’Anjouan à la police de l’air et des frontières" .
Un formidable appel d’air
Sans succès.
Si Mayotte est aujourd’hui considérée comme un eldorado au point d’attirer autant d’immigrés (on y trouve aussi des Burundais et des Congolais), c’est essentiellement parce que la France injecte, en moyenne, près de 600 millions d’euros chaque année au titre d’aides et de subventions diverses, soit 3 500 euros par habitant. L’île, qui compte moins de 200 000 habitants, bénéficie de nombreuses prestations sociales : revenu de solidarité active, allocations familiales, allocations de rentrée scolaire, allocations aux adultes handicapés, allocations logement à caractère familial, etc. Elle dispose surtout de structures sanitaires de meilleure qualité. Et le niveau de vie est dix fois plus élevé que dans le reste de l’archipel des Comores.
A partir de janvier 2014, suite au référendum de départementalisation de mars 2009, Mayotte deviendra Région ultrapériphérique de l’Europe (RUP) et pourra accéder aux fonds européens, au même titre que la Réunion, la Guyane et la Martinique. Un formidable appel d’air pour les candidats à l’immigration. " Cette relative prospérité de l’île, située au cœur d’une région classée parmi les plus pauvres du monde, favorise un important mouvement de population. Malheureusement, en lieu et place d’un contrôle de ce flux migratoire, la France a choisi de mener une politique répressive" , regrette Youssouf Moussa, ancien professeur de physique-chimie, l’un des rares indépendantistes locaux que nous avons pu contacter.
La circulaire Valls vilipendée
Des enfants privés d’école
Chaque semaine, plus d’une centaine de Comoriens sont expulsés manu militari vers les autres îles, mais la plupart y retournent un ou deux mois plus tard par des moyens détournés.
En 2011, l’Etat comorien, non content de "cette chasse aux Comoriens sur une portion de notre territoire" , avait décidé de ne plus autoriser l’atterrissage de tout appareil ramenant "des clandestins" à Anjouan. Piquée au vif, l’ambassade de France à Moroni, capitale de l’archipel, avait suspendu, en guise de représailles, la délivrance de visa aux ressortissants comoriens. Le bras de fer n’aura duré que quelques semaines.
Les négociations entre les Comores et la France pour régler "ce contentieux regrettable" - comme le qualifiait déjà François Mitterrand - qui dure depuis trente-huit ans, butent souvent sur la suppression du visa Balladur.Une mission de sénateurs français, qui s’était rendue à Mayotte en juillet 2012 avait proposé des aménagements dans la délivrance du fameux sésame "pour ouvrir un espace de circulation à l’intérieur des Comores", avait déclaré le sénateur UMP Christian Cointat. Mais, depuis, rien n’a bougé.
La rencontre entre François Hollande et son homologue comorien, Ikililou Dhoinine, en octobre 2012 à Kinshasa (RD Congo) lors du sommet de la Francophonie, avait permis de renouer le dialogue. Les deux chefs d’Etat se sont ensuite vus en juin dernier à l’Elysée.
C’est au cours de ce dernier tête-à-tête que le Haut-Conseil paritaire (HCP), un organe chargé de poursuivre les discussions au niveau des techniciens, a été mis en place. Jusqu’ici, il n’a pas encore fait preuve de son utilité.
Mohamed Inoussa (st.)
Lu sur lalibre.be